Colonie de vacances La Cigogne à Stosswihr (0160FS0002)
Résumé
Contexte et analyse
Les colonies de vacances d’après-guerre héritières d’une longue tradition
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les colonies de vacances prennent un véritable essor en France : le nombre de colons, estimé à 300 000 en 1945, passe à 820 000 en 1948. Ces organisations bénéficient en effet du soutien des pouvoirs publiques, qui considèrent que les colonies de vacances contribuent à la reconstruction de la société par une rééducation sanitaire et sociale des jeunes gens marqués par la guerre[2] .
A l’origine, les colonies de vacances se sont en effet développées autour de la notion de compensation. En 1876, un pasteur zurichois, Wilhem Bion, souhaite faire retrouver la santé aux enfants pauvres en leur faisant respirer l’air de la campagne dans la plus grande liberté possible. Il crée donc la première colonie de vacances. Progressivement, d’autres formes d’organisations voient le jour[3]. Devant le recul des maladies pulmonaires, les colonies de vacances à vocation sanitaire s’éteignent peu à peu dans les années 1930 et sont façonnées par une tendance éducative avec une finalité de sensibilisation aux loisirs. Au pouvoir en 1936, le Front populaire reconnait l’utilité sociale des colonies et l’Etat commence dès lors à les subventionner et les réglementer. Ainsi en 1937, une première définition officielle des colonies de vacances est donnée : « Etablissement fonctionnant temporairement, ne recevant pas d’enfants malades, mais des enfants ayant besoin d’un changement de climat et de quelques semaines de vie au grand air, sous surveillance appropriée ». La part du budget de l’Etat affectée aux colonies est quadruplée et un comité départemental de surveillance des colonies de vacances voit le jour . Cette imbrication des aspects législatif et financier montre l'implication croissante de l’Etat dans l'organisation des colonies, ce qui contribue à leur développement. Progressivement, les colonies de vacances passent donc du statut d’œuvre de charité à de véritables organisations de vacances : elles sont socialement de plus en plus diversifiées, gagnant des couches de population pouvant participer financièrement au prix du séjour de leurs enfants.
L’organisation de colonies par une entreprise alsacienne : les Mines Domaniales de potasse d’Alsace (MDPA)
Certaines organisations ouvrières et professionnelles choisissent de créer leurs propres colonies de vacances dans le but de renforcer la fraternité entre leurs membres. C’est le cas des Mines Domaniales de Potasse d’Alsace. Dès ses premières années d’existence après la découverte de gisements de potasse en 1904, l’entreprise développe un ensemble d’œuvres sociales à destination du personnel des MDPA. Des logements sont construits à proximité des lieux de travail, des écoles sont édifiées et des associations sont créées pour assurer tous les besoins des familles : hygiène et santé, nécessités alimentaires et vestimentaires, sports[4]. Interrompues par la guerre, les œuvres sociales reprennent très vite en 1945. Des enfants provenant des localités les plus sinistrées sont envoyés trois mois en « cure d’air » en Suisse, dans le Doubs ou l’Isère. Les services des MDPA se mobilisent aussi pour organiser des séjours pour les jeunes de 10 à 18 ans pour l’été 1946 en essayant de réunir tout le matériel nécessaire tant pour les colons que pour les lieux d’accueil. Le projet initial visant à se rendre à Messigny en Côte d’Or est abandonné en raison de la précarité des installations, du manque d’eau mais aussi à cause d’une épidémie de poliomyélite sévissant dans la région. C’est finalement le camp de Stosswihr qui est choisi. Trouvé dans un état lamentable par les responsables en parcourant les Vosges, il est remis en état et accueille les premiers colons comme prévu durant l’été 1946[5]. La première colonie est un succès puisque le 9 juin de l’année suivante, le comité central d’entreprise crée l’Association des colonies de vacances des Mines Domaniales de Potasse d’Alsace « La Cigogne », qui ouvre cinq autres centres à Messigny, dans le Doubs, le Haut-Rhin, le Cher et le Jura. Ces colonies accueillent garçons et filles, enfants ou adolescents apprentis dans l'entreprise (document 1).
Une colonie fortement marquée par la culture d’entreprise des Mines
Le film réalisé par Charles Bueb permet ainsi d’entrevoir à quoi ressemble une colonie de vacances organisée par une entreprise alsacienne quelques années à peine après la guerre. La cohésion des différents participants est bien mise en avant dans les différentes scènes filmées. Le cameraman réalise tout d’abord un mouvement de travelling circulaire en se plaçant au centre d’un cercle formé par les participants (00 :00 – 00 :27). Les jeunes gens, qui semblent être des adolescents, chantent ensemble puis croisent leurs bras de manière à saisir avec la main gauche la main de leur voisin de droite et inversement. Ils forment ainsi une ronde et scandent leur chanson par leurs mouvements de bras. Cette forme de ronde est pratiquée dans le but de montrer une certaine unité entre les différents participants qui sont tous issus de familles travaillant pour les Mines de Potasse. En effet, parmi les renseignements demandés dans les fiches de demande d’inscription pour une colonie de camp de vacances de « La Cigogne » (document 2)
doit figurer le numéro de matricule des parents au sein de l’entreprise des Mines. Ce ne sont pas seulement les fils de mineurs qui partent en colonies, mais aussi les enfants des autres corps de métier présents dans l’entreprise (ingénieurs, cadres…). Les différences socio-professionnelles sont légèrement perceptibles grâce aux allures des jeunes gens, certains prenant soin de bien boutonner leur pardessus, d’autre y prenant moins garde (00 :07). Cela n’entrave en rien une forme d’esprit communautaire, les jeunes hommes n’ayant pas de mal à chanter des chansons communes.
Dans ce film il est assez difficile de distinguer les colons de l’équipe encadrante. La majorité des personnes présentes à l’écran semble avoir approximativement le même âge, mais certaines personnes sortent du lot. Il y a tout d’abord un enfant plutôt jeune tenant la main d’un homme et d’une femme lors de la ronde (0 :40). Ce pourrait être l’enfant d’un couple de l’équipe encadrante. En effet, il est alors commun de trouver des couples parmi les directeurs ou animateurs des séjours de vacances. En tout, deux femmes sont visibles durant le film : l’une à 0 :44 dans la ronde et près du bus, la seconde dirigeant la chorale à (2 :34-2 :46). Il semblerait que le rôle de directeur incombe à l’homme faisant un discours aux jeunes gens (00 : 44), les jeunes femmes peuvent donc sûrement occuper les fonctions de monitrice ou d’infirmière même si le camp n’est pas mixte. L’entrée dans le bus donne l’occasion au cinéaste de réaliser un travelling de droite à gauche pour filmer quelques personnes posant devant le bus (00 :57). Ils sont divisés en deux groupes. A droite, on voit une jeune femme et deux hommes d’âge mûr qui pourraient faire partie de l’équipe encadrante. A gauche sont positionnés neufs jeunes hommes en train de chanter mais il est difficile de savoir s’ils sont colons ou moniteurs. En effet, l’un des garçons est identifié comme Lucien Lutringer[6] (avec le béret en 1 :08), né en 1929 et futur chargé du service formation des MDPA. En 1946 il a 17 ans et pourrait donc compter parmi les colons, tandis qu’en 1948 il en a 19 et pourrait alors faire partie de l’équipe encadrante. Difficile donc de savoir quelle était la composition exacte de l’encadrement. Les deux groupes posent devant le bus de manière à laisser apparaître le logo des Mine Domaniales de potasse d’Alsace. Le bus appartient en effet à l’entreprise qui développe après 1945 un service de ramassage par cars[7] et qui est utilisé par les ouvriers pour se rendre au travail ou bien par les écoliers et apprentis. L’association « La Cigogne » a sans doute pu demander à pouvoir utiliser un des cars du service pour emmener les colons jusqu’à Stosswihr.
Des activités au grand air
Ce film ne nous permet pas de dresser un inventaire de tous les moments de la vie commune de la colonie, mais dévoile quelques activités vécues par les jeunes gens durant leur séjour. Le chant semble occuper une place très importante et semble souder les jeunes gens entre eux. Dans le bus, tous les passagers chantent une même chanson (1:18 – 1:28) comme nous le prouvent les deux plans réalisés par Charles Bueb, l’un visant l’arrière du bus, le second l’avant où l’on peut apercevoir le chauffeur du car portant une sorte de képi. Plus tard dans le film, une forme de chorale est organisée sur les marches d’un bâtiment (2:30 - 2:42) Certains jeunes gens jouent de leur instrument : on peut voir cinq harmonicas, un accordéon, un pipeau et une clarinette. Ceux qui ne jouent pas chantent avec entrain, menés par une femme qui bat la mesure. Le chant est alors en effet un élément caractéristique des colonies de vacances. On chante des chants appris à l’école, des chants patriotiques, et quelques chants populaires amusants[8]. L’entrain des jeunes gens à chanter en marchant sur le retour au camp (2:55 - 3:18) laisse deviner qu’ils ont choisi une chanson de ce dernier répertoire.
La marche est aussi une autre activité phare des colonies de vacances, vue comme un moyen de faire de l’exercice physique tout en découvrant la nature et en prenant du « bon air ». La promenade prend toutefois une allure quelque peu militaire : le réalisateur filme les jeunes gens sortant du camp en rang, marchant d’un même rythme, quasiment au pas (2 :01 - 2-30). Peut-on voir là une forme de continuité avec la discipline scolaire ou même militaire ? Difficile à dire. Cependant, le retour se fait de façon plus désordonnée (2 :55-3 :18), plus joyeusement et sans se placer en ordre serré.
Les jeux sportifs sont un autre tenant des activités de colonie. Charles Bueb filme ainsi un jeu de parcours d’obstacle en relais (1 :35-1 :49). En sa qualité de professeur de sport, peut-être en est-il l’organisateur. Les obstacles sont réalisés avec le mobilier disponible, en l’occurrence quelques bancs. Un seau est placé en fin de parcours dans lequel il s’agit de recueillir de l’eau à l’aide d’un gobelet pour le ramener dans son équipe en passant par-dessus le banc à l’aller, en-dessous au retour. Le but est d’être la première équipe à remplir sa bouteille avec l’eau recueillie. Les jeunes gens adoptent des stratégies différentes : certains passent vite sous le banc avec le gobelet au risque de perdre de l’eau, tandis que d’autres posent le gobelet sur le banc et passent eux-mêmes en dessous de manière à en ramener davantage. Ce jeu reste encore aujourd’hui courant parmi les animations proposées en accueil de loisir.
Une certaine maîtrise de la caméra par Charles Bueb
La façon dont Charles Bueb filme montre une certaine maîtrise de sa part des techniques cinématographiques : lors de la promenade des jeunes gens, il commence par un plan très large (2 :01) pour filmer leur sortie du camp, coupe sa caméra puis les filme de nouveau quand ils sont plus proches (2 :04) et reste fixe, les laissant passer vers la droite, coupe la caméra une nouvelle fois et prend de l’avance sur le groupe qui passe devant lui (2 :18), ce qui donne au film et à la scène un aspect dynamique. Les colonies de vacances auxquelles participe Charles Bueb sont en effet aussi un moyen pour lui de perfectionner ses techniques de prises de vues ; ses photographies sont publiées par la suite dans la Gazette des Mines. Cette activité lui permet de devenir photographe et caméraman officiel pour la gazette en 1951. Il documente ainsi le travail des ouvriers, la mécanisation des mines et les activités sportives et sociales des œuvres des Mines. Il devient plus tard rédacteur en chef de la gazette et travaille par la suite dans le service de communication des mines au sein des ressources humaines.
Pour en savoir plus au sujet des Mines de potasse d’Alsace, se référer aux fiches d’analyse des films réalisés par Charles Bueb :
- Vestiaire du puits Marie-Louise des MDPA : mineurs à la lampisterie
- Visite du général de Gaulle à Mulhouse et aux MDPA
- Vues aériennes du bassin potassique
Lieux ou monuments
Bibliographie
FUCHS Julien, « Les colonies de vacances en France, 1944-1958 : impulsions politiques autour d’un fait social majeur », PAEDAGOGICA HISTORICA, tome 53, n°5, 2017, p.602-622, [En ligne], URL : http://eds.b.ebscohost.com.scd-rproxy.u-strasbg.fr/eds/detail/detail?vid=4&sid=f653ca2f-753e-456f-b65e-98f46bffecc3%40pdc-v-sessmgr03&bdata=Jmxhbmc9ZnImc2l0ZT1lZHMtbGl2ZSZzY29wZT1zaXRl#AN=124907883&db=hlh [consulté le 21 mai 2020].
GIOVANETTI René, Mines de potasse d’Alsace : histoire patrimoniale et sociale, Strasbourg : Editions Corpur, 2011.
HOUSSAYE Jean, Le livre des colos : histoire et évolution des centres de vacances pour enfants, Paris : La Documentation Française, 1989.
IGERSHEIM François, « Notice Lucien Lutringer », Le Maitron, dictionnaire biographique, mouvement ouvrier mouvement social, [En ligne], URL : https://maitron.fr/spip.php?article139866# [consulté le 21 mai 2020].
Article rédigé par
Claire Docremont, 22 mai 2020
- ↑ Cette fiche est en cours de rédaction. À ce titre elle peut être inachevée et contenir des erreurs.
- ↑ FUCHS Julien, « Les colonies de vacances en France, 1944-1958 : impulsions politiques autour d’un fait social majeur », PAEDAGOGICA HISTORICA, tome 53, n°5, 2017, p.610.
- ↑ HOUSSAYE Jean, Le livre des colos : histoire et évolution des centres de vacances pour enfants, Paris : La Documentation Française, 1989, p.44.
- ↑ René GIOVANETTI, Mines de potasse d’Alsace : histoire patrimoniale et sociale, Strasbourg : Editions Corpur, 2011, p.38.
- ↑ Ibid. p. 99.
- ↑ Merci à René GIOVANETTI pour cette identification mais aussi pour les autres informations et documents qu’il a mis à disposition lors d’un appel téléphonique le 9 avril 2020.
- ↑ MEYER Paul, « Aspects géographiques d'une main-d'œuvre industrielle. Les mineurs du bassin potassique d’Alsace », Revue Géographique de l'Est, tome 3, n°4, Octobre-décembre 1963, p.352.
- ↑ HOUSSAYE Jean, Le livre des colos…, p. 71.