Route du vin (0075FS0007) : Différence entre versions
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[[Fichier:Sur_la_Route_du_vin_-_caméra_embarquée.PNG|400px|thumb|left|Image de la caméra embarquée, tirée du film, MIRA.]] | [[Fichier:Sur_la_Route_du_vin_-_caméra_embarquée.PNG|400px|thumb|left|Image de la caméra embarquée, tirée du film, MIRA.]] | ||
− | Ce film amateur démontre les talents du réalisateur Jean-Georges Kugler. Lui, qui a l’habitude de projeter ses films à la maison le dimanche, lors des fêtes de famille ou au cinéma associatif de Ribeauvillé, propose cette fois-ci des séquences inhabituelles à la vue de ses spectateurs. Il commence par une séquence de caméra embarquée à bord d’une voiture sur la route qui relie Ribeauvillé et Bergheim. L’image est stable par rapport aux éléments visibles du véhicule, ce qui tend à montrer que l’appareil est directement fixé à la voiture et non pas tenu à la main lors de ce court voyage. Autre curiosité, l’un des derniers plans du film est une courte séquence au ralenti d’un homme qui pousse une charrette à bras dans les rues de Ribeauvillé. Plus habituel en revanche, de nombreux mouvements panoramiques permettent d’apprécier la beauté des édifices de la route des vins et la vie quotidienne des habitants qui se trouvent sur son tracé.<br><br> | + | Ce film amateur démontre les talents du réalisateur Jean-Georges Kugler. Lui, qui a l’habitude de projeter ses films à la maison le dimanche, lors des fêtes de famille ou au cinéma associatif de Ribeauvillé, propose cette fois-ci des séquences inhabituelles à la vue de ses spectateurs. Il commence par une séquence de caméra embarquée à bord d’une voiture sur la route qui relie Ribeauvillé et Bergheim. L’image est stable par rapport aux éléments visibles du véhicule, ce qui tend à montrer que l’appareil est directement fixé à la voiture et non pas tenu à la main lors de ce court voyage. Le réalisateur avait acheté une 4CV de la marque Renault peu après avoir commencé son commerce dans les rues de Ribeauvillé. Il s'agissait du premier succès de grande ampleur du constructeur français, le modèle étant le premier à avoir dépassé le million de vente. Le capot avant du véhicule, très bombé, est d'ailleurs reconnaissable dans cet extrait. Kugler faisait donc partie des 21% de Français qui possédaient une voiture individuelle en 1953 (J.-C. DAUMAS, ''La révolution matérielle...''). Autre curiosité, l’un des derniers plans du film est une courte séquence au ralenti d’un homme qui pousse une charrette à bras dans les rues de Ribeauvillé. Plus habituel en revanche, de nombreux mouvements panoramiques permettent d’apprécier la beauté des édifices de la route des vins et la vie quotidienne des habitants qui se trouvent sur son tracé.<br><br> |
− | Le film est difficile à dater, mais il est certain qu’il fut tourné après mai 1953. En effet, le premier plan sur un panneau, tel un carton, présente le lieu de la séquence : « Route du Vin ». Or, celle-ci est inaugurée le 30 mai de l’année 1953. | + | Le film est difficile à dater, mais il est certain qu’il fut tourné après mai 1953. En effet, le premier plan sur un panneau, tel un carton, présente le lieu de la séquence : « Route du Vin ». Or, celle-ci est inaugurée le 30 mai de l’année 1953. Quelques éléments permettent une hypothèse au sujet de la période de l'année filmée par le réalisateur. En effet, les vignes présentent à l'écran sont nues et taillées. La taille des vignes s'effectue généralement au début de l'année civile en janvier. Dans Bergheim, une charrette transporte des sarments de vignes, ce qui suggère que l'activité est encore en cours. Pourtant, les habitants du bourg semblent peu vêtus pour une période aussi froide de l'année. Tous ces éléments semblent montrer que le film est tourné vers la fin de l'hiver et le début du printemps (mars-avril). |
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Le réalisateur part en voiture de sa ville d’habitation (Ribeauvillé) et se rend à Bergheim, situé à 3 kilomètres en empruntant la route départementale 1 bis. Ce bourg médiéval est entouré de remparts sur près de deux kilomètres. Datant du XIV<sup>e</sup> siècle, ils sont dominés par la Porte Haute filmée par le réalisateur. Situé sur la Route du Vin, Bergheim bénéficie d’une production viticole dynamique et très ancienne, dont on a des traces dès le VIII<sup>e</sup> siècle. Les « Riesling » et « Gewürztraminer » en constituent les cépages centraux.<br><br> | Le réalisateur part en voiture de sa ville d’habitation (Ribeauvillé) et se rend à Bergheim, situé à 3 kilomètres en empruntant la route départementale 1 bis. Ce bourg médiéval est entouré de remparts sur près de deux kilomètres. Datant du XIV<sup>e</sup> siècle, ils sont dominés par la Porte Haute filmée par le réalisateur. Situé sur la Route du Vin, Bergheim bénéficie d’une production viticole dynamique et très ancienne, dont on a des traces dès le VIII<sup>e</sup> siècle. Les « Riesling » et « Gewürztraminer » en constituent les cépages centraux.<br><br> | ||
Dans la séquence tournée par Jean-Georges Kugler, le paysage est couvert de vignes. Des infrastructures sont parfois aménagées pour permettre le passage d’une route, tels les enrochements qui coupent la pente naturelle des collines viticoles et en solidifient la terrasse ainsi formée. Au moment du tournage, les hommes de Bergheim et leurs fils semblent s’occuper de la taille des vignes, puisqu’une charrette bourrée de leurs fines branches est filmée dans les rues du bourg. Les femmes quant à elle s’occupent du linge, à tout âge.<br><br> | Dans la séquence tournée par Jean-Georges Kugler, le paysage est couvert de vignes. Des infrastructures sont parfois aménagées pour permettre le passage d’une route, tels les enrochements qui coupent la pente naturelle des collines viticoles et en solidifient la terrasse ainsi formée. Au moment du tournage, les hommes de Bergheim et leurs fils semblent s’occuper de la taille des vignes, puisqu’une charrette bourrée de leurs fines branches est filmée dans les rues du bourg. Les femmes quant à elle s’occupent du linge, à tout âge.<br><br> | ||
− | Après son petit périple sur la Route du Vin, Jean-Georges Kugler filme la vie quotidienne de Ribeauvillé. Il décide de se positionner devant son magasin, qui se situe dans la Grand Rue de la ville. C’est là qu’il filme les habitants dans leurs occupations. Si cette rue est un lieu de circulation bondé, il s’agit également d’un lieu de sociabilisation important. Les passants sont apprêtés et y discutent. | + | Après son petit périple sur la Route du Vin, Jean-Georges Kugler filme la vie quotidienne de Ribeauvillé. Il décide de se positionner devant son magasin, qui se situe dans la Grand Rue de la ville. C’est là qu’il filme les habitants dans leurs occupations. Si cette rue est un lieu de circulation bondé, il s’agit également d’un lieu de sociabilisation important. Les passants sont apprêtés et y discutent. D'ailleurs, Kugler filme pendant un temps important (une minute environ) une discussion de femmes à l’entrée d’une boutique de sacs. La rue, espace public par excellence, est le lieu de transmission des potins et des ragots. Sans doute parlent-elles des transformation du quartier et de l'apparition de ces boutiques qui vendent du matériel moderne, telles celles de Kugler ou l'enseigne « Philips ». Visiblement dans une dialogue passionné, les deux femmes sont interrompues par une troisième. Celle-ci semble indiquer que le réalisateur les filme. Surprises, elles coupent court à la discussion et se dispersent alors. Cela montre que les personnes filmées ne sont pas très habituées à l'être. Probablement n’apprécient-elles pas cette démarche et considèrent-elles cela comme une sorte de voyeurisme ou de curiosité déplacée. |
+ | Les habitants cherchent également les produits dont ils ont besoin. Certaines femmes portent d’ailleurs des paniers et des cannes à lait en aluminium. | ||
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+ | Bien que Ribeauvillé se situe sur la Route du Vin est témoigne d’une tradition de viticulture aussi ancienne que Bergheim, c’est un milieu entre ruralité et urbanité qui transparaît à l’image. Les activités y sont davantage commerçantes et celles d’un pôle local d’échanges. | ||
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Particularité de ce film amateur, un important contraste entre des éléments de modernité et des comportements traditionnels est observable. Route propre et bitumée, poteaux qui apportent l’électricité dans les villages, éléments de signalisation le long de la route et notamment dans les virages sinueux de la Route du Vin. Ces éléments contrastent avec l’absence notable de voiture lors du parcours effectué au début de la séquence. La route est empruntée en particulier par des personnes à bicyclettes et par des charrettes tractées par des animaux. Tout cela montre que malgré une production automobile en hausse tout au long du XX<sup>e</sup> siècle, le monde rural reste globalement à l’écart de cette évolution au moment du tournage.<br><br> | Particularité de ce film amateur, un important contraste entre des éléments de modernité et des comportements traditionnels est observable. Route propre et bitumée, poteaux qui apportent l’électricité dans les villages, éléments de signalisation le long de la route et notamment dans les virages sinueux de la Route du Vin. Ces éléments contrastent avec l’absence notable de voiture lors du parcours effectué au début de la séquence. La route est empruntée en particulier par des personnes à bicyclettes et par des charrettes tractées par des animaux. Tout cela montre que malgré une production automobile en hausse tout au long du XX<sup>e</sup> siècle, le monde rural reste globalement à l’écart de cette évolution au moment du tournage.<br><br> | ||
− | À Bergheim, les femmes lavent le linge de manière traditionnelle au lavoir sur une | + | À Bergheim, les femmes lavent le linge de manière traditionnelle au lavoir. |
+ | Cette tâche était exclusivement féminine et effectuée par des personnes de tout âge. On retrouve dans cet extrait des images similaires à celles filmées par Paul Spindler à Châtenois, deux à trois décennies plus tôt (voir [[Lavandières_à_Châtenois_(0026FN0004)|Lavandières à Châtenois]]). La petite place de la commune est aménagée pour cette tâche : petit canal, grande dalle en pierre, petite écluse pour gérer le niveau d’eau. Les arbres sur le côté permettent sûrement d’obtenir un peu d’ombre lors du travail de lavage en été. Kugler enregistre des images de lavandières effectuant une tâche physique importante, dans des postures inconfortables. Les femmes sont agenouillées dans des boîtes à laver pour pallier ce problème, ou en tout cas pour rendre leur tâche moins désagréable. Originellement biannuel, le travail du linge devint hebdomadaire dans les années 1930. Vingt années plus tard, avec l’avènement de la société de consommation et la démocratisation du lave-linge, on aurait pu s’attendre à une large diminution de cette activité. Or, en 1961, seul un quart des ménages alsaciens possèdent un tel équipement. Celui-ci va d’ailleurs de pair avec un raccordement aux canalisations d’eau et avec des politiques d’urbanisme en ce sens. Face à de tels investissements, on comprend facilement que pendant longtemps, le lave-linge reste un luxe et un équipement qu'il est exceptionnel de trouver dans les ménages en milieu rural alsacien. | ||
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À Ribeauvillé, où le réalisateur filme les habitants qui vaquent à leurs occupations, rares sont les voitures qui passent dans le champ de la caméra, contrairement aux nombreuses bicyclettes et charrettes à bras présentes à l’image. D’ailleurs, les rues pavées de ces villages médiévaux et l’étroitesse des portes fortifiées (on aperçoit un panneau limitant la hauteur des véhicules à l’entrée de Bergheim) ne participent pas à la praticité de l’usage des routes et rues municipales pour les véhicules.<br><br> | À Ribeauvillé, où le réalisateur filme les habitants qui vaquent à leurs occupations, rares sont les voitures qui passent dans le champ de la caméra, contrairement aux nombreuses bicyclettes et charrettes à bras présentes à l’image. D’ailleurs, les rues pavées de ces villages médiévaux et l’étroitesse des portes fortifiées (on aperçoit un panneau limitant la hauteur des véhicules à l’entrée de Bergheim) ne participent pas à la praticité de l’usage des routes et rues municipales pour les véhicules.<br><br> | ||
− | Le réalisateur choisit de filmer dans la rue où se trouve son magasin de photographie. Il y propose un service rapide pour le développement des photos sur place en huit heures et vend du matériel « Kodak ». Un autre commerce constitue un élément de modernité au milieu des rues de la ville médiévale. En effet, | + | Le réalisateur choisit de filmer dans la rue où se trouve son magasin de photographie. Il y propose un service rapide pour le développement des photos sur place en huit heures et vend du matériel « Kodak ». Un autre commerce constitue un élément de modernité au milieu des rues de la ville médiévale. En effet, l'enseigne « Philips » est aussi visible à l’image. Société néerlandaise, la firme produit et vend du matériel de technologies très modernes. Elle s’installe rapidement sur le podium des plus grandes entreprises qui dominent les marchés des téléviseurs et de l’électroménager, aux côtés de Thompson et Electrolux. De plus, Philips est aussi connue pour son activité au sein du secteur musical dans les années 1950-1960, moment où la chanson française connaît un âge d’or (G. Brassens, J. Brel, et d’autres encore). |
− | |Bibliographie=C. LEIPP, F. LAMBACH, T. RIEGER, C. FRITZ, « Ribeauvillé » dans Agnès ACKER (dir.), ''Encyclopédie de l’Alsace'', Vol. 11, Strasbourg, Editions Publitotal, 1985, p. 6419-6422.<br> | + | Kugler filme donc davantage que l’avènement de la société de consommation. En effet, à travers ses images transparaît également l’implantation du marché de l’audio et du visuel dans le monde rural, filière dans laquelle il évolue lui-même et pour laquelle il témoigne d’un intérêt important. Ce film pourrait d’ailleurs être un test des nouveaux matériels de capture d’images par le réalisateur, matériels vendus dans son propre magasin. |
+ | |Bibliographie=Anny BLOCH-RAYMOND, « Bateaux-lavoirs, buanderies et blanchisseries. Des relations entre espaces publics, espaces privés » dans ''Revue des Sciences sociales'', n°13, n°13 bis, 1984.<br> | ||
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+ | Jean-Claude DAUMAS, ''La révolution matérielle : une histoire de la consommation : France XIX<sup>e</sup> – XXI<sup>e</sup> siècle'', Paris, Flammarion, 2018.<br> | ||
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+ | C. LEIPP, F. LAMBACH, T. RIEGER, C. FRITZ, « Ribeauvillé » dans Agnès ACKER (dir.), ''Encyclopédie de l’Alsace'', Vol. 11, Strasbourg, Editions Publitotal, 1985, p. 6419-6422.<br> | ||
M. SCHAUB-FALLER, C. SITTLER, C. BONNET, T. RIEGER, R. SCHWAB, M. DOERFLINGER, « Bergheim » dans Agnès ACKER (dir.), ''Encyclopédie de l’Alsace'', Vol. 1, Strasbourg, Editions Publitotal, 1985, p. 569-576.<br> | M. SCHAUB-FALLER, C. SITTLER, C. BONNET, T. RIEGER, R. SCHWAB, M. DOERFLINGER, « Bergheim » dans Agnès ACKER (dir.), ''Encyclopédie de l’Alsace'', Vol. 1, Strasbourg, Editions Publitotal, 1985, p. 569-576.<br> |
Version actuelle datée du 8 mars 2020 à 19:47
Résumé
Description
Panneau : « D. I Bis. Bergheim 3k. Haut-Koenigsbourg 17k. Haut-Rhin. Route du vin ». Plan de caméra embarquée sur une voiture. Une rue avec des arbres sur le côté de la route. Des vignes sur un enrochement à gauche. Le véhicule double une charrette tirée par un cheval et sort du village. Il double également deux personnes à bicyclette et circule sur une route au panorama pittoresque. Des poteaux électriques et des éléments de signalisation de virages longent la route. Des vignes partout. Court plan fixe du même type (maladresse ?). Plan de caméra embarquée continue. Le véhicule arrive dans un village. Des gens marchent sur la route. Un panneau : « Bergheim ». La voiture circule dans la rue et avance vers une porte médiévale avec une horloge. Mouvement panoramique du bas vers le haut de la porte médiévale. Le véhicule pénètre le bourg par la porte. Mouvement panoramique du bas vers le haut de l’autre côté de la porte. Des arbres taillés sur la petite place. Mouvements panoramiques du bas vers le haut en plan serré de la tour, panneau : 2,4 m de hauteur, une date : 1300, l’horloge, un petit clocher au sommet. Une charrette chargée de branche et tractée par un bœuf, un homme et un enfant sur la charrette. Mouvement panoramique du bas vers le haut sur un lavoir au milieu d’une place pavée, avec des femmes. Plan serré sur les femmes qui discutent. Des femmes adultes et jeunes lavent le linge au lavoir. Plan serré sur un homme qui fume. Il déplace du bois.
Plan d’une rue pavée, on vaque à ses occupations, on se déplace à bicyclette, on porte des cannes à lait. Mouvement panoramique d’une devanture de commerce, des enseignes « Kodak » et « Lumière », puis une enseigne supplémentaire « Photo Kugler ». Des passants se déplacent dans la rue. Une femme balaye le trottoir. Plan fixe d’une rue avec des passants. À l’arrière-plan, une enseigne « Philips ». Un vieil homme s’arrête pour saluer une passante et une enfant. Court mouvement panoramique de la rue. Une voiture passe. On remarque une enseigne « ici développement et tirage des films […] en 8 heures. Une femme et un enfant regarde la vitrine. Plan rapproché de femmes qui discutent devant l’entrée d’un commerce. Des sacs à mains. Elles partent. Plan fixe et ralenti d’un homme qui pousse une petite charrette à bras chargée d’objets sur la rue pavée. Autres plans des passants.
Contexte et analyse
Un réalisateur amateur sur la Route du Vin
Ce film amateur démontre les talents du réalisateur Jean-Georges Kugler. Lui, qui a l’habitude de projeter ses films à la maison le dimanche, lors des fêtes de famille ou au cinéma associatif de Ribeauvillé, propose cette fois-ci des séquences inhabituelles à la vue de ses spectateurs. Il commence par une séquence de caméra embarquée à bord d’une voiture sur la route qui relie Ribeauvillé et Bergheim. L’image est stable par rapport aux éléments visibles du véhicule, ce qui tend à montrer que l’appareil est directement fixé à la voiture et non pas tenu à la main lors de ce court voyage. Le réalisateur avait acheté une 4CV de la marque Renault peu après avoir commencé son commerce dans les rues de Ribeauvillé. Il s'agissait du premier succès de grande ampleur du constructeur français, le modèle étant le premier à avoir dépassé le million de vente. Le capot avant du véhicule, très bombé, est d'ailleurs reconnaissable dans cet extrait. Kugler faisait donc partie des 21% de Français qui possédaient une voiture individuelle en 1953 (J.-C. DAUMAS, La révolution matérielle...). Autre curiosité, l’un des derniers plans du film est une courte séquence au ralenti d’un homme qui pousse une charrette à bras dans les rues de Ribeauvillé. Plus habituel en revanche, de nombreux mouvements panoramiques permettent d’apprécier la beauté des édifices de la route des vins et la vie quotidienne des habitants qui se trouvent sur son tracé.
Le film est difficile à dater, mais il est certain qu’il fut tourné après mai 1953. En effet, le premier plan sur un panneau, tel un carton, présente le lieu de la séquence : « Route du Vin ». Or, celle-ci est inaugurée le 30 mai de l’année 1953. Quelques éléments permettent une hypothèse au sujet de la période de l'année filmée par le réalisateur. En effet, les vignes présentent à l'écran sont nues et taillées. La taille des vignes s'effectue généralement au début de l'année civile en janvier. Dans Bergheim, une charrette transporte des sarments de vignes, ce qui suggère que l'activité est encore en cours. Pourtant, les habitants du bourg semblent peu vêtus pour une période aussi froide de l'année. Tous ces éléments semblent montrer que le film est tourné vers la fin de l'hiver et le début du printemps (mars-avril).
Bergheim et Ribeauvillé
Le réalisateur part en voiture de sa ville d’habitation (Ribeauvillé) et se rend à Bergheim, situé à 3 kilomètres en empruntant la route départementale 1 bis. Ce bourg médiéval est entouré de remparts sur près de deux kilomètres. Datant du XIVe siècle, ils sont dominés par la Porte Haute filmée par le réalisateur. Situé sur la Route du Vin, Bergheim bénéficie d’une production viticole dynamique et très ancienne, dont on a des traces dès le VIIIe siècle. Les « Riesling » et « Gewürztraminer » en constituent les cépages centraux.
Dans la séquence tournée par Jean-Georges Kugler, le paysage est couvert de vignes. Des infrastructures sont parfois aménagées pour permettre le passage d’une route, tels les enrochements qui coupent la pente naturelle des collines viticoles et en solidifient la terrasse ainsi formée. Au moment du tournage, les hommes de Bergheim et leurs fils semblent s’occuper de la taille des vignes, puisqu’une charrette bourrée de leurs fines branches est filmée dans les rues du bourg. Les femmes quant à elle s’occupent du linge, à tout âge.
Après son petit périple sur la Route du Vin, Jean-Georges Kugler filme la vie quotidienne de Ribeauvillé. Il décide de se positionner devant son magasin, qui se situe dans la Grand Rue de la ville. C’est là qu’il filme les habitants dans leurs occupations. Si cette rue est un lieu de circulation bondé, il s’agit également d’un lieu de sociabilisation important. Les passants sont apprêtés et y discutent. D'ailleurs, Kugler filme pendant un temps important (une minute environ) une discussion de femmes à l’entrée d’une boutique de sacs. La rue, espace public par excellence, est le lieu de transmission des potins et des ragots. Sans doute parlent-elles des transformation du quartier et de l'apparition de ces boutiques qui vendent du matériel moderne, telles celles de Kugler ou l'enseigne « Philips ». Visiblement dans une dialogue passionné, les deux femmes sont interrompues par une troisième. Celle-ci semble indiquer que le réalisateur les filme. Surprises, elles coupent court à la discussion et se dispersent alors. Cela montre que les personnes filmées ne sont pas très habituées à l'être. Probablement n’apprécient-elles pas cette démarche et considèrent-elles cela comme une sorte de voyeurisme ou de curiosité déplacée.
Les habitants cherchent également les produits dont ils ont besoin. Certaines femmes portent d’ailleurs des paniers et des cannes à lait en aluminium.
Bien que Ribeauvillé se situe sur la Route du Vin est témoigne d’une tradition de viticulture aussi ancienne que Bergheim, c’est un milieu entre ruralité et urbanité qui transparaît à l’image. Les activités y sont davantage commerçantes et celles d’un pôle local d’échanges.
Entre modernité et comportement traditionnel.
Particularité de ce film amateur, un important contraste entre des éléments de modernité et des comportements traditionnels est observable. Route propre et bitumée, poteaux qui apportent l’électricité dans les villages, éléments de signalisation le long de la route et notamment dans les virages sinueux de la Route du Vin. Ces éléments contrastent avec l’absence notable de voiture lors du parcours effectué au début de la séquence. La route est empruntée en particulier par des personnes à bicyclettes et par des charrettes tractées par des animaux. Tout cela montre que malgré une production automobile en hausse tout au long du XXe siècle, le monde rural reste globalement à l’écart de cette évolution au moment du tournage.
À Bergheim, les femmes lavent le linge de manière traditionnelle au lavoir.
Cette tâche était exclusivement féminine et effectuée par des personnes de tout âge. On retrouve dans cet extrait des images similaires à celles filmées par Paul Spindler à Châtenois, deux à trois décennies plus tôt (voir Lavandières à Châtenois). La petite place de la commune est aménagée pour cette tâche : petit canal, grande dalle en pierre, petite écluse pour gérer le niveau d’eau. Les arbres sur le côté permettent sûrement d’obtenir un peu d’ombre lors du travail de lavage en été. Kugler enregistre des images de lavandières effectuant une tâche physique importante, dans des postures inconfortables. Les femmes sont agenouillées dans des boîtes à laver pour pallier ce problème, ou en tout cas pour rendre leur tâche moins désagréable. Originellement biannuel, le travail du linge devint hebdomadaire dans les années 1930. Vingt années plus tard, avec l’avènement de la société de consommation et la démocratisation du lave-linge, on aurait pu s’attendre à une large diminution de cette activité. Or, en 1961, seul un quart des ménages alsaciens possèdent un tel équipement. Celui-ci va d’ailleurs de pair avec un raccordement aux canalisations d’eau et avec des politiques d’urbanisme en ce sens. Face à de tels investissements, on comprend facilement que pendant longtemps, le lave-linge reste un luxe et un équipement qu'il est exceptionnel de trouver dans les ménages en milieu rural alsacien.
À Ribeauvillé, où le réalisateur filme les habitants qui vaquent à leurs occupations, rares sont les voitures qui passent dans le champ de la caméra, contrairement aux nombreuses bicyclettes et charrettes à bras présentes à l’image. D’ailleurs, les rues pavées de ces villages médiévaux et l’étroitesse des portes fortifiées (on aperçoit un panneau limitant la hauteur des véhicules à l’entrée de Bergheim) ne participent pas à la praticité de l’usage des routes et rues municipales pour les véhicules.
Le réalisateur choisit de filmer dans la rue où se trouve son magasin de photographie. Il y propose un service rapide pour le développement des photos sur place en huit heures et vend du matériel « Kodak ». Un autre commerce constitue un élément de modernité au milieu des rues de la ville médiévale. En effet, l'enseigne « Philips » est aussi visible à l’image. Société néerlandaise, la firme produit et vend du matériel de technologies très modernes. Elle s’installe rapidement sur le podium des plus grandes entreprises qui dominent les marchés des téléviseurs et de l’électroménager, aux côtés de Thompson et Electrolux. De plus, Philips est aussi connue pour son activité au sein du secteur musical dans les années 1950-1960, moment où la chanson française connaît un âge d’or (G. Brassens, J. Brel, et d’autres encore).
Lieux ou monuments
Bibliographie
Anny BLOCH-RAYMOND, « Bateaux-lavoirs, buanderies et blanchisseries. Des relations entre espaces publics, espaces privés » dans Revue des Sciences sociales, n°13, n°13 bis, 1984.
Jean-Claude DAUMAS, La révolution matérielle : une histoire de la consommation : France XIXe – XXIe siècle, Paris, Flammarion, 2018.
C. LEIPP, F. LAMBACH, T. RIEGER, C. FRITZ, « Ribeauvillé » dans Agnès ACKER (dir.), Encyclopédie de l’Alsace, Vol. 11, Strasbourg, Editions Publitotal, 1985, p. 6419-6422.
M. SCHAUB-FALLER, C. SITTLER, C. BONNET, T. RIEGER, R. SCHWAB, M. DOERFLINGER, « Bergheim » dans Agnès ACKER (dir.), Encyclopédie de l’Alsace, Vol. 1, Strasbourg, Editions Publitotal, 1985, p. 569-576.
Article rédigé par
Arthur Durand, 27 décembre 2019
- ↑ En tant que partie d'une production amateur, cette séquence n'a pas reçu de titre de son réalisateur. Le titre affiché sur cette fiche a été librement forgé par son auteur dans le but de refléter au mieux son contenu.