Carnaval de Strasbourg (0020FH0012)

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Événements filmés ou en lien


Carnaval de Strasbourg

Résumé


Il s'agit d'un court film amateur sur le carnaval de Strasbourg datant du dimanche 28 février 1960. On y voit les différents chars défiler parmi la foule.
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Métadonnées

N° support :  0020FH0012
Date :  28 février 1960
Coloration :  Couleur
Son :  Muet
Durée :  00:03:14
Format original :  8 mm
Genre :  Film amateur
Thématiques :  Activités de plein-air, Traditions, Carnaval, Habit traditionnel
Institution d'origine :  MIRA

Contexte et analyse


Le carnaval, une tradition séculaire

Se déroulant au cours d'une période comprise entre le milieu de l'hiver et le début de l'été, le carnaval est une fête rurale et urbaine caractérisée par le travestissement et la transgression ritualisée d'interdits et autres tabous. Dès le Moyen-Âge, cette pratique est encadrée par l’Église. Associée à des fêtes chrétiennes et s'insérant dans le cycle précédant le Carême, elle reprend les thèmes religieux de la mort et de la renaissance, du chaos et de l'ordre, au centre desquels l'exaltation de l'homme sauvage fait office de médiation. La procession burlesque se clôt généralement par le sacrifice de l'homme sauvage, symbole du retour au calme, du triomphe de la société sur le chaos. Au-delà de l'anarchie ambiante, le carnaval tient un rôle social important permettant à chacun, sous les traits d'êtres monstrueux ou grotesques, l'excès et la subversion ; le carnaval s'apparente ainsi à une sorte de catharsis populaire.

Le carnaval de Strasbourg

A Strasbourg, cette tradition se perd néanmoins à l'époque du Reichsland et finit par disparaître complètement après que l'administration allemande a vainement tenté de la relancer. En effet, d'abord encouragé par l'occupant, le « Carnaval des Allemands »[1] est finalement supprimé en 1902 lorsque les Alsaciens décident d'intégrer cette tradition à la valorisation d'une culture régionale relativement germanophobe.

En février 1956, Germain Muller et Raymond Vogel, les fondateurs du cabaret strasbourgeois « De Barabli » font le pari de relancer cette tradition longtemps oubliée et organisent une grande procession satirique, essentiellement composée d'acteurs du cabaret, en l'honneur de Crocus Morus, brûlé le soir-même sur la Place Broglie. Mais, s'ils sont déjà nombreux à venir y assister, ce carnaval ne marque pas vraiment l'histoire de la ville et est considéré comme un échec.

Affiche du carnaval de Strasbourg de 1960. Source : Bibliothèque Nationale et Universitaire de Strasbourg

Le « Carnaval des Marchands » - Eve Cerf

L'année suivante cependant, les commerçants strasbourgeois décident de retenter l'expérience et de remettre aux goûts du jour la tradition du carnaval afin d'animer le centre-ville et d'attirer les touristes. La manifestation fait figure d'une opération de prestige visant à offrir à Strasbourg le rayonnement d'une ville rhénane prospère. Le carnaval est ainsi financé par les commerçant eux-mêmes, en attestent les nombreux chars « sponsorisés », arborant le nom d'enseignes et d'entreprises strasbourgeoises.
Un char portant l'emblème de la Bière du Pêcheur, le Fischermannele.
Il s'agit dans ce film du carnaval du dimanche 28 février 1960. L'insert de l'affiche au début du film permet de dater avec précision l'événement.
L'affiche du carnaval de Strasbourg.
D'ailleurs, si le carnaval a lieu le dimanche seulement, ce sont en réalité quatre jours successifs de festivité, du samedi 27 février au mardi 1er mars, qui sont proposés aux Strasbourgeois et autres touristes. Les images témoignent aussi de l'attrait de la fête urbaine : les chars peinent à avancer à travers la foule, très dense. On note aussi le caractère tout public de cette manifestation, les spectateurs étant, de façon surprenante, surtout des adultes davantage que des enfants.


Un carnaval discipliné

Déguisements et chars sont encore l'occasion de messages contestataires divers bien que considérablement policés. En témoignent le canard, allégorie du journal et de la presse, muselé par un cadenas, derrière lequel un homme apparaît médusé à la lecture de la presse à sensation. On peut sans doute y voir la dénonciation d'une société davantage avide des scandales de la presse people que de véritables sujets de fond.
Le char représentant un canard au bec muselé.
De même, en regardant passer la Tour Eiffel surmontée de la tête de Charles de Gaulle, on pourrait y voir la représentation caricaturale d'une toute nouvelle Ve République qui renforce considérablement les pouvoirs du chef de l'Etat, désormais au sommet de la hiérarchie politique. Mais la contestation reste légère.
La tête du Général de Gaulle, au sommet de la Tour Eiffel, les bras levés au ciel, semblant clamer "Je vous ai compris !".
Ce sont en fait davantage des références à l'actualité que des marques de contestation pure, à l'image du char sur lequel une marchande arbore une énorme pièce, sans doute un clin d’œil à la mise en circulation toute récente - en janvier 1960 - des nouveaux francs, prévue par le plan Pinay-Rueff adopté le 23 décembre 1958.


Ainsi, très vite, on reproche à cette cavalcade de s'être trop éloignée de la tradition carnavalesque, de n'être finalement qu'une gentille fête urbaine, folklorique et très commerciale. Et s'ils sont nombreux à venir jusque dans le centre-ville de Strasbourg pour voir défiler Bim-Bam, le roi du carnaval, la majeure partie d'entre eux sont spectateurs, non participants. La subversion et le grotesque, raisons d'être du carnaval, ont laissé place au spectaculaire au sein d'une foule passive. Enfin, s'il demeure encore, l'espace de la contestation sociale se trouve de plus en plus réduit. L'engouement pour ce « Carnaval des Marchands »[2] s'essouffle peu à peu : il se tient pour la dernière fois en 1962.

Lieux ou monuments


Rue du Vieux-Marché-aux-Vins, Strasbourg

Bibliographie


Eve Cerf, « Carnavals en Alsace : tradition, évolution, manipulation », Revue des Sciences Sociales de la France et de l'Est, n°7, 1978, pp.24-37

Eve Cerf, « Wackes Fasenacht : le Carnaval des Voyous à Strasbourg », Revue des Sciences Sociales de la France et de l'Est, n°21, 1994, pp.40-47

Jacques Heers, Fêtes des fous et Carnavals, Paris : Fayard, 1983

Freddy Raphaël et Geneviève Herberich-Marx, « Éléments pour une sociologie du rire et du blasphème », Revue des Sciences Sociales de la France et de l'Est, n°21, 1994, pp. 4-10
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Article rédigé par

Valentine Vis, 02 janvier 2019


  1. Aller Eve Cerf, « Carnavals en Alsace : tradition, évolution, manipulation », Revue des Sciences Sociales de la France et de l'Est, n°7, 1978, p.27
  2. Aller Eve Cerf, « Carnavals en Alsace : tradition, évolution, manipulation », Revue des Sciences Sociales de la France et de l'Est, n°7, 1978, p.30