Utilisateur:Manon Ball


CONTEXTE ET ANALYSE


Ce portrait de 1938 filmé en noir et blanc et réalisé par Paul Muller qui filme ses deux filles, Paulette, que l’on aperçoit dans la seconde partie du court métrage, et Denyse assise devant la maison familiale en costume traditionnel alsacien en train de filer de la laine à l’aide d’un rouet en bois. Paul Muller était un médecin qui s’est installé à Molsheim après avoir été mobilisé durant la Première Guerre mondiale. Il est le premier à avoir une caméra et avait pour habitude de filmer et de mettre en scène ses enfants et son entourage mais aussi des scènes du quotidien telles que le filage et la lessive. Dans ce contexte d’entre-deux-guerres, on comprend davantage le choix du costume de la jeune Denyse.


La coiffe alsacienne

Lorsque l’on pense au costume traditionnel de l’Alsacienne, les premières choses qui nous viennent à l'esprit sont la coiffe noire et la jupe rouge qui sont essentiellement portés dans le Kochersberg et dans le pays de Hanau. Pourtant, il existe différentes coiffes en Alsace mais ici, la jeune fille porte le grand nœud noir, aussi appelé la Schlupfkapp. Les femmes des villages situés dans la plaine entre Strasbourg et Colmar portaient le plus souvent la Sunnekapp ou coiffe-soleil caractérisée par un tissu blanc en dentelle qui forme une sorte d’auréole.

La coiffe est devenue un symbole de l’Alsace. C’est au XVIIe siècle qu’elle est créée par des paysannes qui voulaient imiter les coiffes des femmes nobles en ajoutant un nœud. Cette coiffe a connu quelques modifications. Avec l’essor de l’industrie, le ruban devient plus large et on ne peut plus le nouer simplement autour de la tête. C'est pourquoi, les Alsaciennes vont plier le tissu de manière à former un grand nœud et laisser le long ruban pendre. Une fois créé, on le fixe sur un bonnet noir. A la fin du XIXe siècle, les femmes portent toujours leur coiffe mais cela gêne souvent la visibilité lors des rassemblements familiaux ou religieux. Dans ce cas précis, Denyse porte une coiffe assez foncée alors que sa sœur ainsi que sa mère n’en portent pas ce qui montre que c’est aussi un choix et une fierté de poser en costume traditionnel devant la maison familiale.

Chez les protestants, toutes les femmes mariées et les jeunes filles portaient le même noeud noir dont le ruban s’arrête au niveau des épaules. Cependant, chez les catholiques, les jeunes filles portaient des coiffes colorées et les femmes mariées des coiffes noires. Les pans de leur coiffe sont beaucoup plus longs et arrivent parfois jusqu'à la taille.


Le costume traditionnel alsacien

Le costume traditionnel est porté tous les jours jusqu'au début du XIXe siècle où l’on ne le porte plus que lors de grandes occasions familiales et religieuses. Cependant, lorsque l’Alsace est annexée au Reich allemand, le costume alsacien est à nouveau porté quotidiennement et c’est le costume du Kochersberg qui est choisi pour représenter le folklore alsacien. Les Alsaciennes ont aussi choisi de porter la coiffe noire avec une cocarde tricolore afin d’affirmer leur attachement patriotique à leur ancienne nation.

Le costume se compose de différentes pièces. La chemise hamb est composée de lin blanc, de chanvre ou de coton, de dentelles et les manches sont le plus souvent retroussées au niveau du coude. La collerette qui recouvre l’encolure est également fabriquée avec les mêmes matériaux et est assortie aux manches de la chemise. Denyse et Paulette portent une chemise avec une collerette et dans la seconde partie du court métrage, la jeune fille a retroussé ses manches au-dessus du coude. Puis, nous avons le jupon underrock qui est attaché à la taille avec un ruban de velours noir. La jupe est appelée rock par les protestants et kutt par les catholiques car ces dernières avaient une jupe plus longue. Les jupes étaient généralement en laine ou en bombasin et les Alsaciennes la portaient avec des bas blancs tricotés. Le tablier est l’une des pièces emblématiques de ce costume car il recouvre pratiquement toute la robe et est généralement soit foncé et décoré par un motif fleuri soit est tout blanc. En effet, Denyse porte un tablier foncé et brodé alors que Paulette qui se tient derrière elle revêt un tablier blanc. Afin de d’assembler le tout, on utilise un corselet qui se lace sur la robe et qui est assorti au châle. On glisse à l’intérieur un plastron en forme de triangle que l’on sert avec un ruban noir. On y place également un nœud en guise de finition qui est noir pour les protestants et rouge ou bleu chez les catholiques. Enfin, le châle, pièce maîtresse dans ce court métrage, est un tissu carré bordé de franges, généralement fait de soie noire et de broderies fleuries comme celui que Denyse revêt, qui se portait soit croisé soit sur les épaules.

De manière générale, les couleurs protestantes sont le vert, le violet, le brun et le bleu foncé alors que les catholiques portaient du rouge, du noir et du bleu mais jamais du vert. La couleur du costume et de la coiffe sert à distinguer les femmes mariées des jeunes filles, leur religion et les jours de fêtes et jours de deuils. Pourtant, on ne peut pas s'en tenir à ces distinctions car parfois, les costumes sont modifiés en fonction du goût de la personne qui le porte et de son héritage familial. Les femmes de confession catholique portent aussi une grande croix sur leur châle tandis que les protestantes portent la croix huguenote. Denyse porte dans toutes les séquences sa croix qu’elle replace après avoir croisé son châle lorsqu’elle pose avec sa sœur Paulette.

Le filage à domicile au rouet (Spinnrad) vers 1900, Geudertheim, le grenier aux images, Carré Blanc Editions, 2005, coll. Mémoires de vies


Le filage à domicile en Alsace

Jusqu’au milieu du court métrage, la jeune alsacienne file de la laine à l’aide d’un rouet ancien en bois avant de poser avec sa sœur Paulette. Le rouet sert au filage de la laine, du chanvre ou du lin. L’Alsace a un lien particulier avec le textile car les Alsaciennes filaient et tricotaient souvent du tissu pour fabriquer leur linge. L’un des tissus les plus emblématiques de la région est le kelsch d’Alsace qui est orné d’un motif à carreaux souvent rouge et bleu. Le rouet est composé d’une roue actionnée par des pédales ou par une manivelle, d’une bobine et d’un épinglier. Dans ce cas précis, la jeune fille actionne le mécanisme avec son pied et prend au fur et à mesure un peu de fibre enroulée sur le pic derrière elle.


Bibliographie

WOLFF, Anne. Costumes d'Alsace : étoffes d'un monde, catalogue d'exposition, Strasbourg, Musées de la ville de Strasbourg, 2018

LAUGEL Anselme, Costumes et coutumes d’Alsace, Nancy, Éditions Place Stanislas, 2008