Carnaval de Strasbourg (0020FH0012) : Différence entre versions

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A Strasbourg, cette tradition se perd néanmoins à l'époque du ''Reichsland'' et finit par disparaître complètement après que l'administration allemande a vainement tenté de la relancer. En effet, d'abord encouragé par l'occupant, le « ''Carnaval des Allemands'' »<ref>Eve Cerf, « Carnavals en Alsace : tradition, évolution, manipulation », ''Revue des Sciences Sociales de la France et de l'Est'', n°7, 1978, p.27</ref> est finalement supprimé en 1902 lorsque les Alsaciens décident d'intégrer cette tradition à la valorisation d'une culture régionale et donc au rejet de la culture et de l'autorité allemandes.  
 
A Strasbourg, cette tradition se perd néanmoins à l'époque du ''Reichsland'' et finit par disparaître complètement après que l'administration allemande a vainement tenté de la relancer. En effet, d'abord encouragé par l'occupant, le « ''Carnaval des Allemands'' »<ref>Eve Cerf, « Carnavals en Alsace : tradition, évolution, manipulation », ''Revue des Sciences Sociales de la France et de l'Est'', n°7, 1978, p.27</ref> est finalement supprimé en 1902 lorsque les Alsaciens décident d'intégrer cette tradition à la valorisation d'une culture régionale et donc au rejet de la culture et de l'autorité allemandes.  
  
En 1957 cependant, les commerçants strasbourgeois décident de remettre aux goûts du jour la tradition du carnaval afin d'animer le centre-ville et d'attirer les touristes. La manifestation s'impose ainsi comme une opération de prestige visant à offrir à Strasbourg l'ampleur et le rayonnement d'une ville rhénane prospère. Le carnaval est ainsi financé par les commerçant eux-mêmes, en attestent les nombreux chars « sponsorisés », arborant le nom d'enseignes et d'entreprises strasbourgeoises. [[Fichier:Carnaval - 1960 - Fischer.png|vignette|droite|Un char portant l'emblème de la Bière du Pêcheur, le ''Fischermannele''.]]
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En février 1956, Germain Muller et Raymond Vogel, les fondateurs du cabaret strasbourgeois « De Barabli » font le pari de relancer cette tradition longtemps oubliée et organise une grande procession satirique, essentiellement composée d'acteurs du cabaret, en l'honneur de Crocus Morus, brûlé le soir même sur la Place Broglie. Mais, s'ils sont déjà nombreux à venir y assister, ce carnaval ne marque pas vraiment l'histoire de la ville et est considéré comme un échec.
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L'année suivante cependant, les commerçants strasbourgeois décident de remettre aux goûts du jour la tradition du carnaval afin d'animer le centre-ville et d'attirer les touristes. La manifestation fait figure d'une opération de prestige visant à offrir à Strasbourg le rayonnement d'une ville rhénane prospère. Le carnaval est ainsi financé par les commerçant eux-mêmes, en attestent les nombreux chars « sponsorisés », arborant le nom d'enseignes et d'entreprises strasbourgeoises. [[Fichier:Carnaval - 1960 - Fischer.png|vignette|droite|Un char portant l'emblème de la Bière du Pêcheur, le ''Fischermannele''.]]
  
 
Il s'agit dans ce film du carnaval du dimanche 28 février 1960. L'insert de l'affiche au début du film permet de dater avec précision l'événement. [[Fichier:Carnaval - 1960 - affiche.png|vignette|gauche|L'affiche du carnaval de Strasbourg.]] D'ailleurs, si le carnaval a lieu le dimanche seulement, ce sont en réalité quatre jours successifs de festivité, du samedi 27 février au mardi 1er mars, qui sont proposés aux Strasbourgeois et autres touristes. Les images témoignent aussi de l'attrait de la fête urbaine : les chars peinent à avancer à travers la foule, très dense. On note aussi le caractère tout public de cette manifestation, les spectateurs étant, de façon surprenante, surtout des adultes davantage que des enfants.
 
Il s'agit dans ce film du carnaval du dimanche 28 février 1960. L'insert de l'affiche au début du film permet de dater avec précision l'événement. [[Fichier:Carnaval - 1960 - affiche.png|vignette|gauche|L'affiche du carnaval de Strasbourg.]] D'ailleurs, si le carnaval a lieu le dimanche seulement, ce sont en réalité quatre jours successifs de festivité, du samedi 27 février au mardi 1er mars, qui sont proposés aux Strasbourgeois et autres touristes. Les images témoignent aussi de l'attrait de la fête urbaine : les chars peinent à avancer à travers la foule, très dense. On note aussi le caractère tout public de cette manifestation, les spectateurs étant, de façon surprenante, surtout des adultes davantage que des enfants.

Version du 6 janvier 2019 à 18:07

Événements filmés ou en lien


Carnaval de Strasbourg

Résumé


Il s'agit d'un court film amateur sur le carnaval de Strasbourg datant du dimanche 28 février 1960. On y voit les différents chars qui se succèdent et défilent parmi la foule.

Description


[00:03] Insert de l'affiche du Carnaval de Strasbourg. L'affiche très colorée indique la tenue de "grands bals travestis" du samedi 27 février au mardi 1er mars 1960.

Les séquences qui suivent sont toutes tournées sur un mode similaire, alliant des plans fixes et des plans panoramiques. Postée sur un trottoir, en face de la Banque Fédérative Rurale située au numéro 25 de la Rue du Vieux-Marché-aux-Vins, et surplombant une foule très dense, la caméra suit les chars qui défilent.

[00:10] Un premier char surmonté d'un couple de géants en papier mâché est suivi de près par quatre personnes déguisées en pintes de bière sur lesquelles on distingue "pêcheur" ; il s'agit du char promotionnel de la Brasserie du Pêcheur, ou Brasserie Fischer, une brasserie alsacienne fondée en 1821 et installée à Schiltigheim. Depuis le char, quelques personnes lancent ce qui semble être des prospectus dans la foule. D'autres personnes déguisées accompagnent le cortège en dansant et jetant des confettis sur les spectateurs.

[00:23] Un second char au couleur de la Brasserie Fischer et surmonté du logo, le Fischermannele, défile. Il transporte une fanfare et trois femmes portant le costume traditionnel des Alsaciennes, tandis que trois autres personnes, également déguisées en pintes de bière, lui succèdent.

[00:32] Un char en forme de bateau pirate avec une ancre dessinée sur la coque - certainement le char de la Brasserie de l'Espérance fondée en 1746 à Schiltigheim et dont la bière traditionnelle est l'Ancre. Un homme situé en poupe du bateau lance des papiers dans la foule.

[00:42] Large plan panoramique sur la foule, dense et couverte de confettis. Elle est très hétérogène et compte aussi bien des adultes que des enfants, des femmes que des hommes. Tous portent des vêtements d'hiver, il fait sans doute froid. Des sourires se dessinent sur les lèvres. Certains sont perchés sur des rebords de fenêtres afin de mieux apercevoir le défilé.

[00:54] Un char décoré d'une grosse tête en papier mâché, celle d'homme replet au sourire grinçant ; en fonds, un paysage lunaire et une fusée dessinés sur une toile tendue. Dessus, deux hommes saluent la foule.

[01:04] Un char représentant une femme blonde tenant une énorme pièce à la main ; derrière, une balance telle qu'il en existe dans les marchés. Le char est suivi de sept personnes déguisées en ce qui semble être des quilles colorées et numérotées.

[01:21] Un char en forme de paon, jonché d'une tête d'homme énorme et d'une silhouette de femme.

[01:25] Un char en forme de canard lequel a le bec fermé par un cadenas. L'allégorie du canard fait écho a la deuxième partie du char : un journal illustré - certainement de la presse people - tenu par un vieil homme aux yeux exorbités.

[01:43] Un char décoré de deux danseuses de cabaret, d'un homme portant le béret et la marinière - symbolisant la France - et de deux autres portant des hauts-de-forme, l'un aux couleurs du Royaume-Uni et l'autre à celles des Etats-Unis. Tous se tiennent la main et semblent danser ensemble.

[01:59] Un char représentant une tour Eiffel surmontée de la tête et des bras du Général De Gaule.

[02:07] Plusieurs personnes à pied portant des masques de papier mâché ; des musiciens prennent aussi part au cortège.

[02:17] Un char décoré de trois têtes de monstres semblables à des escargots dentus ; le char est pourvu d'un mécanisme faisant tournoyer deux astronautes, l'un aux couleurs des Etats-Unis, l'autre portant l'étoile rouge communiste, autour d'une sphère, elle-même posée sur un croissant de Lune, laquelle sur trouve sur la tête d'un homme.

[02:39] Quatre personnes déguisées en chef cuisinier portant des mets dans leurs bras.

[02:46] Un char représentant un personnage portant à la fois le chapeau du bouffon et la couronne du roi sur une chaise à porteur laquelle est portée par trois valets à la mine triste.

[02:59] Un char en forme de carrosse sur lequel prennent place une fanfare et trois jeunes femmes vêtues de robes longues. A l'arrière du char, un personnage en papier mâché avec un nez rouge et disproportionné.

Métadonnées

N° support :  0020FH0012
Date :  28 février 1960
Coloration :  Couleur
Son :  Muet
Durée :  00:03:14
Format original :  8 mm
Genre :  Film amateur
Thématiques :  Activités de plein-air, Traditions, Carnaval, Habit traditionnel
Institution d'origine :  MIRA

Contexte et analyse


Se déroulant au cours d'une période comprise entre le milieu de l'hiver et le début de l'été, le carnaval est une fête rurale et urbaine caractérisée par le travestissement et la transgression ritualisée d'interdits et autres tabous. Dès le Moyen-Âge, cette pratique est encadrée par l’Église. Associée à des fêtes chrétiennes et s'insérant dans le cycle précédant le Carême, elle reprend les thèmes religieux de la mort et de la renaissance, du chaos et de l'ordre, au centre desquels l'exaltation de l'homme sauvage fait office de médiation. La procession burlesque se clôt généralement par le sacrifice de l'homme sauvage, symbole du retour au calme, du triomphe de la société sur le chaos. Derrière un certain aspect anarchique, le carnaval tient en réalité un rôle social important permettant à chacun, sous les traits d'êtres monstrueux ou grotesques, l'excès et la subversion ; le carnaval s'apparente ainsi à une sorte de catharsis populaire.

A Strasbourg, cette tradition se perd néanmoins à l'époque du Reichsland et finit par disparaître complètement après que l'administration allemande a vainement tenté de la relancer. En effet, d'abord encouragé par l'occupant, le « Carnaval des Allemands »[1] est finalement supprimé en 1902 lorsque les Alsaciens décident d'intégrer cette tradition à la valorisation d'une culture régionale et donc au rejet de la culture et de l'autorité allemandes.

En février 1956, Germain Muller et Raymond Vogel, les fondateurs du cabaret strasbourgeois « De Barabli » font le pari de relancer cette tradition longtemps oubliée et organise une grande procession satirique, essentiellement composée d'acteurs du cabaret, en l'honneur de Crocus Morus, brûlé le soir même sur la Place Broglie. Mais, s'ils sont déjà nombreux à venir y assister, ce carnaval ne marque pas vraiment l'histoire de la ville et est considéré comme un échec.

L'année suivante cependant, les commerçants strasbourgeois décident de remettre aux goûts du jour la tradition du carnaval afin d'animer le centre-ville et d'attirer les touristes. La manifestation fait figure d'une opération de prestige visant à offrir à Strasbourg le rayonnement d'une ville rhénane prospère. Le carnaval est ainsi financé par les commerçant eux-mêmes, en attestent les nombreux chars « sponsorisés », arborant le nom d'enseignes et d'entreprises strasbourgeoises.
Un char portant l'emblème de la Bière du Pêcheur, le Fischermannele.
Il s'agit dans ce film du carnaval du dimanche 28 février 1960. L'insert de l'affiche au début du film permet de dater avec précision l'événement.
L'affiche du carnaval de Strasbourg.
D'ailleurs, si le carnaval a lieu le dimanche seulement, ce sont en réalité quatre jours successifs de festivité, du samedi 27 février au mardi 1er mars, qui sont proposés aux Strasbourgeois et autres touristes. Les images témoignent aussi de l'attrait de la fête urbaine : les chars peinent à avancer à travers la foule, très dense. On note aussi le caractère tout public de cette manifestation, les spectateurs étant, de façon surprenante, surtout des adultes davantage que des enfants.


Déguisements et chars sont encore l'occasion de messages contestataires divers bien que considérablement policés. En témoignent le canard, allégorie du journal et de la presse, muselé par un cadenas, derrière lequel un homme apparaît médusé à la lecture de la presse à sensation. Certains pouvaient sans doute y voir la dénonciation d'une société davantage avide des scandales de la presse people que de véritables sujets de fond.
Le char représentant un canard au bec muselé.
De même, en regardant passer cette Tour Eiffel surmontée de la tête de Charles de Gaule, peut-être d'autres voyaient-ils la représentation caricaturale d'une toute nouvelle Ve République qui renforce considérablement les pouvoirs du chef de l'Etat, désormais au sommet de la hiérarchie politique. Mais la contestation reste légère.
La tête du Général de Gaule, au sommet de la Tour Eiffel, les bras levés au ciel, semblant clamer "Je vous ai compris !".


Ainsi, très vite, on reproche à cette cavalcade de s'être trop éloignée de la tradition carnavalesque, de n'être finalement qu'une gentille fête urbaine, folklorique et très commerciale. Et s'ils sont nombreux à venir jusque dans le centre-ville de Strasbourg pour voir défiler Bim-Bam, le roi du carnaval, la majeure partie d'entre eux sont spectateurs, non participants. La subversion et le grotesque, raisons d'être du carnaval, ont laissé place au spectaculaire au sein d'une foule passive. Enfin, s'il demeure encore, l'espace de la contestation sociale se trouve de plus en plus réduit. Aussi, l'engouement existant autour de ce « Carnaval des Marchands »[2] s'essouffle peu à peu : il se tient pour la dernière fois en 1962.

Lieux ou monuments


Rue du Vieux-Marché-aux-Vins, Strasbourg

Bibliographie


Eve Cerf, « Carnavals en Alsace : tradition, évolution, manipulation », Revue des Sciences Sociales de la France et de l'Est, n°7, 1978, pp.24-37

Eve Cerf, « Wackes Fasenacht : le Carnaval des Voyous à Strasbourg », Revue des Sciences Sociales de la France et de l'Est, n°21, 1994, pp.40-47

Freddy Raphaël et Geneviève Herberich-Marx, « Éléments pour une sociologie du rire et du blasphème », Revue des Sciences Sociales de la France et de l'Est, n°21, 1994, pp. 4-10


Article rédigé par

Valentine Vis, 02 janvier 2019


  1. Eve Cerf, « Carnavals en Alsace : tradition, évolution, manipulation », Revue des Sciences Sociales de la France et de l'Est, n°7, 1978, p.27
  2. Eve Cerf, « Carnavals en Alsace : tradition, évolution, manipulation », Revue des Sciences Sociales de la France et de l'Est, n°7, 1978, p.30