Bas:Scènes de liesse à Alger (0130FH0004) : Différence entre versions

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|Resume_fr=Images de la première célébration de l'indépendance de l'Algérie le 05 juillet 1962 à Alger avec plusieurs plans sur Fort-de-l'Eau, l'Amirauté d'Alger (le port) ainsi que la ville.
 
|Resume_fr=Images de la première célébration de l'indépendance de l'Algérie le 05 juillet 1962 à Alger avec plusieurs plans sur Fort-de-l'Eau, l'Amirauté d'Alger (le port) ainsi que la ville.
|Contexte_et_analyse_fr='''I) La guerre d’Algérie'''
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|Contexte_et_analyse_fr='''La guerre d’Algérie'''
  
Le film ci-présent a été réalisé par Jean-Daniel Jung à de la fin de la guerre d’Algérie. Pour rappel, ce conflit oppose les nationalistes algériens au pouvoir d’État français. Cette guerre débute en 1954 et se termine en 1962. L’éventualité de perdre l’Algérie pour la France des années 1950 représente une atteinte à son rang de grande puissance qu’elle symbolise par sa présence coloniale dans le monde. L’Algérie est la pièce maîtresse de son dispositif. L’apport économique de la colonie algérienne, certes au début limité à l’agriculture, s’accroît considérablement grâce aux découvertes de pétrole et de gaz qui se multiplient après 1951. Par ailleurs, l’Algérie est la seule colonie française de peuplement, avec un million d’« Européens » en 1954. Le tournant décisif a lieu le 12 mars 1956 : l’Assemblée nationale vote les pouvoirs spéciaux au gouvernement Guy Mollet et l’armée intervient dans le dispositif du maintien de l’ordre. On estime que la France a déployé environ 450 000 soldats français. À cette époque le mot de guerre n’est pas utilisé de 1954 à 1962 mais à la place, on parle de l’euphémisme « opérations de maintien de l’ordre ». Il faut attendre la loi du 06 octobre 1999 pour que la dénomination « Guerre d’Algérie » soit officiellement reconnue. Le gouvernement français ne souhaite pas reconnaître le statut de belligérants à ceux qu’il considère comme des « rebelles ». En revanche en Algérie, on parle bien de guerre et cela dès le premier jour du soulèvement à l’initiative du Front de Libération Nationale (FLN) le 01 er novembre 1954. Son appellation officielle est « guerre de libération nationale » ce qui constitue l’origine et la source de légitimité de l’État algérien. Selon les accords d’Évian, la guerre d’Algérie aurait dû prendre fin le 19 mars 1962 à midi. Ce ne fut pas le cas, notamment par le fait que des actes de violences ont lieu malgré le cessez-le-feu (bombardement au mortier sur une foule musulmane pour provoquer une riposte du FLN le 21 mars).  [[Fichier:La une du journal le Figaro du 19 mars 1962.jpg|vignette|droite|La une du journal le Figaro le 19 mars 1962]]
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Ce film a été réalisé par Jean-Daniel Jung à la fin de la guerre d’Algérie. Ce conflit opposa les nationalistes algériens au pouvoir d’État français. Cette guerre débuta en 1954 et se termina en 1962. L’éventualité de perdre l’Algérie pour la France des années 1950 représentait une atteinte à son rang de grande puissance, construite notamment sur sa présence coloniale dans le monde. L’Algérie était la pièce maîtresse de ce dispositif et était la seule colonie française de peuplement, avec un million d’« Européens » en 1954. Un tournant décisif eut lieu le 12 mars 1956 : l’Assemblée nationale vote les pouvoirs spéciaux au gouvernement Guy Mollet et l’armée intervient dans le dispositif du maintien de l’ordre. On estime que la France a déployé environ 450 000 soldats français. À cette époque le mot de guerre n’est pas utilisé, au profit de l’euphémisme « opérations de maintien de l’ordre ». En revanche en Algérie, on parlait bien de guerre et cela dès le premier jour du soulèvement à l’initiative du Front de Libération Nationale (FLN) le 1er novembre 1954. Selon les accords d’Évian, la guerre d’Algérie aurait dû prendre fin le 19 mars 1962 à midi. Ce ne fut pas le cas, notamment par le fait que des actes de violences ont lieu malgré le cessez-le-feu (bombardement au mortier sur une foule musulmane pour provoquer une riposte du FLN le 21 mars).  [[Fichier:La une du journal le Figaro du 19 mars 1962.jpg|vignette|droite|La une du journal le Figaro le 19 mars 1962]]
  
'''II) Les personnages présents et la ville d’Alger'''
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'''Deux conscrits à Alger en 1962'''
  
Dans les premières secondes du film, on peut apercevoir des adultes qui s’amusent sur la plage (2 hommes et 1 femme sans oublier celui qui tient la caméra). Il fait beau, la température de l’eau semble agréable, on s’amuse. Cette scène se déroule à Fort-de-l’Eau qui est une commune et station balnéaire à l’est d’Alger (environ 20 km). Aujourd’hui, cette commune porte comme nom Bordj El Kiffan. À première vue, il est tentant de penser qu’il s’agit d’une famille ou tout simplement de touristes en vacances à Alger et qui profitent de la mer. Ce n’est pas le cas. La personne qui tient la caméra et qui réalise ce film se nomme donc Jean-Daniel Jung et apparaît dans le film très clairement à 0 min 51 s. Celui-ci naît le 05 février 1936 à Strasbourg et est le troisième d’une famille de 4 enfants. Il effectue sa scolarité au Gymnase Jean-Sturm de Strasbourg et à Sainte-Foy-la-Grande en Dordogne. En 1955, il intègre l’École de Commerce IECS à Strasbourg avec son ami Freddy Schwoerer lui aussi présent dans ce film. Jean-Daniel Jung réalise son film durant son service militaire de 1960 à 1962. Fin 1961, il intègre l’École militaire d’infanterie de Cherchell. Une fois sa formation terminée, il intègre le corps militaire des chasseurs alpins (à la fin du film on peut d’ailleurs voir leurs étendards) et est affecté en tant qu’officier de sécurité à l’Amirauté d’Alger au printemps 1962. En novembre 1962, il quitte l’Algérie pour travailler dans l’État-Major à Paris. Une fois son service militaire terminé entre mars et avril 1963, il entreprend un stage d’étude aux États-Unis et en France dans des Chaines de supermarchés de 1963 à 1965. En 1970, il intègre le groupe familial SUMA-BAG. La même année, il devient directeur des Grandes Galeries (Magasin Printemps) à Strasbourg et divers autres magasins du groupe. Il décide de prendre sa retraite en 1995 avant de s’éteindre le 03 juin 2007. Au tout début du film, on peut voir deux hommes qui construisent un château de sable. Celui sur la gauche se nomme Freddy Schwoerer et commence son service militaire en février 1961. Il passe d'abord environ 4 mois à Nancy puis arrive en Algérie en juin 1961. Il est sergent et travaille en tant que secrétaire d’État-Major du colonel de la base aérienne 148 de Hussein Dey. Il loge à l’époque dans un appartement à Maison Carrée qui est une petite ville entre Alger et Fort-de-l’Eau. Freddy Schwoerer retourne en France le 13 février 1963 et est libéré le 14 de ses obligations militaires. Il se fait embaucher par le Crédit agricole et devient directeur à la caisse régionale d’Alsace. Quant au deuxième homme sur la droite, celui-ci s’appelle Michel Bourbon et possède le grade de caporal-chef. Enfin, la femme se prénomme Évelyne Demangeat sous-officier (sergent) de l’armée de l’air et travaille avec Monsieur Schwoerer dans la même base. Par rapport à ces trois hommes qui sont des appelés, elle est une militaire de carrière. D’après les images, il s’agit d’un week-end en été 62 où ces adultes profitent de leur temps libre pour se détendre à la mer dans la joie et la bonne humeur. Pendant son temps libre, Jean-Daniel Jung se promène et utilise sa caméra pour filmer ce qu’il semble lui plaire. Il réalise plusieurs plans panoramiques sur le port d’Alger (à 1 min 55 s) ainsi que sur la ville. À plusieurs reprises, il filme un bastion de forme circulaire qui supporte une tour octogonale blanche dont le sommet sert de phare. Cette tour date de 1541 édifiée sur les ruines du fort du Peñon construit par les Espagnols en 1510. Le réalisateur se trouve sur l’îlot de la Marine qui est la darse de l’Amirauté. Il filme également les alentours du port ce qui nous permet d’apercevoir l’extérieur de la Casbah ainsi que les fameuses Voûtes d’Alger et de l’Amirauté (à 3 min 52 s). La Casbah correspond à la vieille ville ou médina d’Alger dont elle forme un quartier historique inscrit au patrimoine mondial de l'humanité de l'Unesco depuis 1992. Dans cette première partie du film, Jean-Daniel Jung filme longtemps le port d’Alger et ses environs. Il est vrai que le port d’Alger est célèbre et que la ville est splendide. Du haut de la crête (la Casbah), la ville d’Alger surplombe la mer méditerranée avec sa resplendissante façade blanche à qui elle doit son nom d’Alger La Blanche. L’Amirauté d’Alger, que le réalisateur filme certes pour sa beauté, est beaucoup plus marquant à ses yeux. En effet, le mercredi 02 mai 1962 a lieu un attentat perpétré par l’OAS (Organisation de l’Armée Secrète) au port d’Alger. Une voiture piégée, chargée de ferraille et de morceaux de fonte, explose devant le centre d’embauche des dockers sur le port. Comme chaque jour, les dockers musulmans attendent de prendre leur travail quand a lieu l’explosion. De plus, des commandos de l’OAS embusqués dans les immeubles voisins ouvrent le feu sur les survivants. Jean-Daniel Jung, en tant qu’officier de sécurité à l’Amirauté d’Alger, a eu la charge de compter le nombre de victimes après l’attentat. Officiellement, le gouvernement français rapporte que l’attentat a fait 62 morts et 110 blessés, tous musulmans. En revanche, Jean-Daniel Jung a toujours maintenu et confié à son ami Freddy Schwoerer que les chiffres étaient en réalité beaucoup plus élevés. Visiblement pour des raisons politiques, les vrais chiffres n’ont pas été révélés. Cela nous rappelle qu’il s’agissait d’une période dangereuse et marquante pour celles et ceux qui étaient en Algérie.
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Dans les premières secondes du film, on peut apercevoir des adultes qui s’amusent sur la plage (deux hommes et une femme sans oublier celui qui tient la caméra). Il fait beau, la température de l’eau semble agréable, on s’amuse. Cette scène se déroule à Fort-de-l’Eau qui est une commune et station balnéaire à l’est d’Alger (environ 20 km). Aujourd’hui, cette commune porte comme nom Bordj El Kiffan. À première vue, il est tentant de penser qu’il s’agit d’une famille ou tout simplement de touristes en vacances à Alger et qui profitent de la mer. Ce n’est pas le cas.  
  
'''III) L’indépendance de l’Algérie : une ville en fête'''
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La personne qui tient la caméra se nomme  Jean-Daniel Jung, il apparaît dans le film très clairement à 0 min 51 s. Il est né le 5 février 1938 à Strasbourg, deuxième d’une famille de quatre enfants. Il a effectué sa scolarité au Gymnase Jean-Sturm de Strasbourg et à Sainte-Foy-la-Grande en Dordogne. En 1955, il intègre l’École de Commerce IECS à Strasbourg avec son ami Freddy Schwoerer lui aussi présent dans ce film. Jean-Daniel Jung réalise son film durant son service militaire de 1960 à 1962. Fin 1961, il intègre l’École militaire d’infanterie de Cherchell en Algérie. Une fois sa formation terminée, il intègre le corps militaire des chasseurs alpins (à la fin du film on peut d’ailleurs voir leurs étendards) et est affecté en tant qu’officier de sécurité à l’Amirauté d’Alger au printemps 1962. En novembre 1962, il quitte l’Algérie pour travailler dans l’État-Major à Paris. Une fois son service militaire terminé entre mars et avril 1963, il entreprend un stage d’étude aux États-Unis et en France dans des chaînes de supermarchés de 1963 à 1965. En 1970, il intègre le groupe familial SUMA-BAG. La même année, il devient directeur des Grandes Galeries (Magasin Printemps) à Strasbourg et divers autres magasins du groupe. Il décide de prendre sa retraite en 1995 avant de s’éteindre le 3 juin 2007.
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Son camarade, à gauche au début du film, se nomme Freddy Schwoerer. Il a entamé  son service militaire en février 1961 en passant d'abord environ 4 mois à Nancy puis est arrivé en Algérie en juin 1961. Il est sergent et travaille en tant que secrétaire d’État-Major du colonel de la base aérienne 148 de Hussein Dey. Il loge à l’époque dans un appartement à Maison Carrée qui est une petite ville entre Alger et Fort-de-l’Eau. Freddy Schwoerer retourne en France le 13 février 1963 et est libéré le 14 de ses obligations militaires. Il se fait embaucher par le Crédit agricole et devient directeur à la caisse régionale d’Alsace.
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Quant au deuxième homme sur la droite, celui-ci s’appelle Michel Bougon et possède le grade de caporal-chef. Enfin, la femme se prénomme Évelyne Demangeat, sous-officier (sergent) de l’armée de l’air et travaille avec Freddy Schwoerer dans la même base. Par rapport à ces trois hommes qui sont des appelés, elle est une militaire de carrière. D’après les images, il s’agit d’un week-end en été 1962 où ces adultes se détendent à la mer dans la joie et la bonne humeur.
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Pendant son temps libre, Jean-Daniel Jung se promène et utilise sa caméra pour filmer ce qu’il semble lui plaire. Il réalise plusieurs plans panoramiques sur le port d’Alger (à 1 min 55 s) ainsi que sur la ville. À plusieurs reprises, il filme un bastion de forme circulaire qui supporte une tour octogonale blanche dont le sommet sert de phare. Cette tour date de 1541 édifiée sur les ruines du fort du Peñon construit par les Espagnols en 1510. Le réalisateur se trouve sur la darse de l'Amirauté (îlot de la Marine) qui est la partie la plus ancienne du port. Il filme également les alentours ce qui nous permet d’apercevoir l’extérieur de la Casbah ainsi que les fameuses Voûtes d’Alger et de l’Amirauté (à 3 min 52 s). La Casbah correspond à la vieille ville ou médina d’Alger dont elle forme un quartier historique inscrit au patrimoine mondial de l'humanité de l'Unesco depuis 1992. Dans cette partie du film, Jean-Daniel Jung filme longtemps le port d’Alger et ses environs. Il est vrai que le port d’Alger est célèbre et que la ville est splendide. Du haut de la crête (la Casbah), la ville d’Alger surplombe la mer méditerranée avec sa resplendissante façade blanche à qui elle doit son nom d’Alger La Blanche.
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L’Amirauté d’Alger est en réalité un endroit très marquant aux yeux du réalisateur. En effet, le mercredi 2 mai 1962 eut lieu à cet endroit un attentat perpétré par l’OAS (Organisation de l’Armée Secrète) au port d’Alger. Une voiture piégée, chargée de ferraille et de morceaux de fonte, explose devant le centre d’embauche des dockers sur le port. Comme chaque jour, les dockers musulmans attendaient de prendre leur travail quand a lieu l’explosion. De plus, des commandos de l’OAS embusqués dans les immeubles voisins ouvrent le feu sur les survivants. Jean-Daniel Jung, en tant qu’officier de sécurité à l’Amirauté d’Alger, a été chargé de compter le nombre de victimes après l’attentat. Officiellement, le gouvernement français rapporte que l’attentat a fait 62 morts et 110 blessés, tous musulmans. Jean-Daniel Jung a toujours maintenu et a même confié à son ami Freddy Schwoerer que les chiffres étaient en vérité beaucoup plus élevés. Visiblement pour des raisons politiques et éviter des protestations, les vrais chiffres n’ont pas été révélés. Cela nous rappelle qu’il s’agissait d’une période dangereuse pour les personnes présentes en Algérie et que les enjeux politiques étaient élevés.
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'''L’indépendance de l’Algérie : une ville en fête'''
  
 
[[Fichier:La une du journal le Monde du 04 juillet 1962.jpg|vignette|gauche|La une du journal le Monde du mercredi 04 juillet 1962]]
 
[[Fichier:La une du journal le Monde du 04 juillet 1962.jpg|vignette|gauche|La une du journal le Monde du mercredi 04 juillet 1962]]
« Voulez-vous que l’Algérie devienne un État indépendant coopérant avec la France dans les conditions définies par la déclaration du 19 mars 1962 ? » Le dimanche 01 er juillet 1962 en Algérie, six millions d’électeurs répondent « oui » à cette question, à peine 16 534 disent « non ». Les résultats sont rendus publics le 03 juillet et donnent 91,23 % de « oui » par rapport aux inscrits et 99,72 % par rapport aux suffrages exprimés. Ce mardi 03 juillet marque également l’arrivée du GPRA, le « Gouvernement provisoire de la République algérienne », formé à Tunis en 1958 par le FLN, au plus fort de la lutte contre la France. Les membres du GPRA, conduits par leur président, Ben Youssef Ben Khedda, font leur entrée dans Alger. De plus, ce même jour, à la cité administrative de Rocher-Noir, près d’Alger, Christian Fouchet, haut-commissaire de France, remet à Abderrahmane Farès, le président de « l’exécutif provisoire » formé après les accords d’Évian, la lettre du général de Gaulle qui reconnaît l’indépendance de l’Algérie : « La France a pris acte des résultats du scrutin d’autodétermination du 01 er juillet 1962 et de la mise en vigueur des déclarations du 19 mars 1962. Elle a reconnu l’indépendance de l’Algérie ». La guerre contre la France est terminée. Pour la masse des Algériens, « sept ans, ça suffit ! » ; le slogan court à travers les villes et les campagnes. Ils réclament la fin du temps des épreuves. Le GPRA choisit le 05 juillet pour célébrer l’indépendance. Le choix de cette date n’est pas anodin. Ce 05 juillet chasse le 05 juillet 1830, jour de la signature de l’acte de capitulation du dey d’Alger, qui ouvre la porte à la conquête française. Après la guerre, après les souffrances et les humiliations, la victoire autorise la joie. C’est ce que Jean-Daniel Jung arrive à capter à l’Amirauté d’Alger dans la deuxième partie du film (à partir de 08 min 32 s). Pour être au plus proche des célébrations, le réalisateur se positionne devant l’entrée de l’Amirauté (visible à 13 min 15 s). Les images sont éloquentes. La foule envahit les rues pour manifester sa joie et célébrer cette première fête de l’indépendance : les Algéroises sortent dehors et certaines d’entre elles portent leur ''haïk'' (grand voile blanc), aux côtés des hommes, ainsi que les enfants et les personnes âgées. Alger n’est plus qu’une gigantesque kermesse. On peut deviner que la ville, pavoisée de milliers de drapeaux vert blanc (le « drapeau fellouze » comme l’appellent le pieds-noirs), retentit du bruit des clameurs et des sifflets qui scandent sur cinq notes : ''Ya-ya, Dje-za-ir'' (« Vive l’Algérie »).  Sans arrêt, bus, camions, et autos, arborant des drapeaux algériens, sillonnent la ville. Ceux-ci sont décorés comme les chars d’un corso fleuri. Les véhicules roulent à vive allure en suivant la jetée Kheir Eddine pour continuer plus loin sur la rue d’Angkor. Dans les véhicules, il doit certainement y avoir des ''djounoud'' (combattants de l’Armée de libération nationale) qui célèbrent l’indépendance. Par ailleurs, des soldats français (visibles à 13 min 00 s) semblent également apprécier cet évènement festif. Le pays tout entier est en liesse : c’est le temps de l’allégresse. Tout le monde parle avec tout le monde. Cent trente-deux ans de colonisation s’achèvent. C’est un moment de joie inouïe pour les Algériens. Néanmoins, si l’indépendance marque la fin officielle de la guerre, ce n’est pas le cas des flots de sang. Les images de ce film expriment certes la joie à Alger, mais ce 05 juillet 1962 à Oran, le drame éclate. Alors que la foule crie sa joie dans les rues de la ville, comme à Alger, des coups de feu d’origine indéterminée éclatent. Les journalistes pensent à une provocation de l’OAS mais cela est peu probable. Les violences durent tout l’après-midi et touchent le centre-ville ainsi que plusieurs quartiers d’Oran. On dénombre 101 morts, 76 Algériens et 25 Français d’Algérie. Ce 05 juillet 1962 marque la fin de la présence française, dans ce « joyau d’Empire » qu’était l’Algérie française. Une autre bataille commence, celle pour le pouvoir en Algérie. En France, on veut tourner la page. Celle de la guerre, dont tout le monde est las.
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« Voulez-vous que l’Algérie devienne un État indépendant coopérant avec la France dans les conditions définies par la déclaration du 19 mars 1962 ? » Le dimanche 1er juillet 1962 en Algérie, six millions d’électeurs répondent « oui » à cette question, à peine 16 534 disent « non ». Les résultats sont rendus publics le 03 juillet et donnent 91,23 % de « oui » par rapport aux inscrits et 99,72 % par rapport aux suffrages exprimés. Ce mardi 03 juillet marque également l’arrivée du GPRA, le « Gouvernement Provisoire de la République Algérienne », formé à Tunis en 1958 par le FLN, au plus fort de la lutte contre la France. Les membres du GPRA, conduits par leur président, Ben Youssef Ben Khedda, font leur entrée dans Alger. De plus, ce même jour, à la cité administrative de Rocher-Noir, près d’Alger, Christian Fouchet, haut-commissaire de France, remet à Abderrahmane Farès, le président de « l’exécutif provisoire » formé après les accords d’Évian, la lettre du général de Gaulle qui reconnaît l’indépendance de l’Algérie : « La France a pris acte des résultats du scrutin d’autodétermination du 1er juillet 1962 et de la mise en vigueur des déclarations du 19 mars 1962. Elle a reconnu l’indépendance de l’Algérie ». La guerre contre la France est terminée. Pour la masse des Algériens, « sept ans, ça suffit ! » ; le slogan court à travers les villes et les campagnes. Ils réclament la fin du temps des épreuves. Le GPRA choisit le 5 juillet pour célébrer l’indépendance. Le choix de cette date n’est pas anodin. Ce 5 juillet chasse le 5 juillet 1830, jour de la signature de l’acte de capitulation du dey d’Alger, qui ouvre la porte à la conquête française. Après la guerre, après les souffrances et les humiliations, la victoire autorise la joie.  
  
'''Remarques concernant le montage :'''
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C’est ce que Jean-Daniel Jung arrive à capter à l’Amirauté d’Alger dans la deuxième partie du film (à partir de 08 min 32 s). Pour être au plus proche des célébrations, le réalisateur se positionne devant l’entrée de l’Amirauté (visible à 13 min 15 s). Les images sont éloquentes. La foule envahit les rues pour manifester sa joie et célébrer cette première fête de l’indépendance : les Algéroises sortent dehors et certaines d’entre elles portent leur ''haïk'' (grand voile blanc), aux côtés des hommes, ainsi que les enfants et les personnes âgées. Alger n’est plus qu’une gigantesque kermesse. On peut deviner que la ville, pavoisée de milliers de drapeaux vert et blanc (le « drapeau fellouze » comme l’appellent les pieds-noirs), retentit du bruit des clameurs et des sifflets qui scandent sur cinq notes : ''Ya-ya, Dje-za-ir'' (« Vive l’Algérie »).  Sans arrêt, bus, camions, et autos, arborant des drapeaux algériens, sillonnent la ville. Ceux-ci sont décorés comme les chars d’un corso fleuri. Les véhicules roulent à vive allure en suivant la jetée Kheir Eddine pour continuer plus loin sur la rue d’Angkor. Dans les véhicules, il doit certainement y avoir des ''djounoud'' (combattants de l’Armée de Libération Nationale) qui célèbrent l’indépendance. Par ailleurs, des soldats français (visibles à 13 min 00 s) semblent également apprécier cet évènement festif. Le pays tout entier est en liesse : c’est le temps de l’allégresse. Tout le monde parle avec tout le monde. Cent trente-deux ans de colonisation s’achèvent. C’est un moment de joie inouïe pour les Algériens.
  
L’épisode de la plage au début du film est postérieur aux différentes prises de vues du port d’Alger et de ses alentours. Ainsi, l’épisode de la plage se déroule à la de fin juin 1962 alors que les plans du port ont été pris entre mai et début juin 1962. Enfin, les scènes de liesse ont bien eu lieu le 05 juillet 1962.
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Néanmoins, si l’indépendance marque la fin officielle de la guerre, ce n’est pas le cas des flots de sang. Les images de ce film expriment la joie à Alger, mais ce 5 juillet 1962 à Oran, le drame éclate. Alors que la foule crie sa joie dans les rues de la ville, comme à Alger, des coups de feu d’origine indéterminée éclatent. Les journalistes pensent à une provocation de l’OAS mais cela est peu probable. Les violences durent tout l’après-midi et touchent le centre-ville ainsi que plusieurs quartiers d’Oran. On dénombre 101 morts, 76 Algériens et 25 Français d’Algérie. Ce 5 juillet 1962 marque la fin de la présence française, dans ce « joyau d’Empire » qu’était l’Algérie française. Une autre bataille commence, celle pour le pouvoir en Algérie. En France, on veut tourner la page. Celle de la guerre, dont tout le monde est las.
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'''Remarques concernant le montage'''
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L’épisode de la plage au début du film est postérieur aux différentes prises de vues du port d’Alger et de ses alentours. Ainsi, l’épisode de la plage se déroule à la fin de juin 1962 alors que les plans du port ont été pris entre mai et début juin 1962. Enfin, les scènes de liesse ont bien eu lieu le 05 juillet 1962.
 
|Bibliographie=CHAULET ACHOUR Christiane, FORT Pierre-Louis, ''La France et l’Algérie en 1962'', Paris, Karthala, 2013, pages 15 à 23 et pages 184 à 198.
 
|Bibliographie=CHAULET ACHOUR Christiane, FORT Pierre-Louis, ''La France et l’Algérie en 1962'', Paris, Karthala, 2013, pages 15 à 23 et pages 184 à 198.
  
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BENYOUCEF Brahim, « Alger la Blanche : reine de la mer », ''L’Observatoire : Espace et Société'' [en ligne], http://www.observatoire-espace-societe.com/2019/02/07/alger-la-blanche-reine-de-la-mer/, [mis en ligne le 07 février 2019, consulté le 13 avril 2020].
 
BENYOUCEF Brahim, « Alger la Blanche : reine de la mer », ''L’Observatoire : Espace et Société'' [en ligne], http://www.observatoire-espace-societe.com/2019/02/07/alger-la-blanche-reine-de-la-mer/, [mis en ligne le 07 février 2019, consulté le 13 avril 2020].
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'''Remerciements :'''
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Je remercie très sincèrement Monsieur Frank Jung, le frère du réalisateur, ainsi que Monsieur Freddy Schwoerer pour leur très grande collaboration. Ils ont su me fournir toutes les informations nécessaires pour la compréhension du film et la rédaction de cette fiche.
 
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Version actuelle datée du 6 décembre 2020 à 18:47


[1] Avertissement[2]

Résumé


Images de la première célébration de l'indépendance de l'Algérie le 05 juillet 1962 à Alger avec plusieurs plans sur Fort-de-l'Eau, l'Amirauté d'Alger (le port) ainsi que la ville.

Métadonnées

N° support :  0130FH0004
Date :  1962
Coloration :  Couleur
Son :  Muet
Durée :  00:16:53
Cinéastes :  Jung, Jean-Daniel
Format original :  8 mm
Genre :  Film amateur
Thématiques :  Autres guerres : guerre d'Indochine - guerre d'Algérie

Contexte et analyse


La guerre d’Algérie

Ce film a été réalisé par Jean-Daniel Jung à la fin de la guerre d’Algérie. Ce conflit opposa les nationalistes algériens au pouvoir d’État français. Cette guerre débuta en 1954 et se termina en 1962. L’éventualité de perdre l’Algérie pour la France des années 1950 représentait une atteinte à son rang de grande puissance, construite notamment sur sa présence coloniale dans le monde. L’Algérie était la pièce maîtresse de ce dispositif et était la seule colonie française de peuplement, avec un million d’« Européens » en 1954. Un tournant décisif eut lieu le 12 mars 1956 : l’Assemblée nationale vote les pouvoirs spéciaux au gouvernement Guy Mollet et l’armée intervient dans le dispositif du maintien de l’ordre. On estime que la France a déployé environ 450 000 soldats français. À cette époque le mot de guerre n’est pas utilisé, au profit de l’euphémisme « opérations de maintien de l’ordre ». En revanche en Algérie, on parlait bien de guerre et cela dès le premier jour du soulèvement à l’initiative du Front de Libération Nationale (FLN) le 1er novembre 1954. Selon les accords d’Évian, la guerre d’Algérie aurait dû prendre fin le 19 mars 1962 à midi. Ce ne fut pas le cas, notamment par le fait que des actes de violences ont lieu malgré le cessez-le-feu (bombardement au mortier sur une foule musulmane pour provoquer une riposte du FLN le 21 mars).
La une du journal le Figaro le 19 mars 1962

Deux conscrits à Alger en 1962

Dans les premières secondes du film, on peut apercevoir des adultes qui s’amusent sur la plage (deux hommes et une femme sans oublier celui qui tient la caméra). Il fait beau, la température de l’eau semble agréable, on s’amuse. Cette scène se déroule à Fort-de-l’Eau qui est une commune et station balnéaire à l’est d’Alger (environ 20 km). Aujourd’hui, cette commune porte comme nom Bordj El Kiffan. À première vue, il est tentant de penser qu’il s’agit d’une famille ou tout simplement de touristes en vacances à Alger et qui profitent de la mer. Ce n’est pas le cas.

La personne qui tient la caméra se nomme Jean-Daniel Jung, il apparaît dans le film très clairement à 0 min 51 s. Il est né le 5 février 1938 à Strasbourg, deuxième d’une famille de quatre enfants. Il a effectué sa scolarité au Gymnase Jean-Sturm de Strasbourg et à Sainte-Foy-la-Grande en Dordogne. En 1955, il intègre l’École de Commerce IECS à Strasbourg avec son ami Freddy Schwoerer lui aussi présent dans ce film. Jean-Daniel Jung réalise son film durant son service militaire de 1960 à 1962. Fin 1961, il intègre l’École militaire d’infanterie de Cherchell en Algérie. Une fois sa formation terminée, il intègre le corps militaire des chasseurs alpins (à la fin du film on peut d’ailleurs voir leurs étendards) et est affecté en tant qu’officier de sécurité à l’Amirauté d’Alger au printemps 1962. En novembre 1962, il quitte l’Algérie pour travailler dans l’État-Major à Paris. Une fois son service militaire terminé entre mars et avril 1963, il entreprend un stage d’étude aux États-Unis et en France dans des chaînes de supermarchés de 1963 à 1965. En 1970, il intègre le groupe familial SUMA-BAG. La même année, il devient directeur des Grandes Galeries (Magasin Printemps) à Strasbourg et divers autres magasins du groupe. Il décide de prendre sa retraite en 1995 avant de s’éteindre le 3 juin 2007.

Son camarade, à gauche au début du film, se nomme Freddy Schwoerer. Il a entamé son service militaire en février 1961 en passant d'abord environ 4 mois à Nancy puis est arrivé en Algérie en juin 1961. Il est sergent et travaille en tant que secrétaire d’État-Major du colonel de la base aérienne 148 de Hussein Dey. Il loge à l’époque dans un appartement à Maison Carrée qui est une petite ville entre Alger et Fort-de-l’Eau. Freddy Schwoerer retourne en France le 13 février 1963 et est libéré le 14 de ses obligations militaires. Il se fait embaucher par le Crédit agricole et devient directeur à la caisse régionale d’Alsace.

Quant au deuxième homme sur la droite, celui-ci s’appelle Michel Bougon et possède le grade de caporal-chef. Enfin, la femme se prénomme Évelyne Demangeat, sous-officier (sergent) de l’armée de l’air et travaille avec Freddy Schwoerer dans la même base. Par rapport à ces trois hommes qui sont des appelés, elle est une militaire de carrière. D’après les images, il s’agit d’un week-end en été 1962 où ces adultes se détendent à la mer dans la joie et la bonne humeur.

Pendant son temps libre, Jean-Daniel Jung se promène et utilise sa caméra pour filmer ce qu’il semble lui plaire. Il réalise plusieurs plans panoramiques sur le port d’Alger (à 1 min 55 s) ainsi que sur la ville. À plusieurs reprises, il filme un bastion de forme circulaire qui supporte une tour octogonale blanche dont le sommet sert de phare. Cette tour date de 1541 édifiée sur les ruines du fort du Peñon construit par les Espagnols en 1510. Le réalisateur se trouve sur la darse de l'Amirauté (îlot de la Marine) qui est la partie la plus ancienne du port. Il filme également les alentours ce qui nous permet d’apercevoir l’extérieur de la Casbah ainsi que les fameuses Voûtes d’Alger et de l’Amirauté (à 3 min 52 s). La Casbah correspond à la vieille ville ou médina d’Alger dont elle forme un quartier historique inscrit au patrimoine mondial de l'humanité de l'Unesco depuis 1992. Dans cette partie du film, Jean-Daniel Jung filme longtemps le port d’Alger et ses environs. Il est vrai que le port d’Alger est célèbre et que la ville est splendide. Du haut de la crête (la Casbah), la ville d’Alger surplombe la mer méditerranée avec sa resplendissante façade blanche à qui elle doit son nom d’Alger La Blanche.

L’Amirauté d’Alger est en réalité un endroit très marquant aux yeux du réalisateur. En effet, le mercredi 2 mai 1962 eut lieu à cet endroit un attentat perpétré par l’OAS (Organisation de l’Armée Secrète) au port d’Alger. Une voiture piégée, chargée de ferraille et de morceaux de fonte, explose devant le centre d’embauche des dockers sur le port. Comme chaque jour, les dockers musulmans attendaient de prendre leur travail quand a lieu l’explosion. De plus, des commandos de l’OAS embusqués dans les immeubles voisins ouvrent le feu sur les survivants. Jean-Daniel Jung, en tant qu’officier de sécurité à l’Amirauté d’Alger, a été chargé de compter le nombre de victimes après l’attentat. Officiellement, le gouvernement français rapporte que l’attentat a fait 62 morts et 110 blessés, tous musulmans. Jean-Daniel Jung a toujours maintenu et a même confié à son ami Freddy Schwoerer que les chiffres étaient en vérité beaucoup plus élevés. Visiblement pour des raisons politiques et éviter des protestations, les vrais chiffres n’ont pas été révélés. Cela nous rappelle qu’il s’agissait d’une période dangereuse pour les personnes présentes en Algérie et que les enjeux politiques étaient élevés.

L’indépendance de l’Algérie : une ville en fête

La une du journal le Monde du mercredi 04 juillet 1962

« Voulez-vous que l’Algérie devienne un État indépendant coopérant avec la France dans les conditions définies par la déclaration du 19 mars 1962 ? » Le dimanche 1er juillet 1962 en Algérie, six millions d’électeurs répondent « oui » à cette question, à peine 16 534 disent « non ». Les résultats sont rendus publics le 03 juillet et donnent 91,23 % de « oui » par rapport aux inscrits et 99,72 % par rapport aux suffrages exprimés. Ce mardi 03 juillet marque également l’arrivée du GPRA, le « Gouvernement Provisoire de la République Algérienne », formé à Tunis en 1958 par le FLN, au plus fort de la lutte contre la France. Les membres du GPRA, conduits par leur président, Ben Youssef Ben Khedda, font leur entrée dans Alger. De plus, ce même jour, à la cité administrative de Rocher-Noir, près d’Alger, Christian Fouchet, haut-commissaire de France, remet à Abderrahmane Farès, le président de « l’exécutif provisoire » formé après les accords d’Évian, la lettre du général de Gaulle qui reconnaît l’indépendance de l’Algérie : « La France a pris acte des résultats du scrutin d’autodétermination du 1er juillet 1962 et de la mise en vigueur des déclarations du 19 mars 1962. Elle a reconnu l’indépendance de l’Algérie ». La guerre contre la France est terminée. Pour la masse des Algériens, « sept ans, ça suffit ! » ; le slogan court à travers les villes et les campagnes. Ils réclament la fin du temps des épreuves. Le GPRA choisit le 5 juillet pour célébrer l’indépendance. Le choix de cette date n’est pas anodin. Ce 5 juillet chasse le 5 juillet 1830, jour de la signature de l’acte de capitulation du dey d’Alger, qui ouvre la porte à la conquête française. Après la guerre, après les souffrances et les humiliations, la victoire autorise la joie.

C’est ce que Jean-Daniel Jung arrive à capter à l’Amirauté d’Alger dans la deuxième partie du film (à partir de 08 min 32 s). Pour être au plus proche des célébrations, le réalisateur se positionne devant l’entrée de l’Amirauté (visible à 13 min 15 s). Les images sont éloquentes. La foule envahit les rues pour manifester sa joie et célébrer cette première fête de l’indépendance : les Algéroises sortent dehors et certaines d’entre elles portent leur haïk (grand voile blanc), aux côtés des hommes, ainsi que les enfants et les personnes âgées. Alger n’est plus qu’une gigantesque kermesse. On peut deviner que la ville, pavoisée de milliers de drapeaux vert et blanc (le « drapeau fellouze » comme l’appellent les pieds-noirs), retentit du bruit des clameurs et des sifflets qui scandent sur cinq notes : Ya-ya, Dje-za-ir (« Vive l’Algérie »). Sans arrêt, bus, camions, et autos, arborant des drapeaux algériens, sillonnent la ville. Ceux-ci sont décorés comme les chars d’un corso fleuri. Les véhicules roulent à vive allure en suivant la jetée Kheir Eddine pour continuer plus loin sur la rue d’Angkor. Dans les véhicules, il doit certainement y avoir des djounoud (combattants de l’Armée de Libération Nationale) qui célèbrent l’indépendance. Par ailleurs, des soldats français (visibles à 13 min 00 s) semblent également apprécier cet évènement festif. Le pays tout entier est en liesse : c’est le temps de l’allégresse. Tout le monde parle avec tout le monde. Cent trente-deux ans de colonisation s’achèvent. C’est un moment de joie inouïe pour les Algériens.

Néanmoins, si l’indépendance marque la fin officielle de la guerre, ce n’est pas le cas des flots de sang. Les images de ce film expriment la joie à Alger, mais ce 5 juillet 1962 à Oran, le drame éclate. Alors que la foule crie sa joie dans les rues de la ville, comme à Alger, des coups de feu d’origine indéterminée éclatent. Les journalistes pensent à une provocation de l’OAS mais cela est peu probable. Les violences durent tout l’après-midi et touchent le centre-ville ainsi que plusieurs quartiers d’Oran. On dénombre 101 morts, 76 Algériens et 25 Français d’Algérie. Ce 5 juillet 1962 marque la fin de la présence française, dans ce « joyau d’Empire » qu’était l’Algérie française. Une autre bataille commence, celle pour le pouvoir en Algérie. En France, on veut tourner la page. Celle de la guerre, dont tout le monde est las.

Remarques concernant le montage

L’épisode de la plage au début du film est postérieur aux différentes prises de vues du port d’Alger et de ses alentours. Ainsi, l’épisode de la plage se déroule à la fin de juin 1962 alors que les plans du port ont été pris entre mai et début juin 1962. Enfin, les scènes de liesse ont bien eu lieu le 05 juillet 1962.

Bibliographie


CHAULET ACHOUR Christiane, FORT Pierre-Louis, La France et l’Algérie en 1962, Paris, Karthala, 2013, pages 15 à 23 et pages 184 à 198.

PERVILLE Guy, La guerre d’Algérie (1954-1962), Paris, Presses Universitaires de France, 2015, pages 3 à 4 et pages 109 à 111.

SIMON Catherine, Algérie les années pieds-rouges, Paris, La Découverte, 2011, pages 31 à 41.

STORA Benjamin, Histoire de la guerre d’Algérie 1954-1962, Paris, La Découverte, 2004, pages 78 à 85.

STORA Benjamin, Histoire de l’Algérie depuis l’Indépendance I. 1962-1988, Paris, La Découverte, 2004, pages 7 à 9.

Sitographie :

« Guerre d’Algérie (1954-1962) », Encyclopédie Larousse [en ligne], https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/guerre_d_Alg%C3%A9rie/104808, [consulté le 28 mars 2020].

BENYOUCEF Brahim, « Alger la Blanche : reine de la mer », L’Observatoire : Espace et Société [en ligne], http://www.observatoire-espace-societe.com/2019/02/07/alger-la-blanche-reine-de-la-mer/, [mis en ligne le 07 février 2019, consulté le 13 avril 2020].

Remerciements :

Je remercie très sincèrement Monsieur Frank Jung, le frère du réalisateur, ainsi que Monsieur Freddy Schwoerer pour leur très grande collaboration. Ils ont su me fournir toutes les informations nécessaires pour la compréhension du film et la rédaction de cette fiche.


Article rédigé par

Brendan Caniapin-Ellapa, 03 mai 2020


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