Ecole Sainte Charles (0043FI0001)
Résumé
Contexte et analyse
Cet extrait, caractérisé par le travail de montage et la mise en scène réalisés par Charles-Henri Waag permet de découvrir la dyslexie et ouvre une porte sur le milieu de l’enseignement spécialisé des années 1980.
L’enseignement spécialisé en France
La question de l’enseignement spécialisé en France est apparue au début du XXème siècle. La loi du 15 avril 1909 permet en effet la création, sur demande du département ou de la commune, d’établissements spécialisés, ou encore de classes de perfectionnement. Le premier diplôme spécialisé pour instituteur, le Certificat d’aptitude à l’enseignement aux enfants arriérés, est d’ailleurs créé au début du XXème siècle.[1] En 1952, on relève que 5% de la population scolarisée est concernée par cet enseignement, le but étant d’éviter la déscolarisation des enfants en difficulté scolaire. L’ouvrage L’école publique française, préfacé par le ministre de l’Éducation nationale de l’époque, comporte d’ailleurs un chapitre à ce sujet, ce qui prouve bien l’importance de cette question. L’une des considérations qui prime dans les années 1950 est de favoriser les rapports entre les enfants en difficulté et les autres enfants, sans pour autant les mélanger dans les classes. L’enseignement spécialisé est placé sous la double tutelle du ministère de l’Éducation nationale, et du ministère de la Santé.[2] On note la présence de plusieurs types d’établissements spécialisés différents. Il est par exemple possible de citer, les Classes d’intégration Scolaire (CLIS), les Centres Médico-Psycho-Pédagogiques (CMPP), les Instituts Médico-Pédagogiques (IMP)… En 1990, l’Académie de Strasbourg fait partie des académies de France les mieux dotées en terme d’enseignement spécialisé. En effet, 2,8% des enseignements dispensés dans cette académie sont des enseignements spécialisés, un pourcentage au-dessus de la moyenne nationale.[3]
La dyslexie : un trouble du langage et de l’apprentissage
En 1982, Etienne Bolanski pointait du doigt la difficulté de donner une définition exacte de ce qu’est la dyslexie. Il écrit en ce sens « Tout le monde admet qu’il est très malaisé, voire impossible, de définir un terme dont on fait un usage aussi large ».[4] L’étymologie du mot dyslexie apporte déjà un élément de réponse quant à la définition à donner à cette pathologie. A la racine « lexie » qui vient du grec ancien « lexis » (le mot, le langage), est ajouté le préfixe péjoratif « dys- », qui désigne une difficulté. La dyslexie est donc un trouble du langage et particulièrement de la lecture. On considère en effet à l’époque que cette pathologie est caractérisée par le fait d’acquérir la lecture dans des délais inhabituels. Si toutes personnes apprenant à lire rencontrent des difficultés, celles-ci persistent chez les dyslexiques. Le discours de Sœur Marie-Edith dans la deuxième partie de la vidéo décrit les conséquences de cette pathologie : la confusion de lettres ou de sons, l’inversion de lettres ou de syllabes dans un mot, orthographe et grammaire laborieuses…[5] En effet, lorsqu'il existe des difficultés de reconnaissance et de décodage des mots, cela implique des difficultés de transcription de ces mots, et donc d’expression écrite, tout cela ajouté à des difficultés de compréhension écrite.
Au vu de l’importance de la lecture et de l’écriture dans notre société, il est facile de comprendre en quoi cette pathologie est handicapante dans le parcours scolaire d’un enfant dyslexique. On définit aujourd’hui la dyslexie comme un trouble neuro-développemental, c’est-à-dire que l’enfant souffre de perturbations du développement cognitif. Les recherches récentes sur la dyslexie ont déterminé plusieurs origines possibles à cette pathologie : facteurs génétiques, ou encore facteurs environnementaux (prématurité, stimulation de l’entourage…)[6]
L’Institut Saint-Charles : de l’orphelinat à l’IMP
En 1867 est fondé à Schiltigheim l’orphelinat Saint-Charles. Prévu pour accueillir soixante garçons, cet établissement est placé sous l’autorité des Sœurs de la Charité de Strasbourg, une congrégation créée en 1734. Sont alors construits un internat, une chapelle, et divers autres locaux. En 1927, c’est une école privée qui ouvre ses portes. Si après 1945, l’orphelinat accueille de plus en plus d’enfants handicapés, ce n’est qu’à partir de 1958 que Saint-Charles se spécialise dans la rééducation de la dyslexie en obtenant un agrément de la Sécurité Sociale. Cet agrément prévoit que l’Institut doit accueillir une soixantaine de garçons âgés de 6 à 15 ans.[7] Les enfants sont accueillis à la semaine puisque la rééducation est basée sur une théorie de la psychanalyse préconisant l’autonomie de l’enfant par rapport à sa famille. Instituteurs et éducateurs travaillent en collaboration avec des professionnels de santé. Si les rééducations orthophoniques sont rares en 1982, on remarque que certains membres du personnel de l’Institut ont tout de même les qualifications nécessaires à la rééducation de la dyslexie. En 1957 est en effet créée l’école de formation des rééducateurs en dyslexie, ceux-ci obtiennent ensuite le titre d’orthophonistes à compétences limitées en langage écrit.[8] En 1992, un nouvel internat est construit de façon à préparer les bâtiments pour un enseignement mixte et c’est deux ans plus tard que la mixité est introduite à Saint-Charles.[9] Le film analysé ayant été tourné en 1982, il est normal que ces nouveaux bâtiments n’apparaissent pas. Il est cependant à noter que certaines parties de l’établissement visibles sur les images sont encore en place aujourd’hui. Notamment le stade de football, ou encore l’escalier permettant de quitter l’ancien internat.
En 2000, les Sœurs de la Charité créent la Fondation Vincent de Paul, reconnue d’utilité publique. L’Institut Saint-Charles est alors intégré à cette Fondation. Aujourd’hui, il est composé d’un ITEP (Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique), soixante-deux enfants entre 6 et 14 ans y sont accueillis en internat ou en semi-internat. L’Institut comporte aussi un SESSAD (Service d’Éducation Spéciale et de Soins à Domicile) qui concerne les enfants scolarisés dans des classes spécifiques comme les CLIS (Classes d’Intégration Spécialisées) ou les ULIS (Unités localisées pour l’Inclusion Scolaire en collèges et lycée).[10]
Le film, un outil pédagogique pour l’enseignement
Une des questions soulevée par l’extrait du film de Charles-Henri Waag est la relation entre le cinéaste et l’Institut Saint-Charles. Si les deux premières parties de l’extrait (le départ en sortie scolaire et la réunion d’information) ont pu être tournées sur la simple initiative du cinéaste, il est impossible que Monsieur Waag ait pu filmer un cours sans que la direction de l’école soit impliquée. De plus, la dernière partie de l’extrait met en scène la première femme du cinéaste et un instituteur de l’Institut Saint-Charles. Dans d’autres scènes du film (qui ne sont pas visibles dans cet extrait), il est possible de remarquer des scènes relevant de l’intimité des enfants. On peut par exemple citer la scène du lever ou du coucher des enfants, ainsi qu’une scène dans la salle de bain de l’internat où les garçons se lavent les dents. La question de l’implication de l’Institut semble centrale pour comprendre l’enjeu de ce film. Passionné de photographie depuis ses 14 ans, Charles-Henri Waag a réalisé de nombreux films dans les années 70 et 80. Le travail de mise en scène et de montage les caractérise.[11] S’il est possible que ce soit lui qui ait été à l’initiative de cette idée, l’entretien avec des instituteurs de l’Institut a soulevé une autre explication. La pédagogie mise en place dans l’établissement reposait, entre autres, sur les activités extrascolaires. Les élèves partaient ainsi en classe de neige, en classe verte… De nombreux films ont été réalisés dans le cadre de l’enseignement. On peut ainsi trouver des films évoquant la dyslexie, ou d’autres sur la vie à l’internat. L’Institut possédait d’ailleurs sa propre caméra. Ce film aurait ainsi été projeté au sein des classes de l’Institut. Une autre hypothèse est qu’il aurait pu servir à présenter l’Institut et le quotidien des enfants qui y ont été admis aux parents des nouveaux-élèves.[12]Bibliographie
Ouvrages scientifiques :
BALLARIN Jean-Luc, Enfants difficiles, structures spécialisées, Paris, Nathan, 1994. BOLTANSKI Etienne, Dyslexie et Dyslatéralité, « Que sais-je ? », Paris, PUF, 1982. SIMONIN Régis, Les sens de dessous-dessus, Mémoire en architecture sous la direction de REVAULT Philippe, Strasbourg, 1991-1992.
Sitographie :
https://www.fno.fr/ressources-diverses/histoire-de-lorthophonie/ (Dernière consultation le 31/12/2019). Site de la Fédération Nationale des Orthophonistes https://vimeo.com/320711822 (Dernière consultation le 31/12/2019). Intervention de HELLOIN Marie-Christel « La dyslexie, un trouble neurodéveloppemental, des apprentissages » à Notre-Dame de Bondeville, 2019.
Entretiens :
Entretien avec WAAG Monique du 17 décembre 2019.
Entretien avec JUHL Gwenaël et SCHNEIDER Denis du 20 décembre 2019.
Article rédigé par
Pauline Wolf, 05 janvier 2020
- Aller ↑ BALLARIN Jean-Luc, Enfants difficiles, structures spécialisées, Paris, Nathan, 1994, p. 8.
- Aller ↑ BALLARIN Jean-Luc, Enfants difficiles, structures spécialisées, Paris, Nathan, 1994, p. 9.
- Aller ↑ BALLARIN Jean-Luc, Enfants difficiles, structures spécialisées, Paris, Nathan, 1994, p. 11.
- Aller ↑ BOLTANSKI Etienne, Dyslexie et Dyslatéralité, « Que sais-je ? », Paris, PUF, 1982, p. 3.
- Aller ↑ SIMONIN Régis, Les sens de dessous-dessus, Mémoire en architecture sous la direction de REVAULT Philippe, Strasbourg, 1991-1992, p. 48.
- Aller ↑ https://vimeo.com/320711822
- Aller ↑ SIMONIN Régis, Les sens de dessous-dessus, Mémoire en architecture sous la direction de REVAULT Philippe, Strasbourg, 1991-1992, p. 45-46.
- Aller ↑ https://www.fno.fr/ressources-diverses/histoire-de-lorthophonie/
- Aller ↑ Entretien avec JUHL Gwenaël et SCHNEIDER Denis du 20 décembre 2019.
- Aller ↑ Entretien avec JUHL Gwenaël et SCHNEIDER Denis du 20 décembre 2019.
- Aller ↑ Entretien avec WAAG Monique du 17 décembre 2019.
- Aller ↑ Entretien avec JUHL Gwenaël et SCHNEIDER Denis du 20 décembre 2019.