Vendanges 1953 (0009FS0003)
Résumé
Contexte et analyse
VENDANGES 1953
En 1953, la France sort de la période de reconstruction et dit adieu aux cartes d’alimentation. L’Europe du plan Monnet de 1950 va bientôt bouleverser les économies nationales, de l’industrie (CECA de 1952) à la Politique agricole commune qui débute en 1962. En 1957, le sociologue Henri Mendras sème le désarroi et déclenche le débat avec La Fin des paysans ?, qui expose que ce groupe autrefois majoritaire doit se moderniser ou renoncer, et disparaîtra en tant que civilisation à court terme. L’Alsace reste une terre profondément rurale en dépit de la forte industrialisation de la région. L’économie agricole y pâtit, selon les mots du géographe Etienne Juillard en 1953, de « cinquante années d’inertie ». Le constat d’un retard dans la productivité au regard de régions déjà modernisées, riches (Bassin parisien) ou moins (Sud-Ouest), mobilise la Direction des Services agricoles du Bas-Rhin dont Armand Gerber est l’ingénieur principal. Comme Juillard dans son ultime chapitre « Pour une politique agricole », le technicien livre dans ce film et son jumeau de 1952 (0009FS0004) un plaidoyer pour la fin des maux d’une agriculture qui n’a pas su évoluer depuis son apogée au milieu du XIXe siècle : révolution verte (engrais, mécanisation, choix des semences et sélection des races d’élevage), remembrement et spécialisation des exploitations pour l’essor de la qualité et du rendement. Un paysage viticole ancien
La présence du vignoble est attestée en Alsace depuis l’Antiquité romaine, et cette culture a connu un premier pic au Moyen Age, profitant comme les voisins de Champagne d’une position clef au carrefour d’importants axes de communication. Les viticulteurs ont longtemps produit surtout de la quantité, même si s’est peu à peu dessinée une carte tributaire des terroirs sur lesquels s’épanouit la vigne. Dans le Haut-Rhin, les contreforts des Vosges et la vallée du Rhin offrent un terrain idéal qui favorise l’émergence de propriétaires-récoltants-vignerons. Au nord de la région, où se prolonge une organisation plus communautaire de l’exploitation du sol. En 1895 naît la coopérative de Ribeauvillé, suivie en 1902 par celles d’Eguisheim et Dambach-la-Ville. Après la Seconde Guerre mondiale, une seconde vague voit le jour à Sigolsheim (Haut-Rhin) et Cleebourg en 1946, où la vigne est replantée après avoir souffert lors du conflit. Sa consœur de Molsheim, la cave du roi Dagobert, date de 1952, comme celle d’Andlau-Barr. À Cleebourg, les Allemands avaient déjà réorganisé le finage pour que chaque viticulteur dispose d’une parcelle en lanière d’un seul tenant plantées en haut en Traminer, au milieu en pinot gris et en bas en sylvaner[1].
Le travail de la vigne
Les cépages comme le sylvaner, le riesling ou le pinot conditionnent les appellations en Alsace. Une réforme de 1955 en réduit une première fois le nombre, avant qu’un texte de 1971 classifie les cépages autorisés pour l’AOC. Andlau est connu notamment pour le riesling Kastelberg, un climat attesté dès 1604. Si d’autres viticulteurs pratiquent les vendanges tardives pour profiter de la pourriture noble, ici on distingue bien des raisins mûrs, aux grappes serrées. Les pieds semblent produire une belle quantité, synonyme de moindre concentration en sucre. La vendange s’effectue de façon manuelle : le gros plans sur la main et la rapidité du geste signent l’expérience de ce récoltant. Le raisin rejoint un seau, lui-même versé dans une hotte d’Alsace à la forme spécifique : un porteur supporte un poids de X kilogrammes sur un terrain meuble et accidenté, parfois boueux. Il doit ensuite monter sur une échelle et renverser d’un coup le contenu dans une grande cuve. Ces dernières, en bois neuf à Cleebourg, sont transportées vers la cave sur des charrettes tirées par des bœufs ou des chevaux, dont certaines équipées de pneus. C’est là une mince concession à la modernisation qui se concentre à l’étape suivante.
De la vigne au vin
Avec ses bâtiments neufs, sans concession aucune au style alsacien imité à Igersheim en 1926, la cave de Cleebourg marque le paysage du seau de la fonctionnalité. Le film révèle une nette coupure entre une récolte manuelle et animale et la vinification mécanisée à toutes les étapes. L’homme utilise désormais des treuils qui soulèvent les lourdes cuves en bois, il surveille leur poids sur la balance, il les envoie à la presse par le truchement d’un wagonnet automatisé et enfin actionne un vaste pressoir. Si Gerber ne filme pas la cave où vieillit le vin, on sait qu’elle contient des cuves en inox en lieu et place des tonneaux en bois, et on a vu dans le film de 1952 des experts calculant le degré d’alcool contenu dans le raisin. Centralisée et rationalisée, la vinification produit des économies importantes pour la grappe des exploitants coopérateurs qui commercialisent une marque bientôt reconnue en Alsace.
La défaite de 1870 a coupé l’Alsace de la France, à la fois marché massif de consommation et lieu d’une concurrence poussant à l’innovation. Au retour de la région dans le giron de la République, les viticulteurs tentent de s’organiser et proposent en 1936 la création d’une Appellation d’origine contrôlée. La guerre interrompt le processus, mais dès le 23 novembre 1945 est créé un label « Vins d’Alsace » qui annule l’interdiction de vente aux troupes, avant d’obtenir l’AOC le 3 novembre 1962. En 1953 est créée la seconde route des vins en France après celle des Grands crus de Bourgogne. Le vignoble alsacien se situe alors au début d’une mutation qui prend corps dans les années 1970 avec l’extension de la commercialisation vers l’étranger et dans les années 1980 avec le renouveau du Crémant d’Alsace qui conquiert très vite des parts de marché. En 1994, le vin représentait 40% du produit agricole brut de la région.Lieux ou monuments
Bibliographie
Isabelle Bianquis, Alsace. De l'homme au vin, Gérard Klopp, Thionville, 1988.
Article rédigé par
ALEXANDRE SUMPF, 21 novembre 2018
- ↑ Jean Tricard, "Le vignoble alsacien", L'Information géographique, 1949, n°1, p. 26.