Baignade au Baggersee (0021FN0002)

Résumé


Cette courte séquence nous montre la famille Breesé et quelques amis profiter d’un moment de baignade au lac du Baggersee en 1936.

Description


Deux garçons en tenue de bain avec des bouées. Plusieurs adultes en tenue de bain de dos. Vue générale du Baggersee avec les baigneurs. Le groupe de dos sur un chemin menant au plan d’eau. La maman dans l’eau se tient à une corde ; son petit à ses côté avec sa bouée. Tout le groupe sur la plage puis les pieds dans l’eau. Différentes scènes d’amusement dans l’eau et de baignade du groupe. Un couple bronzé sur la plage sourit à l’opérateur. Un homme fait un plongeon d’un plongeoir. A nouveau un plongeon. Le groupe sur une barque. Une femme et un homme nagent. Deux hommes dans l’eau avec un garçon dans sa bouée.

Métadonnées

Coloration :  Noir et blanc
Son :  Muet
Durée :  00:01:54
Cinéastes :  Breesé Emile
Format original :  9,5 mm
Genre :  Film amateur
Thématiques :  Corps et santé
Institution d'origine :  MIRA

Contexte et analyse


Le Baggersee, un plan d’eau attractif

Le plan d’eau du Baggersee, où est tournée cette séquence, est situé dans la ville d’Illkirch-Graffenstaden à 5 kilomètres de Strasbourg. Son nom est issu de Bagger, les dragues, machines utilisées pour nettoyer le fond d’un cours d’eau, et de See, le lac. En effet, il est à l’origine une ancienne gravière, utilisée entre 1900 et 1905 pour le remblai de la voie ferrée Strasbourg-Kehl. Subsiste de cette période encore la baraque du chantier de creusement, devenue le club-house de l’association de pêche. En 1908, l’entrepreneur de travaux publics Charles Urban acquiert ce lac, abandonné alors[1]. Ce philanthrope en laisse l’accès aux baigneurs. Mais c’est en 1929 que monsieur Schartner, propriétaire de Strasbourg-plage, le fait aménager en véritable lac et base de loisirs, avec « 20 000 m2 de plage, une terrasse-buffet pouvant accueillir 1500 personnes, un vestiaire et un hall de déshabillage »[2]. Cinq ans après cette inauguration, Charles Urban exploite ce lieu de baignade devenu très populaire auprès des Strasbourgeois : à cette période, qui est celle de l’extrait montré ici, on y trouve des plongeoirs, des canoës, une plage de gymnastique, etc. Il est même possible d’y faire de la roue allemande, comme on peut le voir sur une autre séquence tournée en ce même lieu par Emile Breesé en 1938. Depuis 1962, c’est la ville de Strasbourg qui en est propriétaire.

Strasbourg-Plage - Baggersee, 1936. Source : Bibliothèque universitaire de Strasbourg


Le développement des loisirs : le plein air près de chez soi

L’année 1936 marque un tournant dans l’histoire du salariat. C’est le moment où la contestation monte de toute part et où des grèves générales éclatent dans toute la France (290 grèves au total en 1936[3]). Parmi les avancées obtenues dans le monde du travail dans les années 1930, les accords de Matignon donnent aux salariés quinze jours de congés payés[4]. Que faire de ces vacances toutes neuves ? Certains restent chez eux, d’autres partent dans leur famille[5]. Les autres occupent leur temps par les loisirs tels que le sport ou la baignade. Mais selon les dire de Gilbert Breesé, ses parents commerçants travaillaient beaucoup et n’ont profité qu’exceptionnellement de ce nouveau droit. Ainsi, lorsque la famille allait se baigner au Baggersee, c’était toujours le dimanche. Ce couple de classe moyenne, relativement aisé[6], avait des loisirs simples comme beaucoup d’autres Français lors de ces temps dominicaux : baignade, pique-nique, promenade en forêt ou dans la ville. La période des voyages de vacances est encore loin : si l’on se réfère aux images filmées par Emile Breesé entre 1930 et 1950, cette famille a peu voyagé (Alsace, Lorraine ou Allemagne).

Ces images de baignade sont récurrentes dans les films amateurs des fonds MIRA, déjà dès 1932 : scènes de baignade à Biarritz (fonds Daussin, voir 0093FN0007) ou au Baggersee comme ici ou plus tard (fonds Trau, voir 0040FN0016, 1940), dans des piscines publiques déjà en 1938 (fonds Willer, 0020FH0019 à Bellefosse) mais surtout dans les années 50, puis dans des piscines de jardin vers 1970 (fonds Ehret, voir 0087NN0003). Et bien sûr, la baignade en milieu naturel, dans des ruisseaux, des étangs ou à la mer est commune à toutes ces décennies. Ces scènes reflètent à chaque fois une joie enfantine et toute estivale, un temps de détente et de partage autour de l’eau. Elles sont rarement celles de sportifs accomplis comme on en voit ici.


Vers la démocratisation de la natation

En effet, dans cette séquence, on peut distinguer deux types de baigneurs. D’abord la famille Breesé, dont les membres ne semblent pas savoir nager. Les deux enfants, Gilbert et René, âgés alors d’une petite dizaine d’année[7], barbotent à l’aide d’une bouée, mais n’ont pas l’air d’être dans un moment d’apprentissage, à part lors d’une très courte séquence où l’un des enfants est tiré par un homme. Au même instant, une femme passe en nageant, toujours à l’aide d’une bouée. On note cependant que quelques hommes nagent en arrière-plan. En 2017, l’Institut de Veille sanitaire indique que 62% des Françaises nées entre 1932 et 1943 ne savent pas nager, contre 35% des hommes nés dans la même période[8]. Leur couple d’amis, non identifiés, au corps visiblement musclé, paraît au contraire habitué à s’adonner à cette discipline : ils maîtrisent l’art du plongeon et progressent avec aisance dans l’eau.

En théorie, l’apprentissage de la nage est obligatoire à l’école depuis 1879 dans le but de garder les enfants en forme mais également d’en faire de futurs soldats complets. Durant le 19e siècle, l’apprentissage de la natation est multiforme : à la fois hygiéniste et pratique. L’apprentissage par le maître-nageur est tiré de l’enseignement militaire et passe notamment par la démonstration des mouvements hors l’eau. Cette pratique a longtemps perduré : dans les fonds MIRA, la première séquence d’apprentissage de la nage avec un maître-nageur date des années 1950 (fonds Nemett, voir 0059FS0001). On y voit des enfants faisant des mouvements de natation d’abord au sol sous la surveillance d’un maître-nageur, puis ce dernier les guide dans l’eau à l’aide d’une perche dans une piscine ouverte. D’ailleurs, à cette période, les méthodes d’apprentissage de la natation évoluent : la création du Haut-Commissariat à la jeunesse et aux sports que dirige Maurice Herzog en 1958 se donne pour objectif de former des athlètes, entre autres. L’apprentissage de la natation dite moderne à l’école est lancée : l’un des ouvrages de référence en est L’enseignement de la natation de Raymond Catteau et Gérard Garrof, paru en 1968. En parallèle, la construction de piscines de plein air, amorcée dans l’entre-deux guerres, continue en France jusque dans les années 1980, période à laquelle l’idée de l’apprentissage de la natation en tant que compétition commence à disparaître à l’école.


Un nouveau rapport au corps : le bronzage

La séquence est ici intéressante à un autre titre: ce couple très sportif semble adepte de la pratique du bronzage et il détonne au milieu de ces baigneurs venus en famille. Les épouses et les mères, comme madame Breesé, sont plutôt pâles, bien que sur certains baigneurs en arrière-plan on reconnaît un début de bronzage.

"La punition des baigneuses trop coquettes", Le Petit Journal, 1927. Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Le bronzage apparaît comme une pratique dans la fin des années 1920 (générant parfois des débats comme dans Vogue en 1928) et se répand dès les années 1930. Il gagne ses lettres de noblesse à partir de 1945 avec l’essor de l’héliothérapie dans le champ médical, et plus largement dans le cadre d’un nouveau rapport à la nature, à la pratique sportive, aux vacances. Le bronzage devient un choix et non plus la conséquence d’une exposition subie caractérisant les travailleurs de la terre, les forçats, les soldats. Pour Christophe Granger[9], dont la vision est plus politisée, le développement du bronzage est lié à l’utilisation du corps par la classe moyenne libérale comme capital social leur permettant de se différencier à travers le naturel et le sculptural, en opposition au maintien et à la rigidité des anciennes classes dominantes, à la pâleur comme canon de beauté. Cette description correspond tout à fait au couple de notre séquence, dont les postures et l’apparence sont très naturelles. Par exemple, tandis que les cheveux de madame Breesé sont bien mis en pli et que la majorité des baigneuses portent des bonnets, cette femme bronzée arbore un simple bandeau et ne semble pas faire attention particulièrement à sa coiffure. Sa silhouette et son port semble également différents de celle des autres femmes, « plus moderne », comme celui des jeunes hommes que l’on peut voir en haut du plongeoir.

Pascal Ory décèle dans cette évolution une forme de droit au bonheur et de processus d’émancipation, féminine notamment. Ainsi, le corps de la femme se découvre au fil de ces changements de pratiques : le maillot de bain se fait plus dévoilant dans les années 1930, proche du costume de bain masculin comme le porte madame Breesé et de nombreuses autres baigneuses ici. En 1930, la marque Jantzen créée le maillot de bain « Shouldaire » qui permet de dévoiler les épaules pour profiter pleinement des vertus des bains de soleil. C’est encore une autre différence que l’on note entre ce couple d’allure bronzée et sportive et la plupart des autres baigneurs : la tenue. Si la plupart des femmes filmées ici possèdent la même tenue de bain, la femme porte un maillot de bain beaucoup plus découvrant et plus coloré. Cette émancipation n’est parfois pas sans heurts dans cette France moralisatrice, notamment dans les villages.

Pendant la manifestation de février 1934 à Paris, on peut lire sur la Protestation des pères de famille : « Nous ne tolérons donc pas que les plages soient déshonorées par des exhibitions et des jeux malpropres, qui constituent parfois de véritables attentats publics à la pudeur [10]». Au Baggersee on s’en serait plutôt amusé, comme en témoigne un texte de 1931 : « C’était l’époque où jeunes et vieux, hommes et femmes dans une même « communion » pour le beau sport, pêle-mêle, se déshabillaient à l’ombre des brindilles éparses ici et là, derrière les rares branches d’arbustes étiques, où à l’abri d’un mouchoir, minuscule paravent tendu par un main amie… et discrète[11]. »

Les magazines féminins, dont une des femmes filmées sur la barque tient un exemplaire, entament leurs injonctions à la perfection et vantent les produits autobronzants. Ainsi apparait l’huile de Chaldée de Jean Patou en 1927, « la première huile solaire qui protège l’épiderme et atténue les coups de soleil ». En 1935, l’Ambre solaire de Schueller est supposée permettre de bronzer sans brûler. Les Breesé n’échappent pas à la règle : dans une séquence de baignade familiale datant de 1938, on voit madame Breesé, toujours au Baggersee, enduire ses deux fils d’une huile solaire.

Lieux ou monuments


Lac du Baggersee



  1. 1,0 1,1 et 1,2 http://www.archi-wiki.org/Adresse:Baggersee_(Strasbourg)
  2. KEIFLIN Claude, L'Été 36 en Alsace : Des grandes grèves aux premiers congés, Strasbourg, Nuée bleue, 1996
  3. OLIVIER-UTARD Françoise, « Chronologie des principales grèves », dans HIRN Francis (dir.), Les Saisons d’Alsace, n°68, Mai 2016, p.59
  4. Loi du 20 juin 1936.
  5. RAUCH André, « Le vivre ensemble des salariés alsaciens en congés », dans HIRN Francis (dir.), Les Saisons d’Alsace, n°68, Mai 2016, p.80
  6. La possession d’une caméra à cette époque en est le signe. Par ailleurs, déjà en 1933, ils possédaient une belle voiture, une Mathis certainement (voir Breesé 0021FN0001).
  7. Gilbert Breesé est né en 1927
  8. https://www.ledauphine.com/france-monde/2017/07/15/la-part-des-francais-qui-ne-savent-pas-nager-est-stupefiante
  9. GRANGER Christophe, La saison des apparences : naissance des corps d’été, Anamosa, Paris, 2017
  10. GRANGER Christophe, « Du relâchement des mœurs en régime tempéré. Corps et civilisation dans l’entre-deux-guerres », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, Presses de Sciences Po, n°106, p.123
  11. MARCHAL Geo, « Plaisirs de plein air Strasbourg-plage Baggersee », dans Dernières Nouvelles d’Alsace, La vie en Alsace, avril 1931, p 95.