Chirurgie B. (0052FN0008)
Résumé
Description
1928. En venant de l’axe central qui traverse l’hôpital civil la caméra nous amène par un plan fixe vers le terre-plein, la grille et puis l’entrée de la clinique chirurgicale B. Les constructions de la deuxième extension de l’hôpital civil de Strasbourg sont pavillonnaires. Une religieuse disparait sur les marches de l’entrée de la clinique. Un deuxième plan plus rapproché montre le gardien de la clinique. Les tremblements de la prise de vue renvoient vers le peu d’expérience de l’opérateur amateur qui tourne avec une caméra 9.5 mm Pathé, disponible sur le marché seulement depuis 1922.
La troisième séquence du film déplace notre regard vers l’intérieur de la clinique. Malgré les fenêtres ouvertes, la lumière pour la prise de vue est limitée. Une infirmière religieuse se déplace dans la salle des malades. Il s’agit d’un service de chirurgie des enfants. Les mouvements de la camera sont brusques. Les prises de vue sont à contre-jour. La quatrième séquence du film (01 :16) cadrée sur le torse d’un jeune homme fait référence au film chirurgical de l’époque. A la manière des films médicaux et cliniques le malade, qui claudique de la jambe droite, fait des allers-retours devant la caméra fixe. Si le cadrage rend les prises de vue anonymes de manière volontaire pour protéger l’identité du malade, ou bien relève d’un cadrage inexpérimenté reste une question ouverte.
Par la suite, le film présente une série des travailleurs de la clinique sous forme de plans rapprochés, avec des regards caméra et des salutations vers l’objectif. Sourires plus ou moins gênés. La présentation du personnel médical et soignant réitère quelques difficultés de cadrage (visages coupés) qui relèvent du choix imparfait de l’emplacement de la caméra fixe et des mouvements des protagonistes. La vie de la clinique s’exprime à travers les sourires adressés à la caméra. A partir de la troisième minute du film les séquences montrent une forme de « montage » artisanal avec des retours vers des séquences déjà présentés. Le malade claudiquant revient cette fois à visage découvert déambulant devant le mobilier de la clinique. Une brève séquence (04 :06) de cette présentation est inversée (upside down) attestant du montage-bricolage.
La séquence suivante représente une première opération. La longue séquence (04 :18 à 06 :35) consiste d’abord en quelques plans concernant les préparatifs (plans sur les mains et coupoles indiquent asepsie) qui sont suivis de plans montrant l’anesthésie à l’éther par une infirmière (c’est habituel puisque la discipline médicale d’anesthésiologie date d’après 1945) et le champ opératoire.
Le montage revient au patient claudiquant et déambulant. Cette fois la présentation du malade (06 :36 à 07 :24) est suivi par la présentation d’un enfant avec une sévère déformation osseuse des deux jambes qui marche assisté par un médecin sur la terrasse solaire en plein air à l’arrière de la clinique (07 :24 à 07 :54). A la huitième minute figurent les plans les plus beaux du film. La caméra est cette fois placé du côté des grandes vitres qui surplombent l’entrée de la clinique chirurgicale et la lumière sur le théâtre chirurgical est parfaite. Visages et champ opératoire sont clairs et nets (07 :55 à 09 :23). Comme dans la pratique chirurgicale réelle, au milieu de l’opération un prélèvement est analysé ex temporane au microscope (plans sombres 08 :49) avant de revenir en salle d’opération pour conclure l’intervention par la mise en place d’un pansement. Une deuxième opération suit (09 :24 à 11 :08). Le tournage retrouve une lumière plus insuffisante ce qui laisse supposer que le tournage date d’un moment différent. Les plans sur le champ opératoire sont très détaillés.
Le montage revient à la présentation de la marche du garçon d’environs 4 ans sur la terrasse (11 :09 à 11 :38). Les feuilles sur la terrasse indiquent que nous sommes à l’automne 1928. Exposition du garçon sur une chaise. Retour à une opération. Plans cette fois centrés sur les chirurgiens au travail. Suivis d’autres séquences en salle d’opération. Gros plan sur une sœur-infirmière de la salle d’opération.
Le film se termine par la sortie en blouse de l’un des jeunes médecins de la clinique qui salue l’opérateur et la caméra et se rend près d’une voiture à l’entrée de la clinique. La visite est terminée.
Contexte et analyse
En 1919, le retour de l’Alsace dans le giron français et la réorganisation de l’université de Strasbourg, à laquelle le président Poincaré assigne d’être « à la frontière de l’Est, le phare intellectuel de la France », inaugurent vingt ans de vie clinique française sans bouleverser le système hospitalo-universitaire en place.
Depuis ses origines le secteur de l’hôpital préserve des espaces verts et jardins au sein de l’enceinte de la ville. Les constructions pavillonnaires de la fin du 19e et du début du 20e siècle perpétuent cette tradition en aménageant des promenades. La clinique chirurgicale B aux hospices civils de Strasbourg fait partie d’un ambitieux plan de construction de ce qui peut être désigné légitimement d’ébauche d’un ensemble hospitalo-universitaire (1875-1930).
Une première tranche concerne la construction impériale allemande d’instituts et de cliniques médicaux universitaires entre 1875 et 1902 pour plus de 5 millions de Marks. Un campus exemplaire conçu comme une vitrine de la médecine allemande se compose de cinq instituts de sciences médicales fondamentales (anatomie, pathologie, chimie physiologique, physiologie et pharmacologie) et de six cliniques universitaires.
Une deuxième tranche de constructions est engagée par la municipalité de la ville socialiste et hygiéniste de Strasbourg. Elle mène à l’extension municipale de l’hôpital civil entre 1905 et 1927 dont fait partie la clinique chirurgicale B présentée dans le film. Après une brève pause en 1903, les constructions d’extension de l’hôpital civil se poursuivent entre 1905 et 1923 par une deuxième ceinture de bâtiments au sud de l’extension impériale précédente. Initiée par le maire libéral Otto Back (1834-1917) et déployée par son successeur le réformateur social Rudolf Schwander (1868-1950) la deuxième extension hospitalière s’inscrit dans la politique ambitieuse de modernisation économique, hygiénique et sociale des deux maires de la ville. Rapprochant assistance publique et bienfaisance privée dans un système qualifié de « ville providence » le « système Schwander » associe bureaux de bienfaisance municipaux, visiteurs d’hygiène, services ambulatoires (policliniques) et bienfaisance privée (les sœurs de la charité assurent une partie des soins à l’hôpital civil municipal). L’assistance hospitalière municipale se matérialise sous la forme d’un plan d’ensemble de constructions de cliniques municipales destinées à répondre aux besoins sanitaires de la ville grandissante. En 1904 la ville rachète à l’armée les fortifications déclassées au sud de l’hôpital jusqu’au canal de jonction. Le projet de construction fut élaboré par les jeunes frères architectes Paul Bonatz (1877-1956) et Karl Bonatz (1882-1951) dans le style architectural du Werkbund. Le programme de construction en quatre tranches fut interrompu par la Première Guerre mondiale en 1914 et achevé en 1927. Le film présenté ici est ainsi tourné peu après l’achèvement de cette deuxième tranche de construction.
En partant du sud-ouest, l’extension municipale s’amorce par la construction entre 1912 et 1914 de deux grands bâtiments cliniques non universitaires selon le plan Bonatz, les cliniques chirurgicale et médicale, dites « B » après 1919. A l’extrémité ouest, donnant sur une promenade ovale avec un bassin circulaire se trouve le pavillon d’isolement de la clinique chirurgicale B achevé en 1914 (façade sud en haut). L’immense complexe avec 220 lits pour la « deuxième » clinique chirurgicale dite « B » est reconnaissable du côté nord par les verrières des deux salles d’opération au deuxième étage où sont filmées les scènes opératoires. La clinique présentait sur sa façade sud un solarium en forme de terrasse semi-circulaire où sont filmées les vues cliniques de la marche du jeune garçon atteint d’une dysplasie des hanches.
Le film du chirurgien Marcel Meyer est un film privé. Bien que tourné peu après la fin des travaux d’extension de ce qui est en 1928 l’un des hôpitaux les plus modernes d’Europe, les vues témoignent de la vie intime du service de chirurgie sans volonté ni de communication, ni d’enseignement ou de recherche. Le caractère « familial » est par exemple illustré par le plan d’un interne (04 :55) qui tire la langue à la caméra ainsi que par les rapports souriants et un peu malaisés des portraits du début du film.
Bien qu'amateur, le film se présente néanmoins sous une forme qui n’est pas du bout à bout. Une forme de montage suit ce qui pourrait être qualifié de « visite privée à la clinique de chirurgie B ». Nous sommes amenés de l’extérieur vers l’intérieur de la clinique. Le réalisateur nous y présente ses collègues de travail médecins et soignants. Une série de séquences est tournée comme les films de clinique médicale de l’époque sous la forme de présentation de malades. Au cœur du film se trouve le travail quotidien des chirurgiens : les opérations. Ainsi à la 8e minute au centre du film le spectateur assiste à un déroulé complet de ce travail avec les préparatifs, puis l’opération, puis un examen microscopique per-operatoire et la fin de l’opération avec le pansement. La séquence pourrait s’intituler « le travail quotidien du chirurgien : l’opération ». De même la séquence suivante témoigne d’une volonté de diriger le regard du spectateur quand la présentation du premier malade est montée en continu avec celle du jeune garçon.
Le film illustre un temps où les malades ne cherchent plus tant des soins à bon marché que des services dont l’hôpital a désormais l’exclusivité : un équipement approprié aux techniques chirurgicales et diagnostiques (examens de laboratoire, radiologie, salle d’opération). Chaque clinique possède son propre laboratoire d’analyse et de recherche (séquence microscope 08 :49). L’implantation progressive du corps médical dans l’hôpital qui peut être interprétée comme une « conquête médicale » est illustré ici par le fait que l’auteur du film investit cet espace quasiment comme un espace privé de « sa » clinique.
Entre lieu de prodige et d’espoir, centre de diagnostic technique et refuge sanitaire et social, les grands centres hospitaliers et universitaires de la deuxième moitié du XXe siècle sont des ensembles hétérogènes et multifonctionnels, souvent déroutants et secrets. Ce film médical amateur en donne à voir quelques fragments quotidiens à une époque où les vues filmés restent rares.Lieux ou monuments
Bibliographie
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Article rédigé par
Christian Bonah, 19 mars 2019