contextefr | À l’innocence des instants s’ajoute une certaine convivialité : l’action a un effet rassembleur qu’on ne saurait nier. Bien que celle-ci est portée majoritairement sur le jeu et les joueurs, on remarque la présence de plusieurs spectateurs venus en nombre assister à la rencontre. Ce film amateur dépeint non seulement des traits culturels d’une communauté locale de l’Alsace des années 1970, mais plus encore, il témoigne des effets d’une pratique sportive populaire en plein essor.
'''Sur les pas du football alsacien...'''
Après une timide popularisation de la pratique
permise par des Anglais de passage en France, c’est véritablement après la Grande guerre que se dessine le destin du football professionnel et amateur français. En 1919 est créé la Fédération française de football association (FFF) par réunions des différentes ligues et fédérations de football du pays. Une union entamée avant la guerre et qui fait terriblement sens en cette fin du conflit. Dans cette histoire, l’Alsace est singulière : au temps du ''Reichland Elsaß-Lothringen'', les clubs alsaciens sont affiliés à la ligue allemande, la ''Süddeutscher Fußball Verband'', et ce jusqu’à la sortie de la guerre en 1918. En janvier 1919, l’Union des Sociétés Françaises des
Sports Athlétiques (USFSA) décide d’y implanter un comité régional, mais les trente-neuf clubs
alsaciens alors en activité refusent et préfèrent se rallier à la nouvelle FFF en fondant la Ligue
d’Alsace de Football Association (LAFA), le 1er
novembre 1919. La création de cette ligue
alsacienne témoigne d’une identité régionale forte et d’une volonté de traduire cet attachement
dans l’organisation associative et sportive.
Lorsque débute l’occupation allemande en 1940, l’Alsace devient une division administrative de
l’Allemagne nazie : la ligue est dissoute et remplacée par la « ''Gauliga Elsass ''», un championnat
régional affilié à la Fédération national-socialiste pour l’éducation physique (NSRL). Les tentatives d’organisation précédemment entreprises sont alors considérablement bousculées.
C’est durant cette période marquée par les craintes et les incertitudes que quelques alsaciens de
Lembach décident de fonder le club du village sous la forme d’une association sportive : l’AS Lembach est créé en 1942. En 2017, à l’occasion d’une cérémonie célébrant les 75 ans du club lembachois, le maire de l’époque, Charles Schlosser, s’exprime à ce propos : « L’ASL a été créée par des copains en 1942 en pleine période d’occupation – une sorte de défi aux tracas
quotidiens de l’époque ».
'''L’AS Lembach, un club de football à l’image de son temps et de son lieu'''.
Dans le film de M. Bernecker, il nous est montré deux matchs de football filmés sur deux jours différents (on s'en aperçoit en prêtant attention à la hauteur de l'herbe) et mettant à chaque fois en scène
le club de l’AS Lembach. On le reconnaît grâce à ses couleurs, le rouge, le blanc et le jaune. Il y a parfois le sigle "ASL" imprimé sur les maillots.
Les joueurs sont filmés en pleine action, les plans sont fugaces et s’enchaînent rapidement : on imagine qu’un tel dynamisme dans le montage aurait pour but de plonger le spectateur dans la spontanéité et l’intensité du moment sportif. Lors du visionnage, l’on remarque qu’un joueur est davantage filmé que les autres : le témoignage du fils du réalisateur, Jean-Pierre Bernecker, atteste qu’il s’agit de Fernand Bernecker, également président du club à cet instant. Il aurait entre 40 et 45 ans. On peut imaginer qu’un proche de M. Bernecker se trouve à cet instant derrière la
caméra.
'''Du « football de village », ou le cœur battant d'une communauté locale'''
''Pour l'amour du sport...''
La majorité des images de ce film sont des images de jeu, on y voit des accélarations, des (tentatives) de dribbles, des passes, des gros plans sur les joueurs de l'ASL et plus précisémment sur l'une de ses figures, M. Bernecker. La pratique est amateure, comme le prouve les quelques échauffourées, les contrôles et les reprises manquées, les joueurs essouflés etc. Néanmoins, on y décèle également la fougue de certains, les efforts mis au service du jeu et de l'instant sportif. Tout le monde semble apprécier le moment : les joueurs n'ont pas vocation à surpasser des exploits atlhétiques, mais à simplement jouer au football, tous ensemble.
''...et pour l'amour de se voir''
Outre des images du jeu, le film nous montre la présence de nombreux spectateurs, en tribunes comme sur les côtés du stade. Cet élément témoigne de la popularisation du football, et plus précisément du football amateur. Il nous dit aussi beaucoup sur l’intérêt social et culturel que les communautés locales portent à cette pratique sportive.
Nous sommes ici dans les années 1970 (ou bien, à la fin des années 1960), une période durant laquelle le monde du football français est en proie à de profondes réformes. Les crises internes de la décennie précédente
laissent place à d’importants renouveaux qui permettent au football et à sa pratique de se
démocratiser considérablement. On s’investit davantage dans la création de centres de
formation, le nombre de licenciés explose et le football dit "de village" commence à se démocratiser. Les
années 1969-1979 sont considérées pour certains comme « l’âge d’or » du football alsacien :
du côté professionnel, le RC Strasbourg devient le deuxième club français à accéder à une finale
de coupe d’Europe ; et du côté amateur, le nombre de licenciés ne cesse d’augmenter. Ce film
prend ainsi place dans un contexte au sein duquel le football non seulement se structure et se
popularise, mais surtout, dans un temps où les pratiques amateures sont de plus en plus
réappropriées par les territoires locaux. Dans le film, tous les âges sont représentés : les joueurs
sont tous de catégorie « sénior », mais les spectateurs eux sont divers : femmes, enfants, parents,
amis etc. C’est l’ensemble du village – ou du moins une partie de celui-ci – qui se rassemble
autour de l’évènement. Ce faisant, lorsque l’on vient assister à un match amateur, c’est moins
pour le côté spectaculaire du football ou pour le beau jeu – les gestes effectués dans le film ne
sont d’ailleurs pas d’une extrême précision – que pour l’évènement en lui-même, que pour cet
instant de sociabilité et d’affirmation territoriale qui prend alors forme. Tout le monde se connaît, les joueurs ainsi que les spectateurs travaillent parfois ensemble. C'est pourquoi l'expression « football de village » gagnerait à être employée ici. Il y a ce passage très
significatif dans le film, à 00:02:17, dans lequel on aperçoit deux joueurs, un lembachois et un
joueur de l’équipe adverse, accompagnés de leurs femmes, qui posent le sourire aux lèvres
devant la caméra en tenant dans leurs mains des bouquets de fleurs. Ces images illustrent cette
dimension amicale et conviviale que revête l’évènement, lui qui a aussi pour but d’offrir une
activité commune et accessible à l’ensemble des habitants environnants. Le stade, l’espace
sportif, est aussi un espace social, voire culturel, où l’on se rejoint et où l’on compose ensemble le territoire local. L’AS Lembach est un club essentiel au patrimoine du village et à ses habitants. Encore aujourd’hui, il s’organise, il forme, il rassemble, et en ce sens, il construit et modèle le village ainsi que la communauté qui le compose. René Marbach, président du district
d’Alsace, s’exprime à l’occasion du 75ème anniversaire du club : « Il faut savoir où l’on va pour construire ensemble des clubs qui perdurent ».
À noter enfin que l’ensemble des joueurs présents dans ce film sont des hommes : le football, depuis sa création, a toujours représenté une certaine idée du virilisme, faisant de lui un sport strictement réservé aux hommes. Pourtant,
on sait que le football féminin se développe pratiquement aux mêmes instants, et qu’il n’a pas
manqué de divertir les foules lorsque, par exemple, durant la Grande Guerre, l’on manquait
d’hommes pour composer les équipes : c’est les femmes que l’on venait alors voir et supporter
– notamment en Angleterre.
Nous savons que l’AS Lembach possède aujourd’hui une section féminine, néanmoins, nous n’avons pas d’amples informations concernant la date de sa mise en
œuvre. Dans les années 1970, bien que l’image du football féminin commence tout juste à se
débarrasser des normes et autres préjugés qui la ternissaient, il est encore assez commun de ne voir que des hommes sur les terrains ou dans le personnel. |