20e anniversaire de la libération de Strasbourg (0141FH0002)


Avertissement[1]

Résumé


Film de Rodolphe Bruckmann, montrant le défilé militaire se déroulant sur l’avenue de Vosges à Strasbourg le 22 novembre 1964, auquel assiste le général Charles de Gaulle en présence d’une foule immense.

Métadonnées

N° support :  0141FH0002
Date :  22 novembre 1964
Coloration :  Noir et blanc
Son :  Muet
Durée :  00:06:50
Cinéastes :  Bruckmann, Rodolphe
Format original :  8 mm
Genre :  Film amateur
Thématiques :  Seconde Guerre mondiale : cérémonies - commémorations - lieux de mémoire
Institution d'origine :  MIRA

Contexte et analyse


Le film est réalisé à Strasbourg au moment de la visite de Charles de Gaulle, le président de la Ve République, pour la fête du 20ème anniversaire de la Libération de Strasbourg. En occurrence, entre le 22 et le 23 novembre 1944, la 2e division des blindés du général Philippe Leclerc de Hautecloque est entrée dans la ville de Strasbourg, après une percée surprise à travers les défenses allemandes situées dans les Vosges. Ainsi des troupes françaises, américaines et des résistants participent à la libération de la capitale alsacienne. La présence importante de chars et véhicules blindés au défilé militaire renvoie à cet événement. C’est aussi un clin d’œil aux origines du président Charles de Gaulle. Ce dernier, ayant été marqué par la Première Guerre mondiale, avait participé à l’élaboration des nouvelles théories d’utilisation des chars de combat. Il était aussi un commandant des chars avant de devenir la figure de la résistance du 18 juin 1940. Général de Gaulle a construit sa légitimité en tant que le guide de la France libre et il est considéré après la Seconde Guerre mondiale comme un héros national. Une image mythifiée, qu’il cherche à mettre en avant dans sa carrière politique avec des succès relatifs. Ce n’est qu’en 1958, qu’il est rappelé par le pouvoir pour régler la crise d’Algérie. En 1964, c’est un président, élu depuis 6 an, d’une nouvelle république pour laquelle il cherche de trouver une place à part dans un monde divisé en deux blocs par la Guerre froide.
La participation à ce défilé a un triple enjeu commémoratif, géopolitique et politique. Des enjeux dont rend compte le film amateur de Rodolphe Bruckmann.

Une image au triple sens

Une commémoration et un défilé symboliques

Ce film, filmé en noir et blanc et sans une bande de son, commence à présenter la cérémonie par l’image du Général de Gaulle faisant un salut militaire face aux troupes portant des étendards français et américains. Le choix de commencer par ce plan vise à montrer la valeur symbolique de cet événement. La présence dans le défilé des troupes américaines et anglaises renvoie à la coopération du passé et du présent entre les États-Unis et la France. Il y a un protocole du cérémonial qui est mis en application. Le général fait la tournée des troupes et puis revient pour récompenser deux soldats avant de monter dans la tribune. Des drapeaux français sont visibles sur les murs du bâtiment de direction de Finances Régionales. Puis pendant le défilé, des chars arrivent avec des noms inscrits dessus tel que « Neuchèze » à 4min 37 du film. Il s’agirait ici d’un hommage à Robert de Neuchèze, mort à Autun en 1944. Sur d’autres chars, d’autres noms sont inscrits à la peinture blanche mais sont illisibles depuis l’angle de vue de la caméra. Enfin, c’est le lieu du défilé qui bombarde le spectateur par la symbolique commémorative. Les troupes défilent sur l’avenue des Vosges, qui renvoie à la percée des troupes de Leclerc, d’il y a 20 ans. Cette avenue est traversée par l’avenue de la Paix sur laquelle est située la tribune avec Charles de Gaulle et d’autres personnalités importantes. La tribune donne une vue sur les troupes, puis sur la place de la République et au loin sur la Cathédrale. Bien que cette vue ne soit pas visible depuis le balcon sur lequel se trouve l’auteur du film, il est évident que le choix de cet emplacement pour un défilé vise à la fois de rappeler les sacrifices du passé mais aussi de rendre compte des coopérations du présent. Le défilé représente un événement de masse mais son importance commémorative est à relativiser comme l’indique Louis Moreau de Bellaing dans son article sur la commémoration. Louis Moreau de Bellaing est un docteur d’État en Sociologie et se spécialise sur la place dans du paternalisme au sein du pouvoir. Pour lui, un défilé joue un rôle d’accompagnement des autres cérémonies de commémoration. C’est avant tout un spectacle, qui dans le cas concret rend avant tout l’hommage à la personne de Charles de Gaulle. Mais ce spectacle du pouvoir renvoie aussi vers d’autres images symboliques en lien avec la situation internationale du moment.

Montrer la force de la France et réaffirmer les partenariats

Bien qu’organisé pour une commémoration, le défilé sert à répondre à d’autres enjeux beaucoup plus actuels. En effet, par son positionnement avantageux et statique, le film montre un défilé de troupes, de voitures et des chars. On y distingue des modèles de blindés contemporains, comme par exemple des engins de reconnaissance Panhard EBR FL11 au nombre d’environ de 12 véhicules (4min) suivis par un modèle plus ancien de 1954 (4min27sec). Au moins 4 autres blindés contemporains sont les AMX-13 avec des missiles SS11, produits en 1964 (5min23 sec). Les autres véhicules datent plutôt des années 50 comme par exemple les AMX-13 VCI, véhicules combat d’infanterie produits à partir 1957 et qui sont environ 17 dans le défile (4min29sec). Les véhicules qui attirent l’œil du l’auteur du film, sont les chars américains M47 Patton (4min33), achetés en masse par la France durant les années 1950 et dont environ 14 véhicules sont visibles dans ce défilé. Ce défilé donne une image d’une armée en transformation avec des véhicules très modernes entourées des véhicules produits le long des années 50 avec des chars américains. Ces derniers seront peu à peu remplacés à la fin des années soixante par le char français AMX-30 B qui en 1964 n’est qu’en phase de conception, après l’échec du prototype franco-allemand AMX-30 A en 1963. En tout, au défilé participent, tout véhicule mélangé, plus d’une centaine d’unités. Des quantités importantes, pouvant être comparés au défilé du 14 Juillet. Cette cérémonie attire une foule immense, ce que s’explique en partie par l’effet que l’événement est organisé un dimanche. Pour renforcer l’importance politique de cette cérémonie, des nombreuses personnalités politiques y sont présentes. Selon le rapport d’Institut National de l’Audiovisuel, à ce défilé assistent l’ambassadeur de la Grande-Bretagne, Pierson Dixon, et l’ambassadeur des États-Unis, Charles E.Bohlen. Il y a aussi plusieurs ministres du gouvernement qui y sont présents, à l’image de Roger Frey, ministre de l’Intérieur, ou encore Pierre Messmer, ministre des Armées. À ces personnalités s’ajoutent des dignitaires haut-gradés et certainement d’autres invités d’honneur. Une de ses invitées est visible à la fin du film quand la caméra suit le mouvement d’une femme entouré des hauts-gradés, qui se dirigent vers des voitures qui les attendent sur l’avenue. Il s’agit ici de la maréchale Leclerc de Hautecloque, Thérèse de Gargan, dont la présence au moment de la visite du général est rapportée par les Dernières Nouvelles d’Alsace. Cette concentration de troupes, des personnages politiques et d’une foule immense, fait partie d’une construction de l’événement propre au régime de Gaulle. L’objectif, est en réalité de montrer la puissance de la France à ses alliées. En insistant, certes, sur la coopération ancienne qui existe entre la France, les États-Unis et la Grande-Bretagne, tout en mettant en avant la place centrale que doit jouer la France dans la direction de l’Europe. Bien que proches, Charles de Gaulle est déjà dans un processus d’éloignement de l’Organisation du traité de l’Atlantique du Nord. Au début de l’année 1964, la France a rétabli ses relations diplomatiques avec la Chine communiste et en 1966, elle sort de l’Otan. La France se positionne en situation d’indépendance par rapport aux blocs atlantique et soviétique, tout en cherchant à créer des nouveaux partenariats, par exemple avec l’Allemagne. L’organisation du défilé à Strasbourg, renvoie à une histoire commune. Bien que méfiant, Charles de Gaulle vise à mener une politique pragmatique visant à créer une Europe forte. En janvier 1963, le traité de l'Élysée est signé avec l’Allemagne visant à créer plus de coopération entre les deux pays. Mais il s’agit bien d’une coopération qui est entrain de se construire car il n’y a pas d’ambassadeur allemand présent à ce défile. Filmer ce défilé revient alors à présenter non pas un moment de commémoration mais bien un moment politique pensé par Charles De Gaulle.

Une cérémonie inscrite dans un message politique

Charles de Gaulle n’apparaît clairement qu’au début et à la fin du film, mais il est toujours présent à la tribune. Une présence sur laquelle insiste bien l’auteur du film qui tourne la caméra un peu plus bas pour faire apparaître un peu plus la tribune. Le film montre qu’autour de ce défilé, il y a une immense foule qui s’étend sur toute l’avenue. Cette foule est aussi accompagné des nombreux journalistes et reporters, contenus par des services d’ordres. Une partie des journalistes sont devant la tribune à côté d’une plateforme, sur laquelle on repère une grande caméra de télévision. D’autres caméras sont présentes et se focalisent sur Charles de Gaulle et sur le défilé. Il s’agit d’un événement médiatique dont le président est bien conscient. Se rendant compte de l’importance des médias, il accepte volontiers de participer à des bains des foules. Sa venue à Strasbourg à cette date n’est pas nouvelle, vu qu’il y est venu en 1959 pour faire un discours au sein du Palais Universitaire pour vanter le rapprochement franco-allemand. Il s’agit bien d’un passage où le défilé n’est qu’une partie de la cérémonie. Le matin du dimanche 22 novembre 1964, De Gaulle assiste à une messe au sein de la Notre-Dame de Strasbourg avant de rendre un hommage aux combattants morts pour la patrie. Puis il passe au défilé, avant de repartir sur la place Kléber pour y être acclamé par une foule et pour y faire un discours sur la proximité franco-allemande, sur l’indépendance européenne aux deux blocs et pour y aborder le sujet de rapprochement entre l’Europe de l’Ouest et l’Est. Ce discours est retranscrit en partie dans les archives d’INA. Il s’agit bien d’une prestation politique au niveau national car depuis 1959, le général enchaîne des voyages au sein de la France pour s’approcher du peuple en jouant sur une carte populiste, cherchant une légitimé par un soutien populaire. Un soutien dont il besoin pour l’élection présidentielle, qui a lieu en décembre 1965. Si Charles de Gaulle est déclaré gagnant, il ne l’est qu’avec une petite marge. Ainsi, ce défilé participe à l’action politique et électorale du général.

Filmer un événement chargé de mémoire

Le film fait par Rodolphe Bruckmann est un film amateur qui témoigne d’une certaine aisance dans l’exercice de filmer. Les plans sont filmés depuis un balcon situé à gauche de la tribune donnant une vue sur l’ensemble de l’avenue de Vosges. Le film qui dure 6min 50 a été monté, comme en témoignent des nombreuses coupures tout le long du film. La caméra fait des mouvement lents et stables permettant de bien voir le défilé. L’effet qu’il s’agit ici d’une caméra Kodak, héritée par le fils de la famille, indique qu’il y a une circulation de compétences pour réaliser des films. Les caméras facilement maniables pour réaliser des films sont déjà très présentes dans les années 1960. Cependant le film en soit ne présente pas beaucoup d’atout techniques. Le plan est toujours en plongé, bloqué par l’emplacement de l’auteur. Ce dernier se focalise à filmer des figures dans un plan d’ensemble avec des coupures pour souligner l’arrivé et le départ des blindés. Cette simplicité de réalisation donne à voir un autre point de vue sur un événement qui est très médiatisé. En observant la foule, surtout celle situé en face de la tribune il est possible de voir des nombreuses caméra et photo-appareils qui produisent une quantité de matériel médiatique important. Une rapide recherche sur Internet permet de trouver plusieurs photos de l’événement dont une, où est repérable l’auteur du film. Ainsi ici le rôle du film amateur n’est pas de montrer un événement qui manquerait de couverture médiatique mais bien d’enregistrer un événement pour le garder comme un souvenir à partager avec la famille. En consultant le film officiel réalisé à l’époque et accessible sur le site d’INA, il y a une nette différence dans la manière de filmer. Le focus de la présentation se fait sur le général, qui est visible souvent en gros plan ou plan poitrine. Le découpage du film se fait à partir des films de plusieurs caméras montrant le déplacement de Charles de Gaulle au sein de la ville et il y a des sons et les commentaires du journaliste. Et le défilé n’est montré que pendant quelques secondes pour faire place ensuite à plusieurs minutes de discours du général sur la place Kléber. Avec le film de Rodolphe Bruckmann, le général se fond dans la foule et passe au second plan devant le spectacle du défilé. À côté des médias officiels, les films amateurs jouent un rôle d’une vision alternative, présentant le point de vue de l’individu. Un point de vue subjectif, qui souligne ici l’intérêt personnel de rendre hommage à l’événement qui est en train d’avoir lieu. L’idée est de raconter une histoire personnelle et montrer sa participation à un événement. À la différence du film officiel, il ne s’agit pas de montrer une vision centrée sur le général qui rend visite à la ville de Strasbourg. Mais bien de donner une image d’un témoin de l’événement qui tranche avec le quotidien.

En conclusion, le film amateur présente une image personnelle face à un événement médiatisé présentant une série d’enjeux politiques situés autour d’un défilé de commémoration.

Lieux ou monuments


Strasbourg

Bibliographie


Ouvrages généraux :

BIMBENET (Jérôme), Film et histoire, Armand Colin, Paris, 2007

COLLET (André), Histoire de l’armement depuis 1945, PUF, Paris, 1993

MORELLE (Chantal), De Gaulle, la passion de la France, Armand Colin, Paris, 2015

Articles généraux : DE BELLAING (Moreau Louis), Mémoires de la mémoire : la commémoration, dans L’homme et la société, N°75-76, Synthèse en sciences humaines, 1985, p. 237-244

ZIMMERMANN (Patricia), Cinéma amateur et démocratie, dans Communication, 68, Le cinéma en amateur, sous la direction Roger Odin, 1999, p.281-292

Autres ressources

Institut National d’Audiovisuel :

Discours prononcé par Charles de Gaulle au moment de son passage à Strasbourg en 1964. Une partie du discours est retranscrite.

https://fresques.ina.fr/de-gaulle/fiche-media/Gaulle00238/discours-prononce-a-strasbourg-pour-le-vingtieme-anniversaire-de-la-liberation-de-la-ville.html

Un autre film rappelant la libération de Strasbourg et montrant à 2min14, la maréchale Leclerc de Hautecloque.

https://www.ina.fr/video/AFE86000124

Photos de l’époque :

Une photo de l’événement faisant apparaître deux chars M47 Patton et général Charles de Gaulle. En arrière-plan, au second étage sur le balcon situé à l’extrême-droite, se situe Rodolphe Bruckmann qu’on peut identifier par sa figure en profil, tenant la caméra.

https://photoinventory.fr/photos/CJ5046.png

Une photo montrant Charles de Gaulle en voiture pendant le défilé. Montrant bien l’avenue de Vosges.

https://www.gettyimages.fr/detail/photo-d'actualit%C3%A9/de-gaulle-in-strasbourg-le-dimanche-23-novembre-1964-photo-dactualit%C3%A9/166688197

Article de presse :

Un résume d’article de Dernières Nouvelles de l’Alsace

archives.dna.fr/cgi/gate?a=art&aaaammjj=201411&num=15603&m1=liberation&m2=strasbourg&m3


Article rédigé par

Nikolaj Orlov, 04 janvier 2021


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