Le Linge en 1948 (0033FN0003) : Différence entre versions
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Version du 22 octobre 2018 à 15:20
Résumé
Description
Bref plan au milieu d’un groupe où l’on distingue deux femmes, quatre hommes et deux adolescents, l’un porte une veste en cuir. Plan de dos de la foule dans un cimetière qui écoute un discours. Panoramique droite : on distingue des drapeaux militaires, un gonfalon tricolore, puis apparaît le monument « Aux morts du Linge », surmonté d’une croix portant en majuscules le mot « PAX ». Le même monument vu de côté et la foule, mouvement de caméra vers le bas et les croix en béton au premier plan, puis panoramique à gauche : le champ de croix, la foule au second plan, les autocars au dernier plan. Puis l'opérateur se place au cœur de la foule, derrière un pompier ; la fanfare/l’harmonie passe de droite à gauche, avec bérets et casquettes, suivis des anciens combattants portant les étendards. La caméra a tourné de 30° à droite et prend en enfilade la haie d’honneur assurée par les pompiers, où passent des anciens combattants médaillés, puis le sous-préfet X et le maire X, des notables et des militaires du second conflit mondial, et enfin la brigade de pompiers. Des civils se recueillent au pied du monument, la caméra remonte le long de la grande croix.
Contexte et analyse
Trois ans après la victoire sur le nazisme, l’Alsace vit encore dans le souvenir des épreuves de l’annexion allemande du 27 novembre 1940. La population des principales villes a été évacuée dès la déclaration de guerre début septembre 1939, certains se sont réfugiés jusqu’à Clermont-Ferrand ; la retraite des troupes françaises mi mai 1940 s’est accompagnée d’amples destructions d’infrastructures. Sous la férule nazie, la répression politique constante avec l’internement au camp du Struthof, l’expulsion brutale des Juifs spoliés, l’incorporation de force des jeunes hommes dans la Wehrmacht et la collaboration ont laissé des traces profondes. Les âpres combats menant à libération de Strasbourg, le 23 novembre 1944, s’apaisent à peine quand l’offensive allemande dans les Ardennes menace à nouveau l’Alsace. La région sort meurtrie des bombardements alliés, la population se sent stigmatisée du fait de la mise en cause des « malgré-nous » dans la destruction d’Oradour-sur-Glane. Au cœur de trois conflits en 75 ans, l’Alsace est un immense champ de bataille à ciel ouvert où se développe une mémoire singulière des périodes allemandes et des efforts français pour « reprendre » ce territoire ayant opté pour la République en 1792.
La bataille du Linge et sa mémorialisation
Après la guerre de mouvement d’août 1914, le front d’Alsace se fige. À 14 kilomètres de Colmar, entre Orbey et Munster, le massif du Linge commande à 1000 m d’altitude les vallées de la Weiss et de la Fecht, voit ses pentes ouest occupées par les Français, les pentes est par les Allemands. Des combats acharnés martyrisent le paysage entre le 20 juillet et le 22 août 1915. Le 14e Bataillon de chasseurs alpins s’élance sur un terrain de marécages et versants abrupts, piégé de végétation dense et d’éboulis impraticables. Les 20-29 juillet, puis le 17 août, les Français conquièrent le sommet et établissent des tranchées au contact des retranchements allemands[2].
Dans l'immédiat après-guerre, la mémorialisation du site s'est confrontée à la volonté de réhabiliter les terrains agricoles par le désobusage, la destruction des réseaux barbelés, le nivellement des sols [3].
Le « cimetière des Chasseurs » de Wettstein abrite les tombes de 3535 soldats français tombés au Linge; l'intérêt pour le site décroît rapidement pour se concentrer sur la "Fête du Linge", qui se déroule depuis 1922 le deuxième dimanche d'août. La croix actuelle, créée par Victor-Charles Antoine et inaugurée en 1939 pour le 25ème anniversaire de l'entrée en guerre, conserve dans sa base un fragment de la croix initiale de 1915 qui s'est effondrée faute d'entretien en 1938. Le site lui-même, pourtant impressionnant avec ses tranchées de proximité et l’abondance des traces matérielles (métal, béton, casemates, munitions), n’est pas filmé: il est retourné à l'état sauvage et ne sera mis en valeur qu'à partir de la fin des années 1960. De même, le mausolée allemand, pyramide trapue en pierre, n’est pas visité: aujourd'hui encore, les deux nations ne se mélangent pas lors des commémorations d'août.
Le tourisme de guerre
Les lieux du souvenir de 14-18 font très tôt l’objet d’une protection étatique qui, de façon fort symbolique, élit des sites alsaciens : Zillisheim dès 1920 (voir 0068FN0006), le Hartmannwillerskopf (voir 0026FN0009, 0026FN0007, 0020FH0003), la Tête des Faux et le Linge en 1921, avant même Verdun (DATE). C’est aussi en 1920 que le tourisme commémoratif prend son essor. Il était né pendant le conflit même, avec des visites plus ou moins officielles, visant parfois la quête d’une dépouille de parent, mais souvent le seul frisson des « premières lignes »[4]. Dès l’origine se lient dans cette pratique le champ de bataille – alors en feu, aujourd’hui en cendres – et les nécropoles, les tranchées et les ouvrages spécifiques, les sites exceptionnels par la situation et/ou par les combats.
En 1920, la firme Michelin édite une série de Guides illustrés des champs de bataille qui se composent de deux volumes pour la seule Alsace. Le parcours des lieux d’histoire de la région se fait totalement au prisme des événements qui l’ont récemment bouleversée. Le guide ne mentionne les grands monuments alsaciens que comme repères topographiques et historiques. L’historique des batailles occupe l’essentiel du texte, et la majeure partie des photos présentent un paysage de désolation, des cimetières et quelques clichés de l’époque de la guerre. Victor Rombourg et ses proches, a priori plutôt touristes que pèlerins, n’ont pas effectué le voyage spécialement, ou plus exactement ils ont profité de cette journée pour aller visiter d’autres sites. La bobine porte le titre « Excursion à Salm et Galsborn »: le groupe s'est rendu d'abord dans les ruines d’un château de la haute-vallée de la Bruche, puis sur la commune où se situe le champ de bataille du Linge.
Deuil et mémoire
Les nécropoles militaires séparées (au Linge) ou conjointes (Vieil-Armand) sont par la force des choses bien réparties des deux côtés de la ligne de front en Alsace. Mais les mémoriaux à la gloire des soldats français dominent largement en nombre, en taille et donc en visibilité; les croix blanches signalent ici un cimetière français, sans les croix à liseré noir des victimes allemandes du conflit[5]. Une forme de discrimination visuelle a été mise en œuvre pour favoriser une lecture patriotique, nationale, pour tout dire univoque du conflit. On ne s’étonnera donc pas que les associations d’anciens combattants et les cérémonies officielles prennent appui sur ces lieux du souvenir pour perpétuer une histoire écrite par les vainqueurs. Le Souvenir français entretient les tombes et assiste les collectivités territoriales dans la mise en place de circuits de visite. Deux dates au moins réunissent les Alsaciens et ceux qui se sont battus pour leur libération. Le 11 novembre, date nationale, réinscrit le combat local dans son contexte géopolitique et insiste sur la victoire finale. La commémoration de la bataille proprement dite – organisée ici le dimanche le plus proche du 17 août – exalte le sacrifice des soldats tombés, en présence de leurs camarades survivants et de la population « libérée » en 1918. Le symbole de la croix en bois enchâssée dans le monument a des consonances chrétiennes évidentes, un recours aux thèmes traditionnels qu’a mis en évidence l’historien Jay Winter[6]. Trente ans après l’armistice, il n’est plus tout à fait question d’une communauté de deuil au sens primitif : le mémorial du Linge attire un public rendu de plus en plus étranger, mais sert aussi à entretenir le sentiment de communauté entre les générations. S’il y eut au tournant des années 1930 une période où nombre d’anciens combattants ont propagé une vision pacifiste de la guerre, celle-ci n’a pas sa place en Alsace. Le « PAX » visible de loin s’adresse moins aux vétérans de 14-18 qu’au voisin nazi qui fait peser la menace d’une nouvelle guerre, justement à la fin de l’été 1939.
Dans le film de Rombourg, les événements de la Seconde Guerre mondiale redoublent la vocation mobilisatrice et la dimension émotionnelle. Les deux conflits mondiaux ont également en commun de passer en partie sous silence le cas des Alsaciens ayant combattu pour le Kaiser ou incorporés de force dans la Wehrmacht. Jusque récemment, une même absence de monument et de cérémonie affecte ceux qui ont déserté en 1914 ou en 1940-1944 pour se porter volontaires dans l’armée française, et ceux qui se sont portés volontaires dans l’armée nazie.Lieux ou monuments
Bibliographie
Article rédigé par
ALEXANDRE SUMPF, 22 octobre 2018
- ↑ En tant que partie d'une production amateur, cette séquence n'a pas reçu de titre de son réalisateur. Le titre affiché sur cette fiche a été librement forgé par son auteur dans le but de refléter au mieux son contenu.
- ↑ JMO de l'unité, SHD, 26 N 820
- ↑ Florian Hensel, Le Lingekopf de 1915 à nos jours. Destruction, remise en état, revalorisation d'un champ de bataille alsacien de la Première Guerre mondiale, Jérôme de Bentzer éditeur, 2013.
- ↑ Emmanuelle Danchin, Le temps des ruines (1914-1921), Presses universitaires de Rennes, 2015
- ↑ Raphaël Georges, « Les mémoires de la guerre en Alsace et en Moselle », article sur centenaire.org, 23 juillet 2014
- ↑ Jay Winter, Entre deuil et mémoire. La Grande Guerre dans l’histoire culturelle de l’Europe, Paris, Armand Colin, 2008