Les Charbonniers (0104FH0001)
Résumé
Description
Le film débute par un plan d’ensemble de la forêt aux teintes automnales. Des troncs d’arbres coupés sont disposés en tas. Plan moyen d’une meule refroidie. (Coupe franche) Deux charbonniers transportent des bouts de bois sur une charrette. Les deux hommes déchargent les bouts de bois pour les placer sur une meule en formation. Un des deux hommes regarde parfois la caméra tandis que l’autre se focalise sur son travail et semble se désintéresser de la caméra. Le réalisateur se place derrière la meule et filme les deux charbonniers en train de disposer le bois. Double panoramique horizontal afin de montrer la meule dans son entièreté. (Coupe franche) Plan américain des deux charbonniers. Un des deux fixe la caméra, l’autre n’y jette qu’un rapide coup d’oeil puis contemple son travail. Les deux charbonniers remontent leur brouette à vide, afin de chercher du nouveau bois au coeur de la forêt. Dans une clairière éclairée, les deux charbonniers chargent à nouveau du bois sur la charrette. Plan fixe sur l’habitat des charbonniers, la roulotte, suivi d’une séquence de plusieurs plans consécutifs sur les ustensiles des charbonniers : corbeille, chaises, tables, râteau, sacs. (Coupe franche)
Un petit garçon observe une meule en fumée avant d’être rejoint par deux personnes âgées, vêtus d’habits de ville. Les trois personnes sont filmées en contre-plongée. (Coupe franche) Plan sur une meule en feu. (Coupe franche) Plan d’ensemble de quatre personnes : deux femmes en manteau et un vieil homme avec une canne et un béret à la main. En arrière plan on aperçoit l’enfant accroupi s’amusant avec des feuilles au sol. La femme sort un mouchoir en tissu de son sac, le donne à son mari qui le met sur sa tête. Cette femme s’assoit ensuite sur une bûche. La dame vêtue du manteau blanc regarde et souris à la camera tout en apostrophant l’enfant qui regarde alors furtivement la caméra. S’en suit un plan moyen des trois personnes âgées et de l’enfant qui ont rejoint les deux charbonniers autour d’une petit feu de camp au milieu de la forêt. L’ambiance, sous un beau soleil, est bon enfant : un des deux charbonniers rigole avec le petit garçon. Les deux charbonniers regardent furtivement la caméra. Gros plan sur le feu de camp et les chaussures du charbonnier. (Coupe franche) Plan d’ensemble des deux charbonniers qui s’en vont au loin, pelles et râteaux sur l’épaule. Les deux hommes s’arrêtent, se retournent et fixent la caméra avant de reprendre leur marche. (Coupe franche) Plan moyen d’une petite fille et d’un petit garçon vêtus tous deux de manteau d’hiver, situés à coté de bûches calcinées. Ils saluent le réalisateur en effectuant des révérences avant de faire de même entre eux. Panoramique horizontal de la caméra de gauche vers la droite mettant en lumière le charbon de bois calciné ainsi que la roulotte des charbonniers placée légèrement à l’écart du chemin au coeur d’une petite clairière. (Coupe franche). Le réalisateur, qui semble situé sur une butte, effectue un plan en plongée des restes d’une meule calcinée. On aperçoit en arrière plan deux enfants et deux femmes. La jeune fille joue avec un long bout de bois. (Coupe franche) Plan moyen des deux femmes et de l’enfant, une d’elle aide ce dernier à enfiler son manteau. La femme en blanc salue la caméra. S’en suit un panoramique vertical de bas en haut, des sapins jusqu’au ciel, marquant la fin de la séquence.
[La séquence est filmée de nuit] Plan moyen d’une cigogne dans son nid situé sur une cheminée. (Coupe franche)
Gros plan sur une tulipe jaune puis plan moyen de trois fleurs. (Coupe franche)
La dernière séquence se déroule dans une cour intérieure. On aperçoit en arrière-plan une barrière ainsi qu’une voiture à la porte arrière gauche ouverte. Plan moyen du petit garçon, qui s’amuse à filmer une petite fille et le réalisateur à l’aide d’une caméra.
Contexte et analyse
La vidéo est tournée en 1959, dans la forêt du Fleckenstein, aux abords du village de Lembach. Le réalisateur est Georges Fritz, coiffeur de profession et cinéaste amateur. Dans cette vidéo, on aperçoit sa femme vêtue d’un manteau blanc et qui le salue plusieurs fois, ainsi que sa fille Huguette et son fils Jean-Georges. On note également la présence de ses beaux parents, vêtus d’habits de ville. Aucun lien n’unissait Georges Fritz et les deux charbonniers filmés. Cependant le réalisateur connaissait beaucoup de monde dans le village et les charbonniers étaient un centre d’intérêt à l’époque, figures majeurs du patrimoine de Lembach.[1] La présence de trois séquences distinctes sur une même pellicule renforce l’aspect amateur de cette vidéo. Le prix de la pellicule étant élevé, le réalisateur a ainsi compilé sur une même pellicule trois vidéos.
En cette année 1959, l’entreprise De Dietrich vend le massif forestier du Fleckenstein, acquis cent ans auparavant, à une compagnie d’assurance. Les deux hommes filmés, Joseph Schmitt et Adolphe Wucher font partie des trois derniers charbonniers de Lembach. Joseph Schmitt débute sa carrière de charbonnier en 1924, à l’âge de 17 ans. Lui et les frères Adolphe et Joseph Wucher travaillent d’abord dans la vallée du Rhin avant d’être employés au sortir de la guerre par les établissements De Dietrich. Ensemble ils cessent leur activité en 1961.
Lembach, une terre de charbonniers
La présence de charbonniers dans la vallée de Lembach est attestée dès le Moyen Âge. Les différents châteaux-forts de la région font alors fonctionner leurs forges, nécessaires à la confection d’armes et d’outils, à l’aide de charbon de bois. À Lembach, la carbonisation se développe à partir du XVIe siècle, lorsque la carbonisation en fosses est remplacée par la carbonisation en meule. Le bois peut désormais être carbonisé au coeur des forêts, particulièrement dans celle du Fleckenstein. À la même période, l’activité florissante de la région est l’industrie de verre. La verrerie d’Obermattstall est fondée entre 1556 et 1560. Sur le ban communal de Lembach s’établit une verrerie au lieu-dit « Fakentahl ». Vers 1630, 14 verriers y travaillent ainsi que 4 bucherons et 3 verriers.
Le XVIIIe siècle est marqué par l’apparition de forges proto-industrielles dans les vallées nord-vosgiennes, à la suite de découvertes de gisements de minerais de fer. Dans les secteurs du Fleckenstein et du Thalenberg des mines de fer sont alors exploitées sous formes de concessions. Naissent alors de grandes forges : De Dietrich au Jaegerthal puis à Niederbronn. En 1785, l’entreprise exploite 140 charbonniers dont certains viennent de Lembach. Face à l’augmentation de la production sidérurgique, la famille De Dietrich acquiert en 1860, le massif forestier du Fleckenstein, d’une superficie de 270 ha. Au XIXe et XXe siècles, le charbon de bois des forêts environnantes est acheminé à l’aide de grandes bennes vers les hauts fourneaux des usines De Dietrich.
Néanmoins, la production de charbon de bois pose le problème de la déforestation. Ainsi, le massif de Thalenberg est coupé blanc afin de satisfaire les besoins de production. L’arrivée du coke sur le marché, à la fin du XVIIIe siècle, conduit peu à peu à la raréfaction du charbon de bois. En 1959, la famille De Dietrich vend la forêt du Fleckenstein à la compagnie d’assurance Cité Vie, entraînant ainsi la disparition des derniers charbonniers dans la région.
Le travail du charbonnier
La meule consiste en un tas de bois de forme arrondie empilé autour d’une cheminée centrale. Le diamètre des meules variaient entre 5 et 10 mètres, en fonction du volume de bois utilisé et de la quantité de charbon de bois souhaitée. Les meules étaient constituées au coeur de forêts de charbon de bois, appelées charbonnières. Celles-ci devaient être parfaitement plates afin que la carbonisation soit régulière. Ainsi, dans les plaines cela ne posait guère de soucis. En revanche, la tâche n’était pas aisée dans les terrains pentus. Le charbonnier, dont le premier travail était la constitution de l’aménagement des charbonnières, devait construire des terrasses.
Une fois ce travail de préparation effectué, la construction de la meule pouvait débuter. La cheminée centrale était composée de trois perches verticales de 20 cm de diamètre environ, plantées dans une fosse creusée au sol. Des charbonnettes et des bûches étaient ensuite posées verticalement puis obliquement contre la cheminée. Selon la taille souhaitée de la meule, plusieurs étages de bûches pouvaient être constitués. Ces dernières étaient placées en ménageant des ouvertures pour le tirage. Le charbonnier utilisait principalement du chêne, du hêtre, du châtaignier ou encore du charme. Il devait être vigilant à ne pas utiliser du bois trop sec, donc vieux ou au contraire du bois vert et humide, trop jeune. Terminée, la meule formait un demi-sphère. Elle était enfin recouverte de mottes de terre et de feuilles mortes afin de la rendre étanche à l’air, à l’exception de la cheminée que l’on découvrait.
La troisième étape consistait en l’allumage de la meule et sa combustion. On versait dans la cheminée de la braise et du charbon obtenue d’une cuisson précédente. Suite à cela, la cheminée était refermée. Des trous de tirage et d’évacuation de fumée étaient ensuite créés. La braise était ainsi activée par le tirage et se rependait dans la cheminée. Elle permettait donc la chauffe du bois, ce dernier commençant à cuire : il s'agit du processus de carbonisation. Durant la progression de la combustion, la meule était tassée afin que la braise se répande de façon régulière et que la meule reste étanche à l’air. Les charbonniers constituaient la plupart du temps des groupes composés de 3 à 4 personnes, se relayant afin d’assurer une surveillance continue afin que la meule de s’enflamme pas. La cuisson durait entre dix et quinze jours. Entre temps, la volume de la meule avait diminué de moitié. Elle perdait son manteau d’étanchéité et ainsi refroidissait. Durant la phase de cuisson, la température à l’intérieur de la meule atteignait les 500°C. Après quelques jours, elle pouvait enfin être défournée. A titre d’exemple, une meule de bois de hêtre de 50 stères produisait environ 50 tonnes de charbon de bois. À l’époque, le charbon était chargé dans des bennes d’osier haut de 4 à 6 mètres et large de 2 mètres. Ces dernières étaient ensuite acheminées par attelage (boeufs, chevaux) vers les fonderies.
La vie de Charbonnier
La forêt constituait le lieu de travail et de vie du charbonnier. Jusqu’à la moitié du XVIIIe siècle, certains charbonniers étaient entourés de leur famille. Plus tard, les charbonniers passaient l’hiver dans leur logis avant de quitter leur foyer au printemps et de n’y revenir qu’à la fin de l’automne. Les différents membres de l'équipe assuraient la combustion de plusieurs meules à la fois. Ils vivaient quotidiennement auprès des meules et de ce fait, passaient plusieurs saisons dans la forêt.
Les charbonniers s’attelaient à la construction d’un logis, appelé hutte. L’habitat était rudimentaire et se composait de plusieurs perches posées verticalement les une contre les autres, le bois disposé à l’horizontal constituant ainsi la charpente. Le tout était recouvert de mottes de terre et de branches, par soucis d’étanchéité. Des paillasses faisaient fonction de lits. Les derniers charbonniers de Lembach connaissent davantage de confort avec la mise à disposition par leur employeur de roulottes forestières.
Au Fleckenstein, l’aspect extérieur de la hutte n’est pas identique. Pour ne pas être obligés de refaire la couverture de la hutte tous les ans, les charbonniers recouvraient les huttes avec des bardeaux d’épicéa des Vosges. Cependant les dimensions étaient respectées, tout comme l’ouverture en partie haute. Quand cela était possible, le charbonnier construisait son habitat à proximité d’une source ou d’un ruisseau, afin de disposer d’eau nécessaire à sa survie, également utile en cas de problème avec sa meule.
Le travail du charbonnier était éreintant car ce dernier devait rester à l’affût du moindre problème. Il disposait donc de peu de temps pour réaliser ses repas. Lorsqu’il ne travaillait pas très loin de leur logis, un membre de sa famille - souvent un enfant - lui apportait un repas chaud par jour. Sinon, il lui fallait faire la cuisine. Le plat de prédilection du charbonnier était le stepfer.[2] Le stepfer est une purée de pommes de terres cuite sur le feu dans une petite marmite à trois pieds. Rien n’est perdu puisque l’eau de cuisson sert de soupe. L’alimentation des charbonniers était extrêmement riche puisque ces derniers consommaient environ un kilo de beurre par personne en une semaine. La viande se faisait rare bien qu’ils consommaient du lard fumé de temps en temps. Les aliments étaient conservés dans la cave de la hutte, qui consistait en réalité en un simple trou creusé dans la terre.Personnages identifiés
Lieux ou monuments
Bibliographie
SCHLOSSER Charles, Disteldorf, Terre de charbonniers, Bernardswiller, I.D. l’Édition, 2017.
SCHLOSSER Charles, Les charbonniers : Les charbonniers du Fleckenstein, Lembach, Lembach, 2012
WAGNER Michel, « Les charbonniers du Haut-Florival », S’Lindeblätt : Les cahiers du patrimoine du Haut-Forival, T.1, n°31, 2008.
Article rédigé par
Thomas Grandjean, 03 janvier 2020
- ↑ Informations obtenues suite à l’entretien réalisé par mail avec Charles Schlosser, maire actuel de Lembach et président de l’association « Les charbonniers du Fleckenstein », le 16 décembre 2019.
- ↑ Le mot Stepfer est issu de l’allemand Stopfer qui signifie bourrer. SCHLOSSER Charles, Les charbonniers : Les charbonniers du Fleckenstein, Lembach, Lembach, 2012, p. 16