Bas:Le Rhin (0132FI0016)
Résumé
Contexte et analyse
Le film est tourné à l’automne de 1976, au moment des vendanges, très probablement dans les environs de Mutzig, par Albert Schott. À cette époque, c’est un instituteur à la retraite qui se dédie à plein temps à la réalisation des documentaires sur la vie locale, les traditions et les pratiques. Sa passion du cinéma ne se limite pas juste à une consommation familiale, car ces films sont projetés dans les salles de cinémas locaux et ont une grande popularité. Il y a un véritable investissement dans la réalisation du film, qui est coloré et contient des sons et des commentaires enregistrés au magnétoscope. La commune de Mutzig, bien qu’étant peuplé par environ 3 800 habitants au moment du tournage, abrite une brasserie importante et est entourée par des nombreux champs et vignes. Les années 1970 se caractérisent par des changements importants dans les milieux agricoles français. Si le processus de l’exode rural a été entamé dans les années après-guerre, il se poursuit encore dans les années soixante-dix, accompagné par une restructuration des espaces ruraux, une modernisation importante et une implantation des nouveaux habitants venant des milieux urbains.
Ce film à visé documentaire, cherchant à rendre hommage à des pratiques agricoles traditionnelles, révèle en réalité un espace en proie à des transitions majeures qui se reflètent dans les émotions transmises par le réalisateur.
Un documentaire à l’hommage de traditions
Le film commence avec un son d’orchestre et un plan montrant un champ de tabac avec deux travailleurs, qui font cueillir les feuilles à l’alsacienne, en commençant par casser les feuilles situées dans la partie basse de la tige. S’ensuivent quelques coupes de cadre montrant un enfant traverser le champ avec en arrière-plan un tracteur. Dès le début du film, il est visible que son auteur maîtrise le maniement de la caméra et consacre une quantité importante du temps à la réalisation de son œuvre. Il y a une bande de son qui accompagne les images du film, donnant une ambiance festive. Le film est réalisé dans des conditions optimales du beau temps permettant un bon éclairage. L’auteur propose un documentaire ainsi le choix de scènes filmés n’est pas anodin. En occurrence, il s’agit de rendre compte d’un ensemble de pratiques liées à la période de vendanges. Ainsi, après avoir montré le champ de tabac, l’image change pour montrer l’entrée vers un séchoir, où sont regroupés les feuilles de tabac. De nouveau, il y a un focus sur la technique en mettant au premier plan une grand-mère et une fille entrain de lier les feuilles par un fil pointu. La caméra montre, en grand plan, le travail à la main et accompagne alors le commentaire de l’auteur qui évoque des « mains agiles et travailleuses ». L’idée est de montrer une technique de conservation des feuilles, en insistant sur une transmission de génération en génération. Cette même approche se répète pour la présentation de la culture de vigne à partir de 2min50 du film. On voit arriver des charrettes avec des cuves, poussés par un cheval ou un tracteur. Des participants de plusieurs générations assistent à la cueillette à la main avant de transporter des grappes de vigne en cuves vers un lieu, où elles seront très probablement écrasées pour obtenir du moût. Le réalisateur montre sa maîtrise de la technique cinématographique car il parvient de combiner le visuel, le son et son propre commentaire pour illustrer un paysage agricole traditionnel, où l’ensemble de la famille participe à la récolte dans la joie et de la bonne humeur. Il s’agit de rendre un hommage à un passé agricole qui est entrain de changer. L’auteur commenté bien la présence des machines agricoles, qui sont à cette époque largement présentes dans l’espace agricole, qui subit des transformations majeures depuis au moins 20 ans.
Montrant un rural en transformation
Le sujet agricole est bien de la thématique principale abordée par le film. Le film est tourné dans plusieurs endroits. Dans des champs, au sein des coopératives, près de la brasserie de Mutzig, sur les vignes situées sur la colline au nord du Mutzig, dont le quartier pavillonnaire est visible à la 4min52. Il s’agit d’un cadre rural mais qui reste un cadre alsacien. En effet, la variété de productions agricoles souligne la spécificité de la région, qui se caractérise par la polyculture. Le film s’apparente, par sa démonstration régulière des charrettes poussées par les chevaux ou les tracteurs, à un défilé de feuilles de tabac, du houblon, des grappes de vigne, des betteraves et des pommes. Le cadre alsacien est particulièrement souligné à la 2min07, où est visible l’entrée dans la brasserie de Mutzig. Il s’agit à la fois d’un repère pour l’auditoire mais aussi d’une manière d’insister sur la production locale, bien que la brasserie à été racheté par le groupe Heineken en 1972. En présentant tous ces produits en mouvement, le réalisateur souligne, au passage, le maillage qui s’établit entre les agriculteurs et les producteurs agroalimentaires. Les produits bruts sont collectés sur les champs avant de passer par des coopératives locales afin d’être expédiés vers des centres de transformations, à l’image de la brasserie de Mutzig, ou des usines à tabac situés, par exemple, à Strasbourg. Ce maillage connait des transformations importantes depuis les années 50. Ces transformations sont visibles à travers la mécanisation, à l’exemple de la machine batteuse ou des tracteurs, mais elle est aussi présente dans la population. Jusqu’aux années 60, la France connait un exode rural important qui fait craindre à certain nombre de géographes un dépeuplement des campagnes. Dans les années 70, il y a un retour vers les campagnes qui s’observe avec l’extensions des aires urbaines et puis l’arrivé des urbains dans les campagnes. Ces déplacements de la population modifient la structure des campagnes. Il s’agit de moins en moins d’aller s’occuper d’un champ avec toute sa famille, mais bien des exploitants professionnels qui travaillent au sein des parcelles plus grandes, plus productives, et dont la production est orientée vers le marché extérieur. L’image socio-économique des campagnes change avec la diminution du métier d’agriculteur et une montée des métiers ouvriers et ceux des cadres. À cela s’ajoute une part des retraités plus importante. Ces transformations s’opèrent sur plusieurs décennies et de manière variable selon les régions. Des changements que Albert Schott remarque, car à 1min du film, il commente de manière admirative sur le fait que dans le passé proche, la cueillette des houblons se faisait à la main. Né dans les années 1920 et ayant vécu dans ses espaces de campagne alsacienne, il a pu assister à toutes ces transformations. C’est ici qu’on peut se poser la réalité de ce qu’est filmé. Est-ce qu’on a affaire ici à des pratiques réelles de l’époque, ou une volonté de recréer un passé ? L’observation des habits des acteurs, leurs gestes très naturels et l’utilisation bien souligné de machines laisse à croire qu’il s’agit bien une réalité de la vie agricole qui est montré. Une réalité qui devient un témoignage émotionnel.
Par la transmission des émotions
Tout le long du film, l’auteur apporte ses commentaires par rapport à ce qu’est montré. En commentant la récolte du houblon, il évoque « un travail de patience », par la suite, avec les dernières images du film, il dit « Pour les joyeux vendages de mon enfance » montrant son rapport personnel à ce qu’il filme. Il exprime ici à la fois un sentiment de nostalgie, de respect vis-à-vis de la vie à la campagne, et un bonheur. Un sentiment de bonheur, qui est transmis à la fois par la musique d’orchestre au début du film et puis par une chanson paillarde sur le vin, à partir de la 2min54. Puis, la joie est aussi exprimée par une partie des acteurs présents dans le film, en particulier des enfants tel que le garçon à la 3min14, assis sur la charrette qui se dirige vers la vigne. Une expression de joie, qui tranche avec les expressions plus réservées des adultes. La participation des acteurs au tournage peut s’exprimer par la proximité qui existe entre le réalisateur et ses lieux de tournage. C’est quelqu’un qui a grandi et a exercé son métier d’enseignant dans les environs. Ces films sont projetés dans les cinémas locaux, lui donnant une grande popularité. Ainsi, le jeune garçon peut se réjouir par l’idée de faire des vendanges mais aussi par l’idée d’apparaître dans un film et de pouvoir se voir. Il s’agit ici d’un film, qui est une production locale pour une consommation locale. Il y aussi une glorification du petit agriculteur qui peut être fier de sa production. C’est d’ailleurs avec de la fierté que Albert Schott annonce que l’Alsace est le premier producteur de la bière en France, ce que tout à fait possible car encore aujourd’hui, 60 % de la bière présente en France vient de l’Alsace. Le documentaire joue alors un rôle à la fois de divertissement pour les locaux mais aussi de témoignage pour une époque qui évolue. Dans une décennie, l’image de Mutzig change. La brasserie Mutzig ferme en 1989. La production des feuilles de tabac diminue au profil des exportations étrangères. Et le visage même des acteurs socio-économiques des campagnes change avec une diminution de la part des agriculteurs, qui se spécialisent et se professionnalisent de plus en plus.
Cet extrait de film laisse apparaître beaucoup plus qu’une simple image folklorique de la campagne alsacienne. Le film montre des anciennes pratiques agricoles à côté des nouvelles pratiques. Il témoigne de la transformation des campagnes françaises dans la deuxième moitié du XXe siècle. Ainsi, cet extrait du documentaire sert à rendre hommage et à être pédagogique.Bibliographie
Ouvrages généraux :
ADOUMIE (Vincent)dir, Géographie de la France, Hachette supérieur, Paris, 2015
FREMONT (Armand), Portrait de la France tome 1, Champs essais, Paris, 2011
SMITH (Paul)et alii., La manufacture des tabacs de Strasbourg et les patrimoines du tabac en Alsace, Lieux dits, Lyon, 2017
Articles généraux :
CORNU (Pierre), « La géographie rurale française en perspective historique », Géoconfluences, avril 2018 ; URL : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/france-espaces-ruraux-periurbains/articles-scientifiques/histoire-geographie-rurale
ENTZ (François), « La bière en Alsace », Revue d’Alsace [En ligne], 137
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