Allemagne 1945 (0116FN0008)


Avertissement[1]

Résumé


Cette séquence, extraite d’un film documentaire réalisé en mai 1945 par Pierre Piganiol, résistant et chimiste français, retrace un voyage en Allemagne occupée par les Alliés. En chemin, il filme les lieux qu’il traverse et les traces de la guerre.

Métadonnées

N° support :  0116FN0008
Date :  1945
Coloration :  Noir et blanc
Son :  Muet
Durée :  00:11:21
Cinéastes :  Piganiol, Pierre
Format original :  9,5 mm
Langue :  Français
Genre :  Film amateur
Thématiques :  Seconde Guerre mondiale : après-guerre
Institution d'origine :  MIRA

Contexte et analyse


Au printemps 1945, les Alliés envoient toutes leurs armées à l’assaut de l’ouest de l’Allemagne afin de donner le coup de grâce au Reich et de faire la jonction avec l’Armée Rouge arrivant de l’est. La Wehrmacht s’effondre et ne parvient plus à stopper l’avance des troupes alliées qui pénètrent le territoire du Reich. La 1ère armée française participe à cette invasion en traversant le Rhin en Alsace, région qu’elle a en grande partie libérée durant l’hiver 1944-1945. Souhaitant montrer le regain de puissance de la France, le général de Lattre de Tassigny lance ses hommes à la conquête de l’Allemagne sans suivre les ordres du commandement interalliés.

L’Allemagne est ravagée par 5 années de guerre qui ont épuisée les ressources matérielles et humaines du pays, par les combats qui se déroulent désormais sur son sol mais surtout par l’intense campagne de bombardements que les anglo-saxons ont organisée pendant 4 ans. Nuit et jour, les forces aériennes alliées ont matraqué les villes allemandes en larguant des milliers de tonnes de bombes dans le but de détruire le potentiel économique du pays. Des deux villes montrées dans le film, Fribourg-en-Brisgau a été relativement épargnée par les frappes aériennes, alors que Stuttgart est bombardée tout au long de la guerre causant la destruction d’une grande partie de la ville. Certaines autres villes, comme Dresde ou Hambourg sont quant à elles quasiment rayées de la carte.

Etats-Unis. Department of State. Germany. Zones of occupation, 1947. Source gallica.bnf.fr / BnF.
C’est d’un pays en ruine que les conquérants commencent l’occupation, celle-ci ayant été décidé en amont de la victoire. En octobre 1943, les ministres des affaires étrangères des trois grandes puissances (Anthony Eden pour le Royaume-Uni, Cordell Hull pour les Etats-Unis d’Amérique et Viascheslav Molotov pour l’URSS) se réunissent et décident la création d’une commission consultative européenne qui s’occupe des modalités de l’occupation de l’Allemagne (déclaration du 30 octobre 1943). Celle-ci adopte le 12 septembre 1944 un « protocole sur les zones d’occupation en Allemagne et l’administration du Grand Berlin » qui pose les bases de l’occupation de l’Allemagne et de la division de Berlin. Ces travaux servent de référence durant la conférence de Yalta du 3 au 11 février 1945 durant laquelle Churchill, Roosevelt et Staline actent, en autre, la partition de l’Allemagne (la France gagne au passage une zone d’occupation, celle libérée par la 1ère Armée).

Face à l’effondrement de son armée, à la conquête de son Reich en ruine, Adolf Hitler se suicide le 30 avril 1945 alors que l’Armée Rouge termine la conquête de la capitale. L’Allemagne nazie capitule sans condition le 8 mai, actant ainsi la fin de la guerre sur le front européen. Le pays, ravagé par la guerre, est déjà occupée par les Alliés qui organisent définitivement l’occupation le 5 juin 1945 lors de la Déclaration de Berlin.

L'Allemagne en ruine au centre de l'oeuvre

A l’arrivée des troupes alliées, Pierre Piganiol, résistant passé dans la clandestinité, est réincorporé en tant qu’officier dans l’armée française. Chimiste de formation, il est envoyé en Allemagne le 3 mai 1945 avec une petite équipe à la recherche des archives du Kaiser Wilhelm’s Institut. Cinéaste aguerri, il emporte sa caméra et profitant de sa mission et de la liberté d’action qui lui est offerte, il filme ce qu’il se passe en territoire conquis. Son œuvre est construite, il réalise un montage de ses séquences entrecoupées de cartons qui donnent au spectateur la localisation des lieux et des monuments filmés.

Stuttgart, Royal Air Force Bomber Command, 1942-1945 © IWM (CL 3437).
Tout le long de son voyage, il braque sa caméra vers les nombreuses traces laissées par la guerre dans la zone conquise par la 1ère armée française. Ses recherches le mènent dans les villes et les campagnes. Les destructions tiennent une place centrale, l’officier français s’attardant longuement pour les filmer en détail. Le cinéaste montre la destruction des villes Fribourg-en-Brisgau et Stuttgart à différentes échelles : il réalise des panoramiques pour montrer l’ampleur des ruines, et des plans plus serrés sur divers bâtiments dont l’état témoigne de la violence subie par les populations allemandes. Pierre Piganiol, missionné par l’armée française afin de retrouver des archives scientifiques, filme les ruines du 38. Physik. Chem. Institut témoignant de la tentative de destruction du potentiel économique allemand par les Alliés. On voit sur de nombreux plans du film l’absence de vitres à certaines fenêtres ou des vitrines de magasins barricadées de planches : c’est typique de l’éclatement du verre sous l’effet de souffle des explosions.

Mais il filme également les monuments qui s’élèvent toujours au milieu des champs de ruines, notamment la cathédrale de Fribourg se dressant en arrière-plan des ruines de la ville, le Schwabentor nord de Fribourg et son horloge. Il tourne également des plans d’une voiture passant sous les portails monumentaux du château de Tübingen épargnés par la guerre. Selon un texte de Pierre Piganiol, c’est dans ce château où résidait la reine de Wurtemberg que lui et son équipe mettent finalement la main sur les archives qu’ils cherchaient. Invités à dîner par la maitresse des lieux et servis par Frederic Sieburg, auteur de Dieu est-il français ? (1929).

Aux panoramas des villes en cendres s’ajoutent ceux de la campagne et de la nature allemande notamment de la Forêt Noire et du lac de Constance à la frontière suisse. Contrairement aux zones urbaines, les campagnes sont plutôt bien préservées surtout si elles se trouvent éloignées des villes et de la ligne de front. Elles sont devenues au cours de la guerre des refuges pour les populations urbaines. Les villages filmés par Piganiol portent peu de traces de la guerre, seule la présence de soldats et de matériel militaire témoigne du contexte guerrier.

Le regard d'un résistant en Allemagne occupée

L’occupation de l’Allemagne tient également une place de premier plan dans le film Allemagne 1945. Le réalisateur montre plusieurs aspects de la présence alliée : les soldats, les drapeaux et la réquisition des bâtiments pour l’administration d’occupation. Par ces symboles, il établit un parallèle avec l’occupation allemande de l’Europe, qui s’exprimait au grand jour de la même manière.

Différents bâtiments portent la marque de l’occupation symbolisée avant tout par les drapeaux des forces alliées ayant conquis l’ouest du pays. Le premier bâtiment réquisitionné par les forces d’occupation sur lequel s’attarde Pierre Piganiol, la Staedtische Gewerbeschule (Ecole technique municipale), est par exemple orné du drapeau tricolore, de l’Union Jack et du Stars and Stripes. Sur son fronton, un panneau en français indique qu’il s’agit désormais du siège du « Gouvernement militaire ». Les bâtiments officiels et les monuments sont tous ornés de drapeaux, généralement français, comme le château de Sigmaringen ou Chirurgische Universitätsklinik (clinique universitaire de chirurgie). Même la petite Rathaus (mairie) dans le village de la Forêt-Noire porte les couleurs de l’occupant.

Enfin Pierre Piganiol met particulièrement en avant la participation des Français à l’effort de guerre. Nous l’avons déjà dit, il tourne dans une région conquise par l’armée française. Il filme tant les drapeaux tricolores que les panneaux en français apposés aux bâtiments allemands. Clin d’œil supplémentaire, les cartons « Rhin … » « … et Danube » font référence au surnom de la 1ère armée française qui a libéré la région et à laquelle semblent appartenir la majorité des soldats qui apparaissent à l’image. Il est indéniable que les spectateurs, à qui le cinéaste montrait le film, comprenaient ces références. La propagande française mettait en avant les exploits de la 1ère armée afin de rétablir la légitimité française et d’élever le moral de la population.

Un film sur la revanche ou le témoignage d’une souffrance partagée ?

La dernière partie du film (Saint-Dié 1945) donne une tout autre dimension au film. De retour en France, Pierre Piganiol s’arrête à Saint-Dié des Vosges où il filme les panneaux en français et en anglais expliquant l’incendie de la ville par les troupes allemandes. Peut-être souhaite-t-il faire une parallèle entre le destin des villes françaises et celui des villes allemandes ? Les deux ont été sous l’emprise de forces qui les dépassent et qui ont régi leurs vies pendant des années. Le cinéaste amateur montre aux Français qu’ils n’ont pas été les seuls à subir les affres de la guerre. Les Allemands aussi ont souffert, en témoigne les ruines de leurs villes, et c'est leur pays qui est désormais occupé, les drapeaux alliés flottant sur leurs mairies comme le svastika flottait sur celles de l’Europe. Les rues sont arpentées par des soldats de toutes les régions du monde tandis les soldats allemands, captifs, traversent le Rhin vers les camps de prisonniers en France.

Bibliographie


DUFOUR Pierre, La campagne d’Allemagne, printemps 1945, Escalquens, Grancher, 2016.

FRIEDRICH Jörg, L’incendie. L’Allemagne sous les bombes 1940-1955, Paris, Fallois, 2004.

MENUDIER Henri (dir.), L’Allemagne occupée, 1945-1949, Bruxelles, Complexe, 1990. https://books.openedition.org/psn/3615

OVERY Richard, « Les bombardements vus d’en bas », dans CABANES Bruno (dir.), Une histoire de la guerre du XIXe siècle à nos jours, Paris, Seuil, 2018, p. 489-501.

PIGANIOL Pierre, Doubles vies normaliennes 1940-1945, texte inédit.

Entretien avec Raymond Piganiol, fils de Pierre Piganiol, le 15 novembre 2019 à Strasbourg.


Article rédigé par

Bapstiste Picard, 24 novembre 2019


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