Le 11 Novembre 1932 à Strasbourg (0052FN0014) : Différence entre versions

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Version du 25 octobre 2018 à 08:17


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Événements filmés ou en lien


Cérémonie du 11-Novembre

Description


Image granuleuse, sépia : une fanfare joue dans une clairière sous la conduite de son chef d’orchestre, au premier plan tout à droite un homme prend des photos. Un officier sur son cheval. Des brigades de pompiers défilent au premier plan de droite à gauche, bref plan sur les jambes. Quelques plans aveugles, comme si la caméra n’était pas éteinte. Un autre officier à cheval passe, suivi de fantassins, de canons sur leurs affûts. Lent panoramique droite, puis rapide retour au même point en face de l’opérateur : la fanfare. Bref plan de trois militaires au repos marchant ensemble. Bougés de caméra. Gros plan sur le drapeau tricolore. L’opérateur, placé derrière un cordon de soldats, filme le défilé par-dessus les casques place de la République à Strasbourg. Des drapeaux sont suspendus aux fils électriques du tramway. Un général décoré de la croix de guerre passe à cheval, plan américain en contre-plongée. Deux officiels passent à pied, plan sur la foule des spectateurs. Les unités défilent, la Bibliothèque en arrière-plan. La tribune officielle sur le perron du Palais du Rhin. Retour à la position initiale derrière les soldats casqués. Des marins défilent de dos, des anciens combattants médaillés défilent de face, ils portent des étendards et sont accompagnés de quelques femmes, d’un enfant. Groupe compact de porte-drapeaux, la caméra suit un drapeau sur fond d’arbres sans feuilles. Un officier à cheval s’éloigne vers la rue du Maréchal Foch, suivi par deux autres. Deux avions passent dans le ciel.

Métadonnées

N° support :  0052FN0014
Date :  11 novembre 1932
Coloration :  Noir et blanc
Son :  Muet
Durée :  00:01:55
Cinéastes :  Meyer, Jean
Format original :  9,5 mm
Langue :  Français
Genre :  Film amateur
Thématiques :  Première Guerre mondiale, Seconde Guerre mondiale : avant-guerre, Conscrits, Fête nationale
Institution d'origine :  MIRA

Contexte et analyse


Objet d’un contentieux géopolitique depuis 1870, l’Alsace représente le premier champ de bataille de la Première Guerre mondiale. Dès la mi août 1914, le front se stabilise sans connaître aucune offensive d’envergure, seuls de violents combats localisés embrasent les sommets vosgiens. La révolution allemande du 9 novembre fait osciller Strasbourg entre république « soviétique » et République française ; le 21 novembre, l’armée française entre dans une ville déjà pacifiée. Strasbourg devient la vitrine de la francisation (parfois brutale) de l’ancienne « province perdue », avec son commissariat général ou son université réactivée avec les meilleurs chercheurs. La loi du 24 juillet 1925 achève la transition en imposant toutes les lois de la République en Alsace ; un an plus tard naît un mouvement autonomiste autour du Heimatbund qui, quoique sévèrement réprimé, gagne de plus en plus de suffrages. La République se retrouve assiégée de l’intérieur et de l’extérieur : en 1930-1931, deux lignes de défense du Rhin naissent sous l’impulsion du ministre de la guerre Maginot.

Le 11-Novembre, fête républicaine

À compter de 1920, le 11 Novembre s’inscrit dans la politique de promotion de la IIIe République, confortée par sa victoire et sa revanche sur la Défaite de 1870[2]. Les unités de la région militaire qui passent en revue inscrivent le territoire dans la République, de même que les responsables politiques bien visibles dans le cortège. Meyer insiste en particulier sur le drapeau français: il occupe tout l’espace de l’écran pendant 11 secondes, ceux qui sont accrochés aux fils du tramway sont aussi fixés longuement. Les anciens combattants, pour leur part, attestent la victoire mais témoignent aussi des épreuves endurées : leurs drapeaux décorés, qui attirent l'attention du cinéaste, plaident une vision patriotique du premier conflit mondial, mais leur costume civil et leur visage fermé offrent une tonalité plus pacifique. À côté de la cérémonie parisienne qui a profité du chemin ouvert par la fête de la victoire du 14 juillet 1919[3] – plus que des défilés qui ont suivi l’armistice proprement dit en 1918 – chaque cité en offre aux citoyens une réplique à la hauteur de son rôle local. Strasbourg, capitale de l’Alsace retrouvée, possède à ce titre une importance spécifique. Le film de Jean Meyer, muet comme le sont les films amateur à l’époque, ne retranscrit qu’en partie la scénographie – pavoisement, défilé des unités, et surtout atmosphère sonore où les fanfares rivalisent, et où la minute de silence ne s’entend pas[4]. C’est pourtant à cette époque que le cinéma devient parlant en France, les Actualités Pathé faisant l’expérience dès 1930.

L’esthétique du défilé militaire

Profitant de l’occasion que représente ce jour férié, le cinéaste amateur s’inscrit dans l’horizon culturel des spectateurs de cinéma de l’époque en filmant un sujet favori des actualités : le défilé militaire. À Paris, chaque 11 novembre, c’est la partie de la cérémonie à laquelle on accorde le plus de temps de film, et les plus gros moyens techniques. On peut voir là l’héritage du cinéma des premiers temps, durant la période de la « Paix armée », et de la Grande Guerre qui faute de pouvoir filmer les combats, en documentait la préparation pour faire la propagande de l’effort militaire national[5]. Comme dans les actualités filmées, Meyer filme à la fois les militaires en rang, les événements particuliers (galop de l’officier, avions dans le ciel), et le public. Dans la première partie de la bobine, on assiste à une revue militaire en bonne et due forme, que l’opérateur capte dans le détail mais non sans erreurs (bougés, oubli d'arrêt de la caméra). Dans la seconde partie, à la différence de ces films professionnels, il doit frayer un chemin à l’œil de sa caméra par-dessus les épaules de la garde d’honneur du défilé. Il fixe cet espace alternativement vide et plein : pas plus que le public de 1932, le spectateur de son film ne peut saisir la logique d’ensemble. Il réserve sa pellicule à ce que tout le monde regarde, mais ne cherche pas à saisir pas les attitudes des simples citoyens, que l’on devine à peine. L'opérateur était sans doute seul à filmer ce jour-là un événement local et national qu'il comptait peut-être présenter ensuite à des proches qui n'y auraient pas assisté.

L’occupation de l’espace symbolique

Enfin, le film se place au cœur d’un implicite que décodaient sans peine les contemporains du cinéaste amateur : celui d’une transformation symbolique de la ville après la reconquête de 1918. Si l’espace naturel servant de cadre à la revue militaire reste anonyme, le défilé se déroule bien place de la République et rue du Maréchal-Foch. Ce lieu représente le cœur du quartier de la Neustadt construite sous le Second Reich allemand sur les plans de l’architecte Johann Carl Ott. Depuis son achèvement en 1887, la Kaiserplatz constitue le centre politique du nouveau Land annexé. Elle se compose du palais impérial, résidence de Guillaume II quand il venait à Strasbourg, de la bibliothèque impériale dotée d’ouvrages issus des plus belles collections allemandes, et de la Diète d’Alsace-Lorraine (aujourd’hui le Théâtre National de Strasbourg). Chaque 11-Novembre, le défilé rejoue ainsi la conquête et remplace la propagande allemande et impériale par son contraire, une propagande française et républicaine.

Lieux ou monuments


Place de la République, Strasbourg

Bibliographie


Vincent Auzas, La commémoration du 11-Novembre à Paris, 1919-2012, Mémoire de thèse soutenu en 2013 sous la direction de Henry Rousso (IHTP-CNRS, Paris).

Roland Recht, Jean-Claude Richez (dir.), Dictionnaire culturel de Strasbourg : 1880-1930, Presses universitaires de Strasbourg, Strasbourg, 2017.



  1. En tant que partie d'une production amateur, cette séquence n'a pas reçu de titre de son réalisateur. Le titre affiché sur cette fiche a été librement forgé par son auteur dans le but de refléter au mieux son contenu.
  2. Olivier Ihl, La Fête républicaine, Gallimard, Paris, 1996.
  3. Annette Becker, Du 14 juillet 1919 au 11 novembre 1920 mort, où est ta victoire ?, Vingtième Siècle. Revue d'histoire Année 1996 49 pp. 31-44 .
  4. Vincent Auzas, La commémoration du 11-Novembre à Paris, 1919-2012, chapitre 3.
  5. Laurent Véray, L'Avènement d'une culture visuelle de guerre. Le cinéma en France de 1914 à 1928, Nouvelles éditions Place, Paris, 2019.