Camp de vacances féminin (0160FS0002) : Différence entre versions

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Les colonies de vacances connaissent un succès retentissant dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. Encouragées par l'Etat, elles sont fortement appréciées, autant des enfants que des parents, et permettent en outre de faire voyager les jeunes alors que les départs en vacances sont encore un luxe pour une grande partie de la population. Rapidement, les colonies de vacances s'imposent comme un excellent moyen pour les comités d'entreprise de s'investir socialement pour leurs employés et leurs familles. Les Mines Domaniales de Potasse d'Alsace ne dérogent pas à cette philosophie associative. Elles s'impliquent déjà largement pour la qualité de vie de ses mineurs : logements de travail, écoles, pavillons de santé, centres sportifs mais aussi aides alimentaires et vestimentaire, en bref, les oeuvres sociales définissent l'esprit d'entreprise des MDPA dès ses débuts.
 
Les colonies de vacances connaissent un succès retentissant dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. Encouragées par l'Etat, elles sont fortement appréciées, autant des enfants que des parents, et permettent en outre de faire voyager les jeunes alors que les départs en vacances sont encore un luxe pour une grande partie de la population. Rapidement, les colonies de vacances s'imposent comme un excellent moyen pour les comités d'entreprise de s'investir socialement pour leurs employés et leurs familles. Les Mines Domaniales de Potasse d'Alsace ne dérogent pas à cette philosophie associative. Elles s'impliquent déjà largement pour la qualité de vie de ses mineurs : logements de travail, écoles, pavillons de santé, centres sportifs mais aussi aides alimentaires et vestimentaire, en bref, les oeuvres sociales définissent l'esprit d'entreprise des MDPA dès ses débuts.
  
C'est dans cette logique que le comité central d'entreprise des MDPA souhaite organiser des séjours pour les jeunes, âgés entre 10 et 18 ans, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dès l'été 1946, et ce malgré le rationnement encore en vigueur, "les Mines fournissent tout"<ref>GIOVANETTI (René), Mines de Potasse d'Alsace. Histoire patrimoniale et sociale, Strasbourg, Editions Coprur, 2011, p. 99.</ref>, de l'équipement de la colonie à l'équipement des colons. Pour cette première année, les Mines font l'acquisition d'un domaine à Messigny, cependant le manque de temps nécessaire à l'installation de structures d'accueil, conjugué à une épidémie de poliomyélite interdisent la venue des colons pour l’été<ref>GIOVANETTI (René), ibid., p.99.</ref>. Le camp de Stosswihr, découvert par hasard par les responsables de la colonies quelques mois auparavant, ouvre en urgence. Au fil des années, ce domaine devient emblématique de "La Cigogne", accueillant aussi bien les filles que les [[Colonie_de_vacances_La_Cigogne_à_Stosswihr_(0160FS0002)|garçons]].  
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C'est dans cette logique que le comité central d'entreprise des MDPA souhaite organiser dès la fin de la Seconde Guerre mondiale des séjours pour les jeunes, âgés entre 10 et 18 ans. C'est chose faite dès l'été 1946, et ce malgré le rationnement encore en vigueur, "les Mines fournissent tout"<ref>GIOVANETTI (René), ''Mines de Potasse d'Alsace. Histoire patrimoniale et sociale'', Strasbourg, Editions Coprur, 2011, p. 99.</ref>, de l'équipement de la colonie à l'équipement des colons. Pour cette première année, les Mines font l'acquisition d'un domaine à Messigny, cependant le manque de temps nécessaire à l'installation de structures d'accueil, conjugué à une épidémie de poliomyélite interdisent la venue des colons pour l’été<ref>GIOVANETTI (René), ''ibid''., p.99.</ref>. Le camp de Stosswihr, découvert par hasard par les responsables de la colonies quelques mois auparavant, ouvre en urgence. Au fil des années, ce domaine devient emblématique de "La Cigogne", accueillant aussi bien les filles que les [[Colonie_de_vacances_La_Cigogne_à_Stosswihr_(0160FS0002)|garçons]].  
 
L'année suivante, le 9 juin 1947, l'Association des colonies de vacances des MDPA, "La Cigogne" est officiellement créée et compte six centres de colonies, parmi lesquels Stosswihr, Saint-Amand-de-Montrond et L'Isle-sur-le-Doubs accueillent des filles (voir image 2).
 
L'année suivante, le 9 juin 1947, l'Association des colonies de vacances des MDPA, "La Cigogne" est officiellement créée et compte six centres de colonies, parmi lesquels Stosswihr, Saint-Amand-de-Montrond et L'Isle-sur-le-Doubs accueillent des filles (voir image 2).
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'''Charles Bueb : un réalisateur au service de l'entreprise des MDPA'''
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L'encadrement des colonies de vacances et la "formation des moniteurs et directeurs devient à partir de 1944 une réelle priorité, , pour les organismes de colonies comme pour les pouvoirs publics, en vue de faire face à la croissance exponentielle des colonies"<ref>FUCHS (Julien), ''Le temps des jolies colonies de vacances'', Villeneuve d'Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2020, p. 259.</ref>. En sa qualité de professeur de sport, Charles Bueb est alors parfaitement qualifié pour accompagner les enfants des mineurs en colonies, répondant à la fois aux critères hygiénistes des besoins d'une éducation physiques et sportive et aux impératifs pédagogiques mis en avant par un Etat qui mise sur sa jeunesse en cette période de reconstruction.
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Passionné d'images, Charles Bueb met au profit des MDPA ses compétences. S'essayant aussi bien au film qu'à la photographie, il devient à partir de 1951 le photographe et cameraman de la Gazette des Mines. Il accorde par ailleurs une grande importance à ses fonctions, documentant le travail des ouvriers, la mécanisation des mines, mais aussi les oeuvres sociales de l'entreprise, dont font partie les colonies de vacances. Les images ici témoignent d'un réalisateur qui, dès 1946, profile un oeil déjà bien entraîné. Charles Bueb fait preuve non seulement d'une bonne technique mais aussi d'un matériel de bonne facture : il filme en 16mm, un format généralement réservé aux amateurs éclairés.
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'''"Silence, ça tourne!" : le film de la colonie des MDPA'''
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L'extrait s'ouvre sur une discussion légère devant l'entrée d'un bâtiment entre les monitrice du camp et un homme, Monsieur Guy Delaconte, le Directeur Général Adjoint des Mines. A la suite, le décor change et divers plans s'enchaînent : les fillettes admirent un panorama depuis un belvédère, font la ronde dans une clairière, puis le réalisateur effectue un panorama droit sur un plan d'eau. Le décor est posé : la nature entoure la colonie.
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Puis les filles, par petits groupes organisés, donnent un spectacle. Scènes de théâtre, numéros acrobatiques, chants de chorale et comiques d'enchaînent pendant près de 2 minutes 45 (01:05 - 03:45) face à un public d'adulte, épongeant sa sueur sous la chaleur d'un grand soleil d'été.
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Puis, à 03:45, les couleurs changent. Le noir et blanc est plus terni, moins contrasté et le lieu semble différent. Peut-être nous voilà en 1946, à Stosswihr, dans un camp fraichement installé?
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Devant les tentes, les fillettes en cercles jouent avec leur monitrices. Jeux de ballon, jeux de mîmes, elles affichent toutes le même grand sourire et ne semblent même pas remarquer la caméra. C'est qu'elles ont été préparée à l'exercice, comme en témoigne cette lettre, écrite par une pensionnaire à l'une de ses amies lui racontant sa journée du 1er août 1946 :
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''« […] Ce fut une journée de grande fête pour le camp de Stosswihr et nous l’attendions d’une grande impatience. Aussi, quand, de bon matin, la corne a sonné le réveil, nous avons été vite debout. Il fallait voir avec quelle rapidité nous allions à la toilette tandis que l’une de nous disait : « Aujourd'hui, visite de messieurs les Délégués du Comité d’Entreprise des Mines de Potasse d’Alsace S’ils nous font un grand honneur, nous sommes, nous, très contentes de les recevoir ! » […] »''
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À ces dates, les camps de vacances des Mines ne s'adonnaient pas encore à l'exercice de la mixité. Des pensionnaires jusqu'aux monitrices, la colonie est exclusivement féminine, et la présence de Charles Bueb ne peut relever que de l'exception, d'une journée particulière. L'opérateur et sa caméra sont donc étrangers au camp et se font remarquer, puisqu'ils sont également mentionné dans la lettre :
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''« […] Tandis que nous nous ébattions sur le terrain de jeux, au grand soleil, un Monsieur très gentil, mais un peu mystérieux se promenait, s’arrêtait et nous photographiait chaque fois que nos gestes lui plaisaient. Il parait qu’il tournait le film de la Colonie – Voilà le mystère ! Nous le verrons un jour j’espère ! »'' 
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Ce petit paragraphe nous fournit une information supplémentaire sur la pratique de Charles Bueb : il semblait apprécier la spontanéité des enfants et de leurs gestes, s'intéressant plus à comment jouent les enfants qu'à les faire jouer. Malgré tout, il est évident que certaines scènes sont clairement tournées pour les besoins du film de la colonie, notamment les dialogues des vingts dernières secondes où la timidité et l'hésitation transparaissent clairement.
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Le reste de la lettre décrit de manière semblable les images dont nous disposons. La visite du comité d'entreprise et la venue de Charles Bueb est donc un passage obligé de chaque session de colonie, ou tout du moins des années 1946-1948, et c'est certainement eux les adultes pour qui les filles ont donné leur spectacle.
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Le réalisateur s'est donné pour mission de monter les différentes séquences tournées entre ces trois années sur une seule et même bobine afin d'en faire un film sur la thématique des camps de vacances féminins.
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'''La colonie de vacances : entre éducation populaire, hygiène et pédagogie'''
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Ces visites sont l'occasion pour Charles Bueb de filmer et de mettre en avant les valeurs que souhaitent communiquer les organisateurs de la colonie de vacances. Les filles, bien apprêtées de leur uniforme - fourni par les Mines - et bien coiffées, se prêtent volontiers à l'exercice de la caméra. Elles font également preuve de disciplines : elles accourent au signal pour se mettre en rang (04:16), marchent au pas (04:24),  toujours souriantes. Et quel meilleur moyen pour illustrer la dimension éducative d'un séjour qu'un exercice de discipline réussi ?
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Mais cette éducation se veut aussi morale. Par la jeunesse, les pouvoirs publics souhaitent communiquer de nouveaux préceptes, notamment hygiéniques. S'ils ne sont pas directement visibles ici, la propreté des lieux, des vêtements et l'ordre demeurent un indice visuel. En effet, depuis 1945, et dans les années qui suivent, les colonies sont "pleinement imprégnées de leurs origines hygiéniques, du fait notamment de leur rôle dans la prévention de la tuberculose"<ref>FUCHS (Julien),''Le temps des jolies colonies de vacances'', Villeneuve-d'Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2020, p. 158.</ref>. L'Etat est à la recherche d'air pur pour la jeunesse et sa santé. Les grands espaces et la nature sont donc au coeur de la démarche : en colonie de vacances les enfants ont de l'espace pour jouer, pour s'amuser et surtout ''respirer''.
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Se développe alors pour cette "jeunesse en plein air" une pédagogie adaptée et qui doit attribuer une véritable valeur éducative à la colonie. On souhaite ainsi faire profiter aux enfants d'une "ouverture culturelle" telle que lors de visites par exemple (04:51) ou encore les mettre au contact d'un "esprit" pédagogique qui passe par des exercices de représentations comme le théâtre (01:05), le chant (02:06), les mîmes (04:04), ou encore de simples jeux (03:45). Toujours liée à cette dimension hygiéniste, on cherche aussi à faire bouger les enfants par des exercices de gymnastique (02:17) mais aussi par le biais d'activités qui sortent de l'ordinaire, comme faire de la barque sur un lac (05:16).
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En bref, ce film, sous ses allures de bobine oubliée, témoigne d'un âge d'or des colonies mais aussi de l'entreprise comme acteur social. Si la question de la non-mixité n'est pas abordée c'est que les images ne laissent pas transparaître une colonie conçue spécifiquement pour les filles et les MDPA disposent d'autant de camps pour filles que pour garçons. Ce film est donc axé autour d'un sujet précis : les bienfaits des colonies de vacances organisés par les MDPA.
 
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Version du 5 janvier 2021 à 16:12


[1] Avertissement[2]

Résumé


Un camp de vacances féminin, organisé par le comité d’entreprise des Mines Domaniales de Potasse d’Alsace et son association « La Cigogne », filmé par Charles Bueb entre 1946 et 1948.

Métadonnées

N° support :  0160FS0002
Date :  Entre 1946 et 1948
Coloration :  Noir et blanc
Son :  Muet
Durée :  00:06:20
Cinéastes :  Bueb, Charles
Format original :  16 mm
Genre :  Film amateur
Thématiques :  Mouvement de jeunesse - Education Scoutisme
Institution d'origine :  MIRA

Contexte et analyse


Dans cet extrait, le réalisateur Charles Bueb nous livre en 16mm des scènes de vie en noir et blanc d'un camp de vacances exclusivement féminin, organisé par le comité d'entreprise des Mines Domaniales de Potasse d'Alsace (MDPA) et son association "La Cigogne", fractionnées entre l'été 1946 et 1948.

L'absence de cartons et le montage simpliste du réalisateur ne nous permettent pas de situer temporellement et géographiquement les images avec exactitude. Cependant, la Gazette des Mines - qui rapporte les activités de l'entreprise de manière bimestrielle - nous procure un certain nombre de d'éléments, dont une photographie (voir image 1), permettant d'identifier un grand nombre de filles et de replacer au moins une partie des images au camp de L'Isle-sur-le-Doubs de 1947.

L'essor des colonies de vacances grace aux comités d'entreprise dans le contexte de l'après-guerre

Les colonies de vacances connaissent un succès retentissant dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. Encouragées par l'Etat, elles sont fortement appréciées, autant des enfants que des parents, et permettent en outre de faire voyager les jeunes alors que les départs en vacances sont encore un luxe pour une grande partie de la population. Rapidement, les colonies de vacances s'imposent comme un excellent moyen pour les comités d'entreprise de s'investir socialement pour leurs employés et leurs familles. Les Mines Domaniales de Potasse d'Alsace ne dérogent pas à cette philosophie associative. Elles s'impliquent déjà largement pour la qualité de vie de ses mineurs : logements de travail, écoles, pavillons de santé, centres sportifs mais aussi aides alimentaires et vestimentaire, en bref, les oeuvres sociales définissent l'esprit d'entreprise des MDPA dès ses débuts.

C'est dans cette logique que le comité central d'entreprise des MDPA souhaite organiser dès la fin de la Seconde Guerre mondiale des séjours pour les jeunes, âgés entre 10 et 18 ans. C'est chose faite dès l'été 1946, et ce malgré le rationnement encore en vigueur, "les Mines fournissent tout"[3], de l'équipement de la colonie à l'équipement des colons. Pour cette première année, les Mines font l'acquisition d'un domaine à Messigny, cependant le manque de temps nécessaire à l'installation de structures d'accueil, conjugué à une épidémie de poliomyélite interdisent la venue des colons pour l’été[4]. Le camp de Stosswihr, découvert par hasard par les responsables de la colonies quelques mois auparavant, ouvre en urgence. Au fil des années, ce domaine devient emblématique de "La Cigogne", accueillant aussi bien les filles que les garçons. L'année suivante, le 9 juin 1947, l'Association des colonies de vacances des MDPA, "La Cigogne" est officiellement créée et compte six centres de colonies, parmi lesquels Stosswihr, Saint-Amand-de-Montrond et L'Isle-sur-le-Doubs accueillent des filles (voir image 2).

Charles Bueb : un réalisateur au service de l'entreprise des MDPA

L'encadrement des colonies de vacances et la "formation des moniteurs et directeurs devient à partir de 1944 une réelle priorité, , pour les organismes de colonies comme pour les pouvoirs publics, en vue de faire face à la croissance exponentielle des colonies"[5]. En sa qualité de professeur de sport, Charles Bueb est alors parfaitement qualifié pour accompagner les enfants des mineurs en colonies, répondant à la fois aux critères hygiénistes des besoins d'une éducation physiques et sportive et aux impératifs pédagogiques mis en avant par un Etat qui mise sur sa jeunesse en cette période de reconstruction.

Passionné d'images, Charles Bueb met au profit des MDPA ses compétences. S'essayant aussi bien au film qu'à la photographie, il devient à partir de 1951 le photographe et cameraman de la Gazette des Mines. Il accorde par ailleurs une grande importance à ses fonctions, documentant le travail des ouvriers, la mécanisation des mines, mais aussi les oeuvres sociales de l'entreprise, dont font partie les colonies de vacances. Les images ici témoignent d'un réalisateur qui, dès 1946, profile un oeil déjà bien entraîné. Charles Bueb fait preuve non seulement d'une bonne technique mais aussi d'un matériel de bonne facture : il filme en 16mm, un format généralement réservé aux amateurs éclairés.

"Silence, ça tourne!" : le film de la colonie des MDPA

L'extrait s'ouvre sur une discussion légère devant l'entrée d'un bâtiment entre les monitrice du camp et un homme, Monsieur Guy Delaconte, le Directeur Général Adjoint des Mines. A la suite, le décor change et divers plans s'enchaînent : les fillettes admirent un panorama depuis un belvédère, font la ronde dans une clairière, puis le réalisateur effectue un panorama droit sur un plan d'eau. Le décor est posé : la nature entoure la colonie. Puis les filles, par petits groupes organisés, donnent un spectacle. Scènes de théâtre, numéros acrobatiques, chants de chorale et comiques d'enchaînent pendant près de 2 minutes 45 (01:05 - 03:45) face à un public d'adulte, épongeant sa sueur sous la chaleur d'un grand soleil d'été.

Puis, à 03:45, les couleurs changent. Le noir et blanc est plus terni, moins contrasté et le lieu semble différent. Peut-être nous voilà en 1946, à Stosswihr, dans un camp fraichement installé? Devant les tentes, les fillettes en cercles jouent avec leur monitrices. Jeux de ballon, jeux de mîmes, elles affichent toutes le même grand sourire et ne semblent même pas remarquer la caméra. C'est qu'elles ont été préparée à l'exercice, comme en témoigne cette lettre, écrite par une pensionnaire à l'une de ses amies lui racontant sa journée du 1er août 1946 :

« […] Ce fut une journée de grande fête pour le camp de Stosswihr et nous l’attendions d’une grande impatience. Aussi, quand, de bon matin, la corne a sonné le réveil, nous avons été vite debout. Il fallait voir avec quelle rapidité nous allions à la toilette tandis que l’une de nous disait : « Aujourd'hui, visite de messieurs les Délégués du Comité d’Entreprise des Mines de Potasse d’Alsace S’ils nous font un grand honneur, nous sommes, nous, très contentes de les recevoir ! » […] »

À ces dates, les camps de vacances des Mines ne s'adonnaient pas encore à l'exercice de la mixité. Des pensionnaires jusqu'aux monitrices, la colonie est exclusivement féminine, et la présence de Charles Bueb ne peut relever que de l'exception, d'une journée particulière. L'opérateur et sa caméra sont donc étrangers au camp et se font remarquer, puisqu'ils sont également mentionné dans la lettre :

« […] Tandis que nous nous ébattions sur le terrain de jeux, au grand soleil, un Monsieur très gentil, mais un peu mystérieux se promenait, s’arrêtait et nous photographiait chaque fois que nos gestes lui plaisaient. Il parait qu’il tournait le film de la Colonie – Voilà le mystère ! Nous le verrons un jour j’espère ! »

Ce petit paragraphe nous fournit une information supplémentaire sur la pratique de Charles Bueb : il semblait apprécier la spontanéité des enfants et de leurs gestes, s'intéressant plus à comment jouent les enfants qu'à les faire jouer. Malgré tout, il est évident que certaines scènes sont clairement tournées pour les besoins du film de la colonie, notamment les dialogues des vingts dernières secondes où la timidité et l'hésitation transparaissent clairement.

Le reste de la lettre décrit de manière semblable les images dont nous disposons. La visite du comité d'entreprise et la venue de Charles Bueb est donc un passage obligé de chaque session de colonie, ou tout du moins des années 1946-1948, et c'est certainement eux les adultes pour qui les filles ont donné leur spectacle. Le réalisateur s'est donné pour mission de monter les différentes séquences tournées entre ces trois années sur une seule et même bobine afin d'en faire un film sur la thématique des camps de vacances féminins.

La colonie de vacances : entre éducation populaire, hygiène et pédagogie

Ces visites sont l'occasion pour Charles Bueb de filmer et de mettre en avant les valeurs que souhaitent communiquer les organisateurs de la colonie de vacances. Les filles, bien apprêtées de leur uniforme - fourni par les Mines - et bien coiffées, se prêtent volontiers à l'exercice de la caméra. Elles font également preuve de disciplines : elles accourent au signal pour se mettre en rang (04:16), marchent au pas (04:24), toujours souriantes. Et quel meilleur moyen pour illustrer la dimension éducative d'un séjour qu'un exercice de discipline réussi ?

Mais cette éducation se veut aussi morale. Par la jeunesse, les pouvoirs publics souhaitent communiquer de nouveaux préceptes, notamment hygiéniques. S'ils ne sont pas directement visibles ici, la propreté des lieux, des vêtements et l'ordre demeurent un indice visuel. En effet, depuis 1945, et dans les années qui suivent, les colonies sont "pleinement imprégnées de leurs origines hygiéniques, du fait notamment de leur rôle dans la prévention de la tuberculose"[6]. L'Etat est à la recherche d'air pur pour la jeunesse et sa santé. Les grands espaces et la nature sont donc au coeur de la démarche : en colonie de vacances les enfants ont de l'espace pour jouer, pour s'amuser et surtout respirer.

Se développe alors pour cette "jeunesse en plein air" une pédagogie adaptée et qui doit attribuer une véritable valeur éducative à la colonie. On souhaite ainsi faire profiter aux enfants d'une "ouverture culturelle" telle que lors de visites par exemple (04:51) ou encore les mettre au contact d'un "esprit" pédagogique qui passe par des exercices de représentations comme le théâtre (01:05), le chant (02:06), les mîmes (04:04), ou encore de simples jeux (03:45). Toujours liée à cette dimension hygiéniste, on cherche aussi à faire bouger les enfants par des exercices de gymnastique (02:17) mais aussi par le biais d'activités qui sortent de l'ordinaire, comme faire de la barque sur un lac (05:16).

En bref, ce film, sous ses allures de bobine oubliée, témoigne d'un âge d'or des colonies mais aussi de l'entreprise comme acteur social. Si la question de la non-mixité n'est pas abordée c'est que les images ne laissent pas transparaître une colonie conçue spécifiquement pour les filles et les MDPA disposent d'autant de camps pour filles que pour garçons. Ce film est donc axé autour d'un sujet précis : les bienfaits des colonies de vacances organisés par les MDPA.


Article rédigé par

Clara Picarles, 28 décembre 2020


  1. En tant que partie d'une production amateur, cette séquence n'a pas reçu de titre de son réalisateur. Le titre affiché sur cette fiche a été librement forgé par son auteur dans le but de refléter au mieux son contenu.
  2. Cette fiche est en cours de rédaction. À ce titre elle peut être inachevée et contenir des erreurs.
  3. GIOVANETTI (René), Mines de Potasse d'Alsace. Histoire patrimoniale et sociale, Strasbourg, Editions Coprur, 2011, p. 99.
  4. GIOVANETTI (René), ibid., p.99.
  5. FUCHS (Julien), Le temps des jolies colonies de vacances, Villeneuve d'Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2020, p. 259.
  6. FUCHS (Julien),Le temps des jolies colonies de vacances, Villeneuve-d'Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2020, p. 158.