Pfifferdaj de Ribeauvillé (0113FI0005) : Différence entre versions
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Version actuelle datée du 8 mars 2020 à 19:43
Résumé
Description
Ce film débute par une succession de plans rapides s’enchaînant pendant les quarante premières secondes et filmant diverses personnes, lieux et objets qui semblent incohérents. On observe premièrement trois pompiers en tenue de cérémonie sur des cyclomoteurs, puis un plan très succinct de cavaliers de la Renaissance qui nous indique le caractère historique du défilé qui va suivre. S’en suivent des plans des rues de Ribeauvillé grâce auxquels on constate l’ampleur de la fête à la vue du nombre important de personnes déambulant dans le village. Ces plans sont entrecoupés par trois zooms qui se concentrent premièrement sur le blason de la commune dit ‘’d'argent à la main bénissant de carnation posée en pal et habillée d'azur, accompagnée de trois écussons de gueules, deux et un’’ puis sur la statue du flutiste de Ribeauvillé, le ‘’Pfiffer de l’an 1300 ‘’ qui rappelle au spectateur qu’il assiste au Pfifferdaj. Le second zoom a le même rôle en s’attardant sur le restaurant Pfifferhüs, littéralement la ‘’ maison du flutiste/siffleur ‘’. Le dernier concerne le château Saint-Ulrich, l’une des possessions des suzerains de Ribeauvillé, les seigneurs de Ribeaupierre qui seraient les instigateurs de la fête. Trois femmes sont également filmées à plusieurs reprises, faisant sûrement partie de l’entourage du cinéaste, la plus âgée étant Mme Lehmann, la mère de ce dernier.
Puis vient l’heure du défilé inauguré par la fanfare des pompiers et suivie par une succession de chars aux inspirations médiévales, on y retrouve entre autres Clovis et l’épisode du vase de Soissons, le blason des Ribeaupierre ‘’d’argent à trois écussons de gueules’’ ou encore de ce qui semble être des chevaliers croisés malgré le manque de rigueur historique dans la restitution de l’armure. On observe également des chars aux inspirations plus contemporaines, reproduisant notamment des scènes de l’Ancien Régime et du Premier Empire comme la fuite de Louis XVI à Varennes ou la présence de grognards. Ces reconstitutions historiques sont entrecoupées par le défilé de fanfares ou de personnes revêtant le costume traditionnel alsacien. Le défilé est filmé en plan large pour capturer le char ou les personnes concernées et la foule, la plupart du temps de face mais aussi quelque fois de dos afin de visualiser toutes les subtilités. On remarque que la caméra suit littéralement celui ou celle qui défile en effectuant un travelling de droite à gauche pour souligner l’effet de mouvement et saisir l’élément filmé plus longtemps. Un autre zoom se concentre sur une mère et ses deux filles observant le défilé à la fenêtre, témoignage de l’attrait des habitants pour l’événement, l’une des filles étant d’ailleurs elle aussi parée du costume traditionnel alsacien. A l’issue du défilé on observe la foule qui se disperse dans les rues et l’on constate que le cinéaste se retrouve à l’entrée du village, en témoignent les guichets qui délivrent les billets d’entrée comme l’indique la banderole. On observe un dernier passage des chars dudit défilé qui semblent rentrer à l’entrepôt à la vue de l’inactivité des figurants qui jouaient auparavant leur rôle.
Contexte et analyse
L’année 1967 est l’occasion pour les Ribeauvillois de célébrer la 577e fête des ménétriers qui au-delà de constituer une simple attraction au cœur de cette célèbre cité médiévale du Haut-Rhin, représente un véritable héritage folklorique et historique d’une tradition plusieurs fois centenaire. L’accent est mis sur l’histoire nationale dans une Alsace qui vingt ans plus tôt subissait le joug nazi.
Le Pfifferdaj, dimension légendaire et folklorique
Le Pfifferdaj, littéralement le jour du flutiste/siffleur en dialecte, est traduit en français par la fête des ménétriers. Au Moyen Âge, un ménétrier s’apparente au ménestrel, c’est-à-dire qu’il joue d’un instrument en public et de manière profane, hors du cadre religieux. La légende de l’origine du Pfifferdaj remonte au Bas Moyen Âge lorsqu’un noble de Ribeauvillé, village alors nommé Rappschwir en alsacien, fait preuve de générosité à l’égard d’un ménétrier ayant cassé son instrument. Le donateur en question n’est autre qu’un membre de la famille des Ribeaupierre, seigneurs du bourg depuis le XIIe siècle grâce à l’évêque de Bâle qui cède à leur ancêtre Egenolphe d’Urslingen la seigneurie éponyme. La puissante corporation des ménétriers choisit alors le seigneur de Ribeaupierre comme suzerain. La réalité est plus complexe et relève d’un calcul politique de la part de l’Empereur, l’Alsace faisant alors partie du Saint-Empire romain germanique. Ce dernier choisit les Ribeaupierre pour contenir la corporation qui par sa nature publique pouvait se révéler être un dangereux adversaire politique. C’est ainsi que lors du jour de la Nativité de la Vierge, le 8 septembre, les ménétriers se réunissaient pour régler les divergences politiques.
Ainsi naît une tradition qui avec le temps a évolué, se muant en fête locale célébrée tous les ans. Un autre aspect du terme Pfiffer qui n’est pas forcément discernable dans sa retranscription française est la place prépondérante de la figure du joueur de flûte dans le folklore ribeauvillois. Robert Lehmann nous l’indique lorsqu’il s’attarde quelques secondes sur la statue du ‘’Pfiffer de l’an 1300’’. Là encore il est possible d’établir un parallèle entre la réalité historique et la légende, le flutiste étant lui-même un ménétrier. L’Alsace étant teintée de culture germanique, cette statue évoque sans doute la légende du joueur de flûte de Hamelin, un conte faisant écho à une catastrophe légendaire survenue en 1284 à Hamelin en Basse-Saxe durant laquelle un flutiste s’illustre en chassant les rats hors de la ville devenant ainsi un symbole protecteur aux quatre coins du Saint-Empire romain germanique.
Un aspect historique revendiqué
Au-delà du folklore germanique qui entoure la légende des premiers Pfifferdaj et des enjeux politiques inhérents à la noblesse impériale, la fête des ménétriers telle qu’elle se déroule en 1967 revendique une histoire quasiment identique au reste de la France au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Les chars filmés par Robert Lehmann rappellent de grands épisodes de l’histoire nationale. On aperçoit premièrement un char à l’effigie des Gaulois où un chef est porté par ses guerriers sur un bouclier, coutume purement gauloise dans l’imaginaire collectif bien que celle-ci soit plutôt pratiquée par des tribus germaniques comme les Francs. Le char suivant est une représentation du roi Clovis châtiant le guerrier ayant brisé le vase de Soissons, épisode incontournable dans l’historiographie française. Vient ensuite une jeune fille sur un cheval immaculée de blanc, symbole de la pureté et de la virginité, accompagnée par un écuyer revêtant une tenue du Bas Moyen Âge. La jeune fille en question pourrait être une représentation de Jeanne d’Arc, la Pucelle d’Orléans.
Défilent par la suite des chevaliers parés d’une croix rouge sur un manteau blanc, possiblement une référence à l’ordre monastique et militaire des Templiers, ordre très influent dans le Royaume de France mais bien moins dans le Saint-Empire où l’Ordre Teutonique domine. L’Ancien Régime est lui aussi représenté avec ce qui semble être une reproduction de la fuite à Varennes de Louis XVI qui précède le char du Premier Empire sur lequel on distingue des grognards. Ces représentations permettent d’intégrer la culture alsacienne à une culture commune avec la France une vingtaine d’année après le retour dans le giron français.
Une fête populaire dans un village pittoresque
Ribeauvillé constitue la cité médiévale alsacienne par excellence. Ses maisons à colombages typiques de la région sont inspirées des huttes du Haut Moyen Âge appelées les Ständerhüs qui s’imposent alors comme les premières habitations urbaines et dont les quatre piliers angulaires forment l’essentiel. La Renaissance permet la mise en place des encorbellements, c’est-à-dire l’avancée d’étage en d’étage permettant d’augmenter la hauteur de ces maisons à colombage qui par la suite bénéficient de décorations notamment sur les pignons ou encore d’encadrements de fenêtres sculptés. Souvent, on retrouve des ornements sur les linteaux des portes, le poutrage ou les garde-fous des balcons qui symbolisent le métier du propriétaire, la date de fondation, le régime politique ou parfois des manières de défendre l’habitation en témoigne la présence de pentagrammes ou d’étoiles à six branches. On constate dans les prises de vue de Robert Lehmann la prédominance de ces maisons à colombages qui font la réputation du village haut-rhinois comme une cité médiévale en plein cœur du vignoble. Le Pfifferdaj est ainsi l’occasion pour les habitants et les associations tels le Comité des Fêtes ou les Pfiffer Fêteurs de mettre en valeur ce patrimoine culturel en organisant encore de nos jours la fête qui a lieu chaque année le premier dimanche du mois de septembre.Bibliographie
KLEIN Georges et RIVIERE Georges-Henri, Arts et traditions populaires d’Alsace: la maison rurale et l’artisanat d’autrefois, Colmar, Alsatia, 1973, 255; 104; 16 p.
LESER (Gérard) et RENAULT (Christophe), Mythes et symboles d’Alsace, Paris, Éditions Jean-Paul Gisserot, 2016.
MEYER (Philippe) et THADDEN (Rudolf) von, Histoire de l’Alsace, Paris, Perrin, 2008.
SOCIETE D’ARCHEOLOGIE LORRAINE, « Les seigneurs de Ribeaupierre », dans Mémoires de la Société d’Archéologie Lorraine et du Musée Historique Lorrain, vol. 23, 1873, 464 p.
Article rédigé par
Guillaume Bapst, 05 janvier 2020