Ribeauvillé (0075NN0008)
Résumé
Description
La séquence débute par un panoramique vertical des vignes. (Coupe franche) Plan de la forêt située sur les hauteurs de Ribeauvillé, suivi d’un panoramique vertical aboutissant à un plan fixe de l’Eglise Saint Grégoire-le-Grand. (Coupe franche)
Gros plan sur des grappes de raisins noirs et blancs cueillies par une main, puis jetées dans des sceaux en plastique (Coupe franche). Plan rapproché sur un homme d’une cinquantaine d’année, corpulent, probablement le chef des vendanges. Celui-ci verse les grappes de raisins contenu dans les sceaux dans sa hotte puis tasse le raisin en secouant cette dernière. (Coupe franche) Gros plan sur une petite fille blonde dégustant une grappe de raisins noirs. Celle-ci rigole tout en regardant la caméra. (Coupe franche) Plan rapproché sur trois individus : deux jeunes hommes viennent apporter leurs sceaux remplis de raisins afin de les verser dans la hotte. Le chef des vendanges leur rend les sceaux vides et s’occupe de tasser le raisin. Une femme l’aide ensuite à enfiler sa hotte pleine sur son dos. La caméra suit alors son parcours des vignes jusqu’aux cuves. Le chef des vendanges verse le contenu de sa hotte dans une cuve, tandis que deux autres encore vides sont disposées à côté. Toutes les trois sont placées à l’extérieur des vignes, au bord d’un chemin viticole. (Coupe franche) Gros plan sur le pilon en train d’être utilisé pour tasser le raisin dans la cuve. Fondu au noir.
Gros plan sur un bol de soupe puis panoramique vertical du corps d’un homme mangeant sa soupe. À ses côtés, une vieille femme mange également sa soupe. Panoramique horizontal sur l’intérieur des cuves, pleines de raisins. Gros plan sur un jarret de porc en train d’être découpé. Les vendangeurs sont ensuite montrés en train de manger leur soupe, adossés aux cuves, double panoramique qui se termine sur un homme plus âgé, qui jette un regard suspicieux à la camera avant de se lever et de disparaître hors-champ. S'en suit un plan en plongée d'une jeune femme riant de la situation, située aux pieds du réalisateur. On aperçoit l’ombre du réalisateur et de la caméra. (Coupe franche) Gros plan sur la main de l’homme suspicieux qui tient un verre en plastique et se sert du vin provenant d’un bouteille en verre entouré d’osier. Gros plan sur le visage de l’homme en train de boire d’une traite son verre. Ce dernier, impassible ne regarde à aucun moment la caméra. La séquence se termine par un plan fixe des vignes.
Contexte et analyse
La séquence est filmée durant les vendanges à Ribeauvillé, probablement à la fin des années soixante. Le réalisateur est Jean-Georges Kugler, propriétaire d’un magasin de photos depuis 1948. Cinéaste amateur, il tourna plus de soixante films à Ribeauvillé entre les années 50 et 70.
Le vignoble alsacien depuis 1945
Après avoir été détérioré sous l’occupation allemande, le vignoble Alsacien amorce sa renaissance lors de la libération. Le 2 novembre 1945, le Général de Gaulle signe une ordonnance définissant les appellations d’origine des Vins d’Alsace et fixant les premières règles. L’aire de production est désormais délimitée et les coteaux sont privilégiés, au détriment des plaines. Les anciens cépages sont abandonnés au profit de cépages plus fins. L’évolution du vignoble alsacien se dirige vers une production de vins de qualité et se concrétise par la reconnaissance de l’AOC Alsace en 1962. Dès lors, la nécessité d’une harmonisation des intérêts et des moyens des différentes familles professionnelles se fait sentir, notamment pour fixer le prix du raisin. Il en résulte la création par décret, le 22 avril 1963, du Conseil Interprofessionnel des Vins d’Alsace (CIVA). En marge de ce développement économique, les viticulteurs alsaciens optèrent pour une politique de communication dynamique afin de faire connaître leurs vins, à l’image de la création de la Route du vin, en 1953, qui stimula aussi bien le tourisme que la renommée des vins régionaux. Le vignoble alsacien connait donc une remarquable prospérité au cours de la seconde moitié du XXe siècle. En effet, depuis 1945 les bonnes années s’accumulent sans discontinuité. Entre 1950 et 1959, deux mauvaises années seulement sont à signaler (1952, 1956). À partir de 1960, jusqu’à 1969, l’amélioration de la conjoncture est particulièrement nette, hormis une seule mauvais année (1965). Enfin, la décennie de 1970-1979 est tout simplement exceptionnelle, puisqu’elle ne comporte aucune mauvaise récolte et cinq récoltes moyennes (1972, 1974, 1975, 1977, 1978) mais surtout cinq bonnes années (1970, 1971, 1973, 1976, 1979).
Des hommes et des techniques
La période de vendanges nécessitant une main d’oeuvre importante, les connaissances de la famille étaient autrefois privilégiées. À l’époque ce moment permettait également à chacun de se retrouver et de prendre des nouvelles de chacun. Au fil du temps, les vendangeurs (Herbschterliet) se recrutent de plus en plus parmi les chômeurs et étudiants, parfois des habitués d’années en années. Habitué à réaliser des films familiaux, Jean-Georges Kugler immortalise ici la participation des membres de sa famille aux vendanges. Il réalise un gros plan relativement long sur sa fille Joëlle, en train de déguster une grappe de raisin. Il met également en lumière la mixité des âges au sein des vendangeurs puisqu’il filme deux jeunes hommes apportant le raisin à un homme plus âgé. Ce dernier est le Huttemann, le chef des vendanges. Portant une hotte pesant entre 60 et 70 kilogrammes, son travail est extrêmement physique. De ce fait, ce poste a de tout temps été confié à un homme et a toujours été mieux rémunéré que celui des vendangeurs. Jean-Georges Kugler semble porter une attention toute particulière à cet homme, figure tutélaire des vendanges, le suivant et le filmant durant ses différentes actions.
Le film de Jean-Georges Kugler atteste également de la participation active des femmes aux vendanges. En effet, afin de cueillir et couper le raisin, les femmes font preuve de davantage de doigté qu’un homme. Un vendangeur se retrouvait associé à un vendangeuse particulièrement rapide pour suivre le mouvement de récolte. Mais c’est également dans un souci de créer une ambiance de travail agréable que le vigneron prenait souvent soin d’alterner filles et garçons. Le travail doit être sérieux et efficace mais surtout bon enfant, les plaisanteries fusant tout au long de la journée. Les chansons paillardes et autres allusions sexuelles sont monnaie courante, les vendanges étant un moment de rapprochement entre les sexes.
Les techniques de cueillette n’ont pas beaucoup évolué depuis le début des vendanges. Jusqu’en 1930 environ, le raisin était coupé à la serpette, avant que celle-ci soit remplacée par le sécateur. Les raisins sont ensuite recueillis dans un sceau. Après le baquet en bois ou le sceau en acier galvanisé, le sceau en plastique, plus léger, constitue une évolution dans un travail immuable. Celui-ci est ensuite vidé dans une cuve en bout de rangée. Le porteur de hotte écrase alors les raisins avec un stössel (pilon), afin d’optimiser la place. La cuve est ensuite chargée sur une remorque. Jusqu’au milieu des années 60, des attelages tirés par des chevaux ou des boeufs étaient utilisés, avant d’être remplacés par des véhicules motorisés. Si les viticulteurs filmés par jean-Georges Kugler ont troqué leur sceaux en bois pour des sceaux en plastique, ce n'est pas le cas des cuves et des hottes. Il faut attendre le début des années 1970 pour voir les cuves et les hottes en plastique, de plus souvent de couleur jaune ou verte et parfois rouge, remplacer les mêmes ustensiles jusqu’alors en bois. Leur intérêt réside dans la légèreté, ce qui réduit d’autant la pénibilité du travail. Le plastique évite aussi la préparation fastidieuse, pour rendre les cuves de bois étanches.
Les vendanges : travail et convivialité
La dernière séquence saisit la dizaine d’employés agricoles lors de la pause du déjeuner. Jean-Georges Kugler s’attarde longuement et en détail sur ce moment, signe de son importance. En effet, les moments de collation sont inhérents à la pratique des vendanges.
Appelée communément la « Mère de famille », la femme du vigneron joue un rôle primordial dans les vendanges. Elle est chargée de recruter les travailleurs, de faire régner l’ordre à la maison et dans les vignes et enfin, de préparer dans sa cuisine les plats pour les vendangeurs. Elle se rend ensuite personnellement dans le vignoble afin d’apporter à manger aux vendangeurs.La journée type débute par un solide petit déjeuner constitué d’une soupe de farines ou de pommes de terre ainsi que d’un plat de käs (fromage blanc et munster). Au milieu de la matinée, un casse-croûte est généralement apportée par la « mère » : jambon, saucisse, fromage, café et schnaps au menu. Les vendangeurs étaient avertis de l'heure du déjeuner par la s’frassgleckla[2]. Cette pause, longue d’une heure, est marquée par un repas chaud, pris par terre ou assis sur une cuve renversée, et largement arrosée. Autrefois les vendangeurs avaient le droit à un plat unique durant l’entièreté des vendanges : des pommes de terre en robe de champ, du fromage ainsi que de la cochonnaille. Durant les Trente Glorieuses, la prospérité économique permis aux viticulteurs de proposer à leurs vendangeurs des plats plus copieux : saucisses, légumes, fromage, tarte aux fruits, café, schnaps, etc. Dans son film, le réalisateur effectue plusieurs gros plans sur la nourriture servie : de la soupe mais également du jarret.
Dans le courant de la journée, les vendangeurs buvaient du vin offert par le patron, autrefois conservé dans le loyala (petit tonneau) prévu à cet usage et qui accompagnait toute la période des vendanges, puis plus tard dans des bouteilles. Celles-ci étaient recouvertes d’osier comme le montre l’avant-dernier plan du film.Bibliographie
BIANQUIS Isabelle, Alsace, De l’homme au vin, Thionville, Gérard Klopp, 1988.
MULLER Claude, Alsace, une civilisation de la vigne : du VIIIe siècle à nos jours, Nancy, Place Stanislas, 2010.
MULLER Claude, Les vins d’Alsace, histoire d’un vignoble, Strasbourg, Coprur, 1999.
Site officiel du CIVA et des Vins d'Alsace : http://www.vinsalsace.com/fr/
Article rédigé par
Thomas Grandjean, 03 janvier 2020