Bas:Ruines de guerre (0011FS0018) : Différence entre versions

 
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Plusieurs plans suivent des passants déambulant dans les décombres, deux femmes sourient à la caméra tandis qu’une autre portant une coiffe traditionnelle alsacienne, se penche depuis une fenêtre pour observer les alentours.<br>
 
Plusieurs plans suivent des passants déambulant dans les décombres, deux femmes sourient à la caméra tandis qu’une autre portant une coiffe traditionnelle alsacienne, se penche depuis une fenêtre pour observer les alentours.<br>
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|Contexte_et_analyse_fr=La libération du territoire alsacien s’étalant de novembre 1944 jusqu’en mars 1945 a provoqué de terribles destructions, les deux départements font partis des cinq plus sinistrés de France. Le bilan humain et matériel est lourd : près de 50 000 victimes (environ 5% de la population alsacienne de 1939) ont été recensées, plus de 400 usines et environ 8% du patrimoine immobilier résidentiel ont été détruits. Dans ce contexte spécifique rude et difficile, une volonté de figer sur pellicules les ruines de guerre a conduit ce filmeur à immortaliser un paysage dévasté.<br>
  
La libération du territoire alsacien s’étalant de novembre 1944 jusqu’en mars 1945 a provoqué de terribles destructions, les deux départements font partis des cinq plus sinistrés de France. Le bilan humain est matériel est lourd : près de 50 000 victimes (environ 5% de la population alsacienne de 1939) ont été recensés, plus de 400 usines et environ 8% du patrimoine immobilier résidentiel ont été détruits. Dans ce contexte spécifique rude et difficile, une volonté de figer sur pellicules les ruines de guerre a conduit ce filmeur à immortaliser un paysage dévasté.
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'''Un bilan d’une libération difficile'''
Un bilan d’une libération difficile<br>
 
  
Une première succession de plan rapproche le spectateur des restes d’une casemate, d’un abri fortifié et armé, constituant un point défensif de la Ligne Maginot. La casemate filmée est vraisemblablement une casemate d’intervalle construite sous la direction de la CORF (Commission d'Organisation des Régions Fortifiées, l’acronyme désigne également le type de fortification). Ce type de casemate peut être identifié à la date (1931) présente sur la plaque située au-dessus de l’une des entrées (0 :46), de plus, il est grandement présent dans la Région Fortifiée de la Lauter (RFL) où tourne sûrement le filmeur. Ce dernier se permet d’approcher la caméra au plus près de la dalle de béton protectrice partiellement détruite, filmant ainsi sous plusieurs angles les ruines, et laissant donc rapidement apercevoir l’intérieur de la fortification. Cette casemate étant en territoire occupée, elle était devenue un frein à la libération du territoire alsacien par l’armée américaine, soutenue par des renforts français envoyés par de Gaulle (afin d’enrayer l’opération Nordwind, une opération de contre-attaque de l’armée allemande). Filmer une casemate n’est pas un acte anodin. Il s’agit d’un lieu concret et marquant d’un conflit ayant vu les technologies de fortifications militaires se développer, mais pour le cas d’une casemate comprise dans la Ligne Maginot, il s’agit également de rappeler avec amertume l’échec qu’était le projet au début de la guerre.<br>
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[[Fichier:Dans la Ligne Maginot.png|vignette|droite|''Dans la Ligne Maginot'', SOULAS Louis-Joseph (1905 - 1954) , Paris - Musée de l'Armée, Dist. RMN-Grand Palais.]]
  
Dans la Ligne Maginot, SOULAS Louis-Joseph (1905 - 1954) , Paris - Musée de l'Armée, Dist. RMN-Grand Palais.<br>
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Une première succession de plans rapproche le spectateur des restes d’une casemate, d’un abri fortifié et armé, constituant un point défensif de la Ligne Maginot. La casemate filmée est vraisemblablement une casemate d’intervalle construite sous la direction de la CORF (Commission d'Organisation des Régions Fortifiées, l’acronyme désigne également le type de fortification). Ce type de casemate peut être identifié à la date (1931) présente sur la plaque située au-dessus de l’une des entrées (0 :46), de plus, il est grandement présent dans la Région Fortifiée de la Lauter (RFL) où tourne sûrement le filmeur. Ce dernier se permet d’approcher la caméra au plus près de la dalle de béton protectrice partiellement détruite, filmant ainsi sous plusieurs angles les ruines, et laissant donc rapidement apercevoir l’intérieur de la fortification. Cette casemate étant en territoire occupé, elle était devenue un frein à la libération du territoire alsacien par l’armée américaine, soutenue par des renforts français envoyés par de Gaulle (afin d’enrayer l’opération ''Nordwind'', une opération de contre-attaque de l’armée allemande). Filmer une casemate n’est pas un acte anodin. Il s’agit d’un lieu concret et marquant d’un conflit ayant vu les technologies de fortifications militaires se développer, mais pour le cas d’une casemate comprise dans la Ligne Maginot, il s’agit également de rappeler avec amertume l’échec qu’était le projet au début de la guerre.<br>
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[[Fichier:Façade du Musée Mémorial de la Ligne Maginot du Rhin.jpg|vignette|droite|Façade de la casemate 35-3 située à Marckolsheim aménagée en Musée Mémorial de la ligne Maginot du Rhin.]]<br>
  
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Filmer une casemate témoigne également d’un phénomène s’étant développé depuis les années 1930, celui du tourisme des ruines, et plus spécifiquement du tourisme des ruines de guerre. Sans aller jusqu’à parler de fascination morbide, la contemplation des ruines de guerre fascine étant donné son caractère mémoriel (qui évoluera en concordance avec les demandes mémorielles des générations postérieures) mais surtout par son aspect concret. La ruine d’aujourd’hui est un vestige irréfutable d’un évènement du passé, et c’est d’autant plus vrai pour notre filmeur qui tourne (dans la même optique que certains photographes pour la première guerre mondiale) quelques mois peut-être après la fin de la guerre, guerre ayant conduit à la destruction de cette casemate et donc à la production de la ruine (0 :00 ; 0 :51). Les ruines de guerre appartiennent au patrimoine historique, dans ce sens elles sont mises en valeur dans des cadres pédagogiques et touristiques, et ce depuis les années 1970. Certaine d’entre elles sont ainsi devenus des lieux de commémorations (comme c’est le cas pour certaines casemates portant des plaques commémoratives présentes dans le secteur de Saint-Louis par exemple).<br>
  
Le filmeur dresse également un panorama du paysage urbain (plusieurs maisons, vraisemblablement une usine et quelques bâtiments non identifiables) et rural (ferme, champs, et arbres) dévasté. Une légère contre-plongée réalisée intuitivement guide le regard du spectateur vers les toitures détruites par les bombardements. Même si dans certains cas les murs sont restés intactes, la charpente des toits mise à nue témoigne des assauts aériens sur des bâtiments civils (les frais de reconstruction du patrimoine immobilier ont été évalués à 140 milliards de francs en 1948). Quelques plans sur les ruines d’une usine presque entièrement rasée (3 :04 ; 3 :22) témoignent de l’acharnement des bombardements effectués et de la volonté de couper la production ennemie. Ces bombardements ont eu des répercussions sur l’industrie et a fortiori sur l’économie déjà affaiblie par les pillages. À cela s’ajoutaient des spoliations par la réquisition de machines et de marchandise ainsi que par la souscription à des bons du Trésor allemand imposés. Une grande partie de l’équipement militaire et agricole avait été rendu inutilisable et nombres de terres agricoles sont restées en friches (3 :10 ; 3 :13) pendant des années là où les combats ont été les plus intenses. Ici, la caméra dresse un bilan matériel mais aussi économique de l’état d’une partie de l’Alsace restée exsangue après cinq années d’annexion.<br>
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Le filmeur dresse également un panorama du paysage urbain (plusieurs maisons, vraisemblablement une usine et quelques bâtiments non identifiables) et rural (ferme, champs, et arbres) dévasté. Une légère contre-plongée réalisée intuitivement guide le regard du spectateur vers les toitures détruites par les bombardements. Même si dans certains cas les murs sont restés intactes, la charpente des toits mise à nue témoigne des assauts aériens sur des bâtiments civils (les frais de reconstruction du patrimoine immobilier ont été évalués à 140 milliards de francs en 1948). Quelques plans sur les ruines d’une usine presque entièrement rasée (3 :04 ; 3 :22) témoignent de l’acharnement des bombardements effectués et de la volonté de couper la production ennemie. Ces bombardements ont eu des répercussions sur l’industrie et ''a fortiori'' sur l’économie déjà affaiblie par les pillages. À cela s’ajoutaient des spoliations par la réquisition de machines et de marchandises ainsi que par la souscription à des bons du Trésor allemand imposées. Une grande partie de l’équipement militaire et agricole avait été rendu inutilisable et nombres de terres agricoles sont restées en friches (3 :10 ; 3 :13) pendant des années là où les combats ont été les plus intenses. Ici, la caméra dresse un bilan matériel mais aussi économique de l’état d’une partie de l’Alsace restée exsangue après cinq années d’annexion.<br>
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[[Fichier:Strasbourg-13_quai_Kléber-Entr'aide_française-1946.jpg|vignette|droite|Maquette d'affiche de la délégation du Bas-Rhin (1946).]]
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Entre les ruines de guerres, plusieurs travailleurs ont déjà commencé à déblayer les débris et à dégager la voirie. Ces quelques plans où la caméra s’arrête sur ces derniers cristallisent le commencement des travaux de reconstruction, s’organisant peu à peu, d’abord autour des axes de communication (1 :57 ; 2 :06). Cette reconstruction est également une reconstruction sociale, dans ce contexte d’épuration légale ou sauvage, et commence par des aides officielles telle que l’Entraide française (2 :16 ; 2 :21), présidée par Justin Godart (1871-1956) de 1945 à 1947. L’Entraide française était un organisme de solidarité succédant au Secours National après la guerre, qui comprenait des services centraux et départementaux. Il sollicitait la Chambre syndicale de la couture parisienne qui organise Le Théâtre de la Mode et lui reverse tous les bénéfices de ce spectacle. Il avait pour but de venir en aide aux plus sinistrés par la guerre, et cela grâce à de la distribution de vivres. Cette solidarité se concrétisait à travers des camions de vivres se déplaçant jusqu’au points les plus touchés par la guerre (2 :19 ; 2 :21).<br>
  
Entre les ruines de guerres, plusieurs travailleurs ont déjà commencer à déblayer les débris et à dégager la voierie. Ces quelques plans où la caméra s’arrêtent sur ces derniers cristallisent le commencement des travaux de reconstruction, s’organisant peu à peu, d’abord autour des axes de communications (1 :57 ; 2 :06). Cette reconstruction est également une reconstruction sociale, dans ce contexte d’épuration légal ou sauvage, et commence par des aides officielles telle que l’Entraide française (2 :16 ; 2 :21), présidée par Justin Godart (1871-1956) de 1945 à 1947. L’Entraide française était un organisme de solidarité succédant au Secours National après la guerre, qui comprenait des services centraux et départementaux. Il sollicitait la Chambre syndicale de la couture parisienne qui organise Le Théâtre de la Mode et lui reverse tous les bénéfices de ce spectacle. Il avait pour but de venir en aide aux plus sinistrés par la guerre, et cela grâce à de la distribution de vivres. Cette solidarité se concrétisait à travers des camions de vivres se déplaçant jusqu’au points les plus touchés par la guerre (2 :19 ; 2 :21).<br>
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Ce film dresse finalement un portrait démographique de l’Alsace de la Libération. Les femmes souriantes à la caméra (3 :25 ; 3 :30) et les jeunes hommes dégageant les ruines représentent cette Alsace exsangue ayant subie une forte épuration économique, administrative, mais également sociale menée par les autorités françaises. L’épuration touche en effet une région annexée de fait et non pas simplement une région occupée. Tandis que pour le reste du de la France ceux qui ont collaboré avec l’occupant le firent volontairement, les nazis ne demandant finalement qu’une collaboration réglementaire et non pas une adhésion de tous les jours, beaucoup d’Alsaciens étaient contraints à une collaboration physique et morale durant les quatre ans de cette annexion.<br>
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|Bibliographie=BRODIEZ-DOLINO (Axelle), « Entraide française, structure de transition », dans ''Combattre la pauvreté'' : Vulnérabilité sociales et sanitaires de 1880 à nos jours, Paris : CNRS Éditions, 2013.<br>
  
Maquette d'affiche de la délégation du Bas-Rhin (1946).<br>
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Jean-Marie GUILLON, « LIBÉRATION, France (1944-1946) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 13 avril 2021. URL : http://www.universalis-edu.com.acces-distant.bnu.fr/encyclopedie/liberation-france/<br>
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HAU (Michel), VOGLER (Bernard), ''Histoire économique de l’Alsace, Croissance, crises, innovations : vingt siècles de développement régional'', Strasbourg : La Nuée Bleue, pp. 300-305.<br>
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KOHSER-SPOHN (Christiane), « L’épuration économique en Alsace », dans BERGÈRE (Marc) (dir.),  ''L’épuration économique en France à la Libération'', Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 147-162.<br>
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MICHONNEAU (Stéphane), « De la ruine-mémorial à la ruine-trace », dans ''Le Débat'', nᵒ 198, 2018, p.162-170.<br>
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RIEDWEG (Eugène), ''La Libération de l’Alsace'', Septembre 1944-Mars 1945, Paris : Tallandier, 2014.<br>
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SCOTT (Diane), « Nos ruines », dans ''Vacarme'', nᵒ 60, 2012, p. 164-198.<br>
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SIRINELLI (Jean-François) (dir.),  ''La France de 1914 à nos jours'', Chapitre 5 « La France dans la seconde guerre mondiale (1939-1945) », Paris : PUF, pp. 165-220.<br>
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VONAU (Jean-Laurent), ''L’Épuration en Alsace''. La face méconnue de la Libération 1944-1953, Strasbourg : Éditions du Rhin, 2005.<br>
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VOGLER (Bernard),  ''Histoire de l’Alsace'', Rennes ; Éditions Ouest-France, pp. 51-56.<br>
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https://wikimaginot.eu/V70_glossaire_detail.php?id=100051
 
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Version actuelle datée du 27 avril 2021 à 15:32


[1] Avertissement[2]

Résumé


Résumé

Caméra à la main, un filmeur anonyme déambule parmi les décombres d’un des territoires les plus touchés par les destructions causées par la guerre, celui du Nord de l’Alsace (vraisemblablement dans les alentours de Lauterbourg). Passants, ruines et paysages détruits sont les objets d’attention d’un amateur désirant conserver sur pellicule ces visions de destruction, dressant involontairement un bilan des dégâts causés par la guerre.

Description


Description

0 :00 ; 0 :51
Plans successifs se rapprochant peu à peu d’une casemate détruite. Un homme faisant dos à la caméra observe les décombres (0 :31).
0 :52 ; 0 :00
Succession de plan montrant des bâtiments en ruines, d’abord une ferme (0 :52 ; 0 :58), puis une rue avec des maisons à colombages dont la charpente est à nu (0 :59 ; 1 :29).
1 :30 ; 2 :15
Des hommes déblayent les débris autours des ruines à l’aide de chariots et des wagonnets.
2 :16 ; 2 :21
Un gros plan met en avant une affiche circulaire de l « Entr’aide française » placée devant un bâtiment en ruine. Puis un second plan montre l’avant d’un camion portant la même affiche « Entr’aide française » que sur le plan précèdent, le conducteur semble observer la caméra un cours instant.
2 :22 ; 2 :57
Une autre succession de plans rapides sur des ruines.
2 :58 ; 3 :08
Gros plan balayant un Christ en croix de haut en bas, les jambes de ce dernier, brisées, ont été placées sur le socle de la croix.
3 :09 ; 4 :00
Plusieurs plans suivent des passants déambulant dans les décombres, deux femmes sourient à la caméra tandis qu’une autre portant une coiffe traditionnelle alsacienne, se penche depuis une fenêtre pour observer les alentours.

Métadonnées

N° support :  0011FS0018
Date :  1945
Coloration :  Noir et blanc
Son :  Muet
Timecode :  00:02:27
Durée :  00:00:00
Format original :  16 mm
Genre :  Film amateur
Institution d'origine :  MIRA

Contexte et analyse


La libération du territoire alsacien s’étalant de novembre 1944 jusqu’en mars 1945 a provoqué de terribles destructions, les deux départements font partis des cinq plus sinistrés de France. Le bilan humain et matériel est lourd : près de 50 000 victimes (environ 5% de la population alsacienne de 1939) ont été recensées, plus de 400 usines et environ 8% du patrimoine immobilier résidentiel ont été détruits. Dans ce contexte spécifique rude et difficile, une volonté de figer sur pellicules les ruines de guerre a conduit ce filmeur à immortaliser un paysage dévasté.

Un bilan d’une libération difficile

Dans la Ligne Maginot, SOULAS Louis-Joseph (1905 - 1954) , Paris - Musée de l'Armée, Dist. RMN-Grand Palais.

Une première succession de plans rapproche le spectateur des restes d’une casemate, d’un abri fortifié et armé, constituant un point défensif de la Ligne Maginot. La casemate filmée est vraisemblablement une casemate d’intervalle construite sous la direction de la CORF (Commission d'Organisation des Régions Fortifiées, l’acronyme désigne également le type de fortification). Ce type de casemate peut être identifié à la date (1931) présente sur la plaque située au-dessus de l’une des entrées (0 :46), de plus, il est grandement présent dans la Région Fortifiée de la Lauter (RFL) où tourne sûrement le filmeur. Ce dernier se permet d’approcher la caméra au plus près de la dalle de béton protectrice partiellement détruite, filmant ainsi sous plusieurs angles les ruines, et laissant donc rapidement apercevoir l’intérieur de la fortification. Cette casemate étant en territoire occupé, elle était devenue un frein à la libération du territoire alsacien par l’armée américaine, soutenue par des renforts français envoyés par de Gaulle (afin d’enrayer l’opération Nordwind, une opération de contre-attaque de l’armée allemande). Filmer une casemate n’est pas un acte anodin. Il s’agit d’un lieu concret et marquant d’un conflit ayant vu les technologies de fortifications militaires se développer, mais pour le cas d’une casemate comprise dans la Ligne Maginot, il s’agit également de rappeler avec amertume l’échec qu’était le projet au début de la guerre.

Façade de la casemate 35-3 située à Marckolsheim aménagée en Musée Mémorial de la ligne Maginot du Rhin.

Filmer une casemate témoigne également d’un phénomène s’étant développé depuis les années 1930, celui du tourisme des ruines, et plus spécifiquement du tourisme des ruines de guerre. Sans aller jusqu’à parler de fascination morbide, la contemplation des ruines de guerre fascine étant donné son caractère mémoriel (qui évoluera en concordance avec les demandes mémorielles des générations postérieures) mais surtout par son aspect concret. La ruine d’aujourd’hui est un vestige irréfutable d’un évènement du passé, et c’est d’autant plus vrai pour notre filmeur qui tourne (dans la même optique que certains photographes pour la première guerre mondiale) quelques mois peut-être après la fin de la guerre, guerre ayant conduit à la destruction de cette casemate et donc à la production de la ruine (0 :00 ; 0 :51). Les ruines de guerre appartiennent au patrimoine historique, dans ce sens elles sont mises en valeur dans des cadres pédagogiques et touristiques, et ce depuis les années 1970. Certaine d’entre elles sont ainsi devenus des lieux de commémorations (comme c’est le cas pour certaines casemates portant des plaques commémoratives présentes dans le secteur de Saint-Louis par exemple).

Le filmeur dresse également un panorama du paysage urbain (plusieurs maisons, vraisemblablement une usine et quelques bâtiments non identifiables) et rural (ferme, champs, et arbres) dévasté. Une légère contre-plongée réalisée intuitivement guide le regard du spectateur vers les toitures détruites par les bombardements. Même si dans certains cas les murs sont restés intactes, la charpente des toits mise à nue témoigne des assauts aériens sur des bâtiments civils (les frais de reconstruction du patrimoine immobilier ont été évalués à 140 milliards de francs en 1948). Quelques plans sur les ruines d’une usine presque entièrement rasée (3 :04 ; 3 :22) témoignent de l’acharnement des bombardements effectués et de la volonté de couper la production ennemie. Ces bombardements ont eu des répercussions sur l’industrie et a fortiori sur l’économie déjà affaiblie par les pillages. À cela s’ajoutaient des spoliations par la réquisition de machines et de marchandises ainsi que par la souscription à des bons du Trésor allemand imposées. Une grande partie de l’équipement militaire et agricole avait été rendu inutilisable et nombres de terres agricoles sont restées en friches (3 :10 ; 3 :13) pendant des années là où les combats ont été les plus intenses. Ici, la caméra dresse un bilan matériel mais aussi économique de l’état d’une partie de l’Alsace restée exsangue après cinq années d’annexion.

Maquette d'affiche de la délégation du Bas-Rhin (1946).

Entre les ruines de guerres, plusieurs travailleurs ont déjà commencé à déblayer les débris et à dégager la voirie. Ces quelques plans où la caméra s’arrête sur ces derniers cristallisent le commencement des travaux de reconstruction, s’organisant peu à peu, d’abord autour des axes de communication (1 :57 ; 2 :06). Cette reconstruction est également une reconstruction sociale, dans ce contexte d’épuration légale ou sauvage, et commence par des aides officielles telle que l’Entraide française (2 :16 ; 2 :21), présidée par Justin Godart (1871-1956) de 1945 à 1947. L’Entraide française était un organisme de solidarité succédant au Secours National après la guerre, qui comprenait des services centraux et départementaux. Il sollicitait la Chambre syndicale de la couture parisienne qui organise Le Théâtre de la Mode et lui reverse tous les bénéfices de ce spectacle. Il avait pour but de venir en aide aux plus sinistrés par la guerre, et cela grâce à de la distribution de vivres. Cette solidarité se concrétisait à travers des camions de vivres se déplaçant jusqu’au points les plus touchés par la guerre (2 :19 ; 2 :21).

Ce film dresse finalement un portrait démographique de l’Alsace de la Libération. Les femmes souriantes à la caméra (3 :25 ; 3 :30) et les jeunes hommes dégageant les ruines représentent cette Alsace exsangue ayant subie une forte épuration économique, administrative, mais également sociale menée par les autorités françaises. L’épuration touche en effet une région annexée de fait et non pas simplement une région occupée. Tandis que pour le reste du de la France ceux qui ont collaboré avec l’occupant le firent volontairement, les nazis ne demandant finalement qu’une collaboration réglementaire et non pas une adhésion de tous les jours, beaucoup d’Alsaciens étaient contraints à une collaboration physique et morale durant les quatre ans de cette annexion.

Bibliographie


BRODIEZ-DOLINO (Axelle), « Entraide française, structure de transition », dans Combattre la pauvreté : Vulnérabilité sociales et sanitaires de 1880 à nos jours, Paris : CNRS Éditions, 2013.

Jean-Marie GUILLON, « LIBÉRATION, France (1944-1946) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 13 avril 2021. URL : http://www.universalis-edu.com.acces-distant.bnu.fr/encyclopedie/liberation-france/

HAU (Michel), VOGLER (Bernard), Histoire économique de l’Alsace, Croissance, crises, innovations : vingt siècles de développement régional, Strasbourg : La Nuée Bleue, pp. 300-305.

KOHSER-SPOHN (Christiane), « L’épuration économique en Alsace », dans BERGÈRE (Marc) (dir.), L’épuration économique en France à la Libération, Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 147-162.

MICHONNEAU (Stéphane), « De la ruine-mémorial à la ruine-trace », dans Le Débat, nᵒ 198, 2018, p.162-170.

RIEDWEG (Eugène), La Libération de l’Alsace, Septembre 1944-Mars 1945, Paris : Tallandier, 2014.

SCOTT (Diane), « Nos ruines », dans Vacarme, nᵒ 60, 2012, p. 164-198.

SIRINELLI (Jean-François) (dir.), La France de 1914 à nos jours, Chapitre 5 « La France dans la seconde guerre mondiale (1939-1945) », Paris : PUF, pp. 165-220.

VONAU (Jean-Laurent), L’Épuration en Alsace. La face méconnue de la Libération 1944-1953, Strasbourg : Éditions du Rhin, 2005.

VOGLER (Bernard), Histoire de l’Alsace, Rennes ; Éditions Ouest-France, pp. 51-56.

https://wikimaginot.eu/V70_glossaire_detail.php?id=100051


Article rédigé par

Thomas Parisot, 18 avril 2021


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  2. Cette fiche est en cours de rédaction. À ce titre elle peut être inachevée et contenir des erreurs.