Conscrits à Strasbourg (0016FH0004) : Différence entre versions
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− | + | Au XIX<sup>e</sup> siècle, un homme ne peut, sans avoir franchi l’étape de la conscription, ni se marier, ni commencer sa vie professionnelle. La périodicité annuelle ainsi que l’âge des conscrits ont fait que la conscription soit devenue comme une sorte de rite de passage, celui de l’adolescence à l’âge adulte. Cet événement devient alors un rituel de première importance dans la vie d’un homme. | |
− | + | [[Fichier:Img-3-small580.jpg|vignette|gauche|Souvenir du numéro de tirage au sort d'Eugène Trumpf, classe 1869, canton de Wasselone. Au centre de l'image, le numéro de tirage avec en dessous le passage d’un conscrit pendant le tirage au sort et au dessus la représentation d’un défilé de conscrit avec le tambour-major en tête © Musée alsacien.]] | |
Toutes les pratiques relatives à la conscription sont, pour les conscrits, autant de bonnes occasions d’affirmer leur virilité. En dehors des paroles, le seul fait de chanter est suffisant pour montrer ouvertement, et de manière la plus étincelante possible, à l’ensemble de la communauté leur entrée dans l’âge adulte. L’étape, sans doute la plus importante, de la conscription, celle qui, en quelque sorte, certifie la virilité des conscrits est le conseil de révision. Cette étape est, au XIX<sup>e</sup> siècle, précédée du tirage au sort. Une fois le tirage effectué, les conscrits ayant tiré les « mauvais numéros » doivent, quelques semaines plus tard, se rendre au conseil de révision. Le passage au conseil de révision est une étape décisive dans la vie des hommes, elle a des répercussions directes sur leurs vies. S’ils sont déclarés aptes pour le service, ils partent gonfler les rangs de l’armée, s’ils sont jugés inaptes, ils doivent faire face au rejet humiliant de toute la communauté. Pour les conscrits, le conseil de révision représente un examen certifiant, beaucoup plus que leur faculté de servir sous les drapeaux, leur virilité et donc, leur aptitude aux relations sexuelles ainsi qu’au mariage. Cette étape fait d’eux, ou non, des hommes. | Toutes les pratiques relatives à la conscription sont, pour les conscrits, autant de bonnes occasions d’affirmer leur virilité. En dehors des paroles, le seul fait de chanter est suffisant pour montrer ouvertement, et de manière la plus étincelante possible, à l’ensemble de la communauté leur entrée dans l’âge adulte. L’étape, sans doute la plus importante, de la conscription, celle qui, en quelque sorte, certifie la virilité des conscrits est le conseil de révision. Cette étape est, au XIX<sup>e</sup> siècle, précédée du tirage au sort. Une fois le tirage effectué, les conscrits ayant tiré les « mauvais numéros » doivent, quelques semaines plus tard, se rendre au conseil de révision. Le passage au conseil de révision est une étape décisive dans la vie des hommes, elle a des répercussions directes sur leurs vies. S’ils sont déclarés aptes pour le service, ils partent gonfler les rangs de l’armée, s’ils sont jugés inaptes, ils doivent faire face au rejet humiliant de toute la communauté. Pour les conscrits, le conseil de révision représente un examen certifiant, beaucoup plus que leur faculté de servir sous les drapeaux, leur virilité et donc, leur aptitude aux relations sexuelles ainsi qu’au mariage. Cette étape fait d’eux, ou non, des hommes. |
Version actuelle datée du 27 novembre 2020 à 15:25
Résumé
Description
Le film s’ouvre sur les conscrits posant dans l’arrière-cour d’un bâtiment rappelant l’ancien hôtel de Hanau, actuellement l’hôtel de Ville de Strasbourg. Le plan n’étant pas de face, le cameraman, Étienne Klein, devait se trouver à la droite du photographe chargé d’immortaliser ce moment. Gros plan sur un conscrit vêtu de la tenue traditionnelle. Le conscrit à l’air fier, mais semble gêné par l’objectif. Les conscrits, toujours dans cette arrière-cour, dansent main dans la main. Le film se poursuit sur le cortège défilant dans la rue. La dernière séquence, dans laquelle les conscrits continuent de défiler, est enregistrée depuis le studio de photographie d’Étienne Klein au 24, rue de la Mésange.
Contexte et analyse
La notion de soldat citoyen au service de la nation naît à la fin du XVIIIe siècle autour de la Révolution Française. De cette notion découle, par la loi Jourdan de septembre 1798, l’instauration de la conscription universelle et obligatoire pour tous les Français âgés de vingt à vingt-cinq ans. Les fondements de cette loi se basent sur le principe suivant : « Tout Français est soldat et se doit de défendre sa patrie ». En 1804, un système de tirage au sort est mis en place. Aboli après la chute de l’Empire en 1815, la loi Gouvion Saint-Cyr réintroduit, trois ans plus tard, ce système avec quelques modifications. Si les engagés volontaires ne suffisent pas à fournir le contingent, les autorités ont recourt au tirage au sort. Les personnes tirées au sort rejoignent les engagés volontaires. Ils leur restent la possibilité, si leurs moyens le leur permettent, de payer une personne pour qu’elle effectue le service militaire à leur place. Le dispositif de tirage au sort est aboli lors de l’annexion de l’Alsace par l’Empire allemand en 1871. Le système de tirage au sort n’est jamais rétabli, ni après le rattachement de l’Alsace à la France par le Traité de Versailles, ni après la Seconde Guerre mondiale. De 1946 à 1997, les jeunes alsaciens, et plus généralement l’ensemble des jeunes Français, doivent participer au service national universel. Bien qu’en Alsace, le tirage au sort ne soit plus en vigueur depuis 1871 – 1905 pour la France, le cérémonial qui s’est mis en place à partir de 1818, a fortement marqué l’identité des conscrits alsaciens. De plus, la fin de cette pratique ne marque pas la fin de la conscription et des traditions qui lui sont liées.
Les conscrits en tenue d'apparat
S’ils reprennent des éléments comme des insignes, cocardes ou encore rubans de soie communs à l’ensemble de la France, c’est au XIXe siècle que les costumes, généralement composés d’un pantalon blanc accompagné d’un tablier brodé et d’un chapeau garni apparaissent. Plus on avance dans le siècle, plus les tenues se développent. Dès 1850, le chapeau accueille des rubans bien plus long qu’au début du siècle et les premiers plumets ainsi que des bouquets composés de fleurs et de fruits artificiels font leur apparition. Vers la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, les costumes deviennent de plus en plus extravagants. Ces bouquets finissent, au début du XXe siècle, par recouvrir l’ensemble du couvre-chef allant même parfois jusqu’à y intégrer des oiseaux empaillés. L’effort vestimentaire se concentrait essentiellement sur le couvre-chef puisqu’il supportait, à l’époque du tirage au sort, le numéro tiré.
Les costumes farfelus du début du siècle ne semblent plus être au goût du jour chez notre classe. Toutefois, si leurs tenues blanches peuvent paraître simples, ils arborent tout de même, avec pour certains plus ou moins de rubans, les fameux chapeaux garnis de fleurs et de légumes artificiels. Certains exposent même fièrement la photo de leur fiancée (0’11) ! Enfin, sur leurs chemises, apparaissent aussi les insignes de leur classe. L’apparition d’une tenue commune et propre aux conscrits prouve qu’ils appartiennent à un groupe uni et spécifique, ils se mettent sous l’autorité de la nation en s’affranchissant de celle de la communauté locale. Dès lors, tous ces symboles, hérités de la tradition, rappellent la vocation militaire de la conscription.
Le défilé des conscrits : l'ombre d'une parade militaire
Le défilé des conscrits s’apparente, de manière plus festive, à une parade militaire. Dans les rues aux couleurs du drapeau tricolore, le tambour-major prend la tête du cortège, il est suivi de près par les musiciens qui, eux-mêmes, sont suivis par le porte-drapeau. À l’arrière du cortège, les conscrits dansent en rang. Dès lors, l’organisation du défilé des conscrits reprend, plus joyeusement, l’organisation d’une parade militaire.
À l’image du sous-officier, chargé de diriger une formation militaire lors d’un défilé, le tambour-major, dont le nom est directement emprunté à la fonction militaire, mène, à l’aide de sa canne enrubannée qu’il fait tournoyer, le cortège des conscrits. Le tambour-major est souvent précédé, à l’occasion de grandes manifestations, par des musiciens locaux. Ici, tout semble indiquer que les conscrits ont fait appel à des instrumentistes locaux. Ces derniers, en plus de n’être pas vêtus de la tenue adéquate, jouent de la trompette, du tambour ainsi que de l’accordéon alors que, de manière générale, les instruments les plus représentés sont le clairon et le tambour. Sans oublier le fait que ces instruments sont habituellement apparentés aux instruments militaires, ils sont surtout choisis pour leur caractère bruyant. Derrière les musiciens, le porte-étendard agite le drapeau tricolore sur lequel figure le nom, l’année ainsi que les insignes de la classe.
La disposition en rang des conscrits rappelle, elle aussi, sensiblement l’organisation d’une parade militaire. Les conscrits se tiennent par la main et entament leur pas de dance dit Hupfschritt. Ils zigzaguent de droite à gauche dans les rues de la ville tout en chantant à tue-tête. Les conscrits possèdent leur propre cri qu’ils considèrent comme la manifestation de leur virilité, mais aussi, en tant que signe de leur appartenance au groupe. De façon générale, les chansons encensent, non pas sans vantardise, le caractère viril des conscrits. À partir de 1925, les thèmes sentimentaux et patriotiques disparaissent au profit de paroles plus festives, souvent un peu paillardes.
La conscription ou le passage à l'âge adulte
Au XIXe siècle, un homme ne peut, sans avoir franchi l’étape de la conscription, ni se marier, ni commencer sa vie professionnelle. La périodicité annuelle ainsi que l’âge des conscrits ont fait que la conscription soit devenue comme une sorte de rite de passage, celui de l’adolescence à l’âge adulte. Cet événement devient alors un rituel de première importance dans la vie d’un homme.
Toutes les pratiques relatives à la conscription sont, pour les conscrits, autant de bonnes occasions d’affirmer leur virilité. En dehors des paroles, le seul fait de chanter est suffisant pour montrer ouvertement, et de manière la plus étincelante possible, à l’ensemble de la communauté leur entrée dans l’âge adulte. L’étape, sans doute la plus importante, de la conscription, celle qui, en quelque sorte, certifie la virilité des conscrits est le conseil de révision. Cette étape est, au XIXe siècle, précédée du tirage au sort. Une fois le tirage effectué, les conscrits ayant tiré les « mauvais numéros » doivent, quelques semaines plus tard, se rendre au conseil de révision. Le passage au conseil de révision est une étape décisive dans la vie des hommes, elle a des répercussions directes sur leurs vies. S’ils sont déclarés aptes pour le service, ils partent gonfler les rangs de l’armée, s’ils sont jugés inaptes, ils doivent faire face au rejet humiliant de toute la communauté. Pour les conscrits, le conseil de révision représente un examen certifiant, beaucoup plus que leur faculté de servir sous les drapeaux, leur virilité et donc, leur aptitude aux relations sexuelles ainsi qu’au mariage. Cette étape fait d’eux, ou non, des hommes.
Une fois le conseil de révision terminé, les conscrits se procurent les insignes « Bons pour le service » ou « Bon pour les filles ». Le « Bon pour le service » est aussi, la plupart du temps, compris comme étant un « Bon pour le mariage », les hommes devenant, avec la conscription, autonomes et prêts à fonder un foyer. L’abolition du tirage au sort ne marque pas la fin de la conscription et de ses pratiques culturelles. En effet, avec l’instauration du service militaire universel et obligatoire, les jeunes hommes continuent de se présenter au conseil de révision, assurant ainsi la continuité dans l’étape du passage de l’adolescence à l’âge adulte. Dès lors, la conscription est encore une pratique importante dans la vie des hommes, elle fait, culturellement, d’eux des hommes matures. Ainsi, en arborant fièrement, à la place du « Bon pour le service » qui allait souvent de pair avec le « Bon pour le mariage, des photos de leur fiancée, les conscrits suggèrent d’être prêts à endosser leurs responsabilités et revendiquent leur passage dans le monde des adultes.Lieux ou monuments
Bibliographie
BOULANGER Philippe et CRÉPIN Annie, Le soldat-citoyen. Une histoire de la conscription, Paris, La Documentation photographique, n°8019, 2001.
LEGIN Philippe, Toute l’Alsace. Coutumes et costumes alsaciens, Ingersheim-Colmar, S.A.E.P., 1993.
SARG Freddy, Traditions & coutumes d’Alsace, Strasbourg, Éditions du Donon, 2013.
TOURSCHER Alexandre, « Bons pour la fête : les rituels de la circonscription en Alsace », dans Revue d’Alsace, n°41, 2015, p. 363-377.
Article rédigé par
Nicolas Laugel, 09 avril 2020
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