Conscrits à Marlenheim (0019FH0031) : Différence entre versions

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|Contexte_et_analyse_fr=La tradition des conscrits, encore bien vivante dans beaucoup de localités alsaciennes, remonte à l’instauration du service militaire obligatoire et universel, c’est-à-dire à la loi Jourdan du 5 septembre 1798. En dialecte alsacien on appelle les conscrits avec des termes d’origine française : ''Cunscrit'', ''Gusgri'' etc.  En Haute-Alsace, on parle souvent de ''Melissa'', ''Malissen''. Dans chaque paroisse, entre 1691 et 1760, on tirait au sort un certain nombre de miliciens, d’où le nom dialectal. La conscription devint réellement un évènement essentiel dans la vie des jeunes gens quand les armées révolutionnaires puis impériales recrutèrent de plus en plus de soldats qui parcoururent toute l’Europe. Tous les jeunes, âgés de 20 à 25 ans, devaient partir à l’armée. Chaque département devait fournir un contingent annuel proportionnel à sa population et réparti par cantons. Le tirage au sort désignait ceux qui devaient partir sous les drapeaux. Ce système, aboli entre 1815 et 1818 au profit d’une armée d’engagés volontaires comme sous l’Ancien Régime, dura jusqu’en 1870. Jusqu’à cette date exista la possibilité d’être remplacé. En effet, tout conscrit qui avait tiré un « mauvais numéro » (l’obligeant à partir à l’armée) pouvait trouver un remplaçant qui partirait à sa place moyennant une certaine somme d’argent.
 
|Contexte_et_analyse_fr=La tradition des conscrits, encore bien vivante dans beaucoup de localités alsaciennes, remonte à l’instauration du service militaire obligatoire et universel, c’est-à-dire à la loi Jourdan du 5 septembre 1798. En dialecte alsacien on appelle les conscrits avec des termes d’origine française : ''Cunscrit'', ''Gusgri'' etc.  En Haute-Alsace, on parle souvent de ''Melissa'', ''Malissen''. Dans chaque paroisse, entre 1691 et 1760, on tirait au sort un certain nombre de miliciens, d’où le nom dialectal. La conscription devint réellement un évènement essentiel dans la vie des jeunes gens quand les armées révolutionnaires puis impériales recrutèrent de plus en plus de soldats qui parcoururent toute l’Europe. Tous les jeunes, âgés de 20 à 25 ans, devaient partir à l’armée. Chaque département devait fournir un contingent annuel proportionnel à sa population et réparti par cantons. Le tirage au sort désignait ceux qui devaient partir sous les drapeaux. Ce système, aboli entre 1815 et 1818 au profit d’une armée d’engagés volontaires comme sous l’Ancien Régime, dura jusqu’en 1870. Jusqu’à cette date exista la possibilité d’être remplacé. En effet, tout conscrit qui avait tiré un « mauvais numéro » (l’obligeant à partir à l’armée) pouvait trouver un remplaçant qui partirait à sa place moyennant une certaine somme d’argent.
  
La conscription pour les jeunes hommes était un signe de fierté et de patriotisme. Malgré les contraintes et la longueur du service (cinq ans en moyenne), peu de jeunes gens cherchaient à se faire exempter pour des raisons médicales. En effet, se voir refuser au conseil de révision (''Muschterung'') était un signe de déficience physique sérieuse, donc un signe d’anormalité. Un conscrit réformé avait ainsi peu d’espoir de trouver une épouse et de mener une vie d’adulte normale. Dans de nombreuses localités, il existe toute une hiérarchie dans la jeunesse masculine. À titre d’exemple, à Drusenheim, le jeune homme deux ans avant la conscription commence par être ''Scherzler''. L’année suivante, il devient ''Ecksteinler'' et enfin, l’année de ses dix-neuf ans, il est ''Cunscrit''. La tenue varie selon cette hiérarchie et semble d’ailleurs être empruntée à celle des apprentis de l’Ancien Régime. Les ''Scherzler'' portent une chemise blanche ou de couleur, un pantalon blanc et un tablier (''Scherz'') sur lequel est brodé toute une série de motifs. On y trouve les initiales du jeune homme, la classe d’âge et divers décors floraux ou géométriques. Les ''Ecksteinler'' ont une tenue plus sobre : chemise de couleur et pantalons à petits carreaux. Enfin, les ''Cunscrit'' sont habillés de blanc (pantalon et chemise) et ils portent un chapeau orné de fleurs et de fruits, avec de longs rubans richement brodés. Ces tenues peuvent bien évidemment varier d’une localité à l’autre. Cette coutume resta très vivante jusqu’au XXe siècle avec quelques changements. La forme du service militaire a changé et les conseils de révision ont disparu dans les années 1960, supprimant ainsi l’occasion de rassembler tous les conscrits au chef-lieu de canton.
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La conscription pour les jeunes hommes était un signe de fierté et de patriotisme. Malgré les contraintes et la longueur du service (cinq ans en moyenne), peu de jeunes gens cherchaient à se faire exempter pour des raisons médicales. En effet, se voir refuser au conseil de révision (''Muschterung'') était un signe de déficience physique sérieuse, donc un signe d’anormalité. Un conscrit réformé avait ainsi peu d’espoir de trouver une épouse et de mener une vie d’adulte normale. Dans de nombreuses localités, il existe toute une hiérarchie dans la jeunesse masculine. À titre d’exemple à Drusenheim, le jeune homme deux ans avant la conscription commence par être ''Scherzler''. L’année suivante, il devient ''Ecksteinler'' et enfin, l’année de ses dix-neuf ans, il est ''Cunscrit''. La tenue varie selon cette hiérarchie et semble d’ailleurs être empruntée à celle des apprentis de l’Ancien Régime. Les ''Scherzler'' portent une chemise blanche ou de couleur, un pantalon blanc et un tablier (''Scherz'') sur lequel est brodé toute une série de motifs. On y trouve les initiales du jeune homme, la classe d’âge et divers décors floraux ou géométriques. Les ''Ecksteinler'' ont une tenue plus sobre : chemise de couleur et pantalons à petits carreaux. Enfin, les ''Cunscrit'' sont habillés de blanc (pantalon et chemise) et ils portent un chapeau orné de fleurs et de fruits, avec de longs rubans richement brodés. Ces tenues peuvent bien évidemment varier d’une localité à l’autre.  
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Cette coutume resta très vivante jusqu’au XXe siècle avec quelques changements. La forme du service militaire a changé et les conseils de révision ont disparu dans les années 1960, supprimant ainsi l’occasion de rassembler tous les conscrits au chef-lieu de canton.
  
 
L’année de la conscription était considérée comme le couronnement de l’adolescence. Pour préparer l’année de la conscription, les jeunes gens de la même classe d’âge se réunissaient dans une auberge pour élire une sorte de comité des festivités avec un président, un trésorier, un porte-drapeau et un tambour-major. Ils en profitaient également pour sortir et décorer le grand drapeau de la classe. Les conscrits se réunissaient régulièrement, presque toutes les semaines, pour répéter les cortèges dansés, le maniement du drapeau richement décoré et les airs joués par leur fanfare dirigée par le tambour-major.
 
L’année de la conscription était considérée comme le couronnement de l’adolescence. Pour préparer l’année de la conscription, les jeunes gens de la même classe d’âge se réunissaient dans une auberge pour élire une sorte de comité des festivités avec un président, un trésorier, un porte-drapeau et un tambour-major. Ils en profitaient également pour sortir et décorer le grand drapeau de la classe. Les conscrits se réunissaient régulièrement, presque toutes les semaines, pour répéter les cortèges dansés, le maniement du drapeau richement décoré et les airs joués par leur fanfare dirigée par le tambour-major.
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'''La célébration de la fête:'''
 
'''La célébration de la fête:'''
  
Rodolphe Klein, maire de Marlenheim de 1945 à 1971, reçoit le groupe des conscrits à son domicile. Il a déjà tourné plusieurs films amateurs mais sur ce film, ce n’est pas lui qui tient la caméra. Comme il apparaît fréquemment sur le film en étant le personnage central, il a certainement dû prêter sa caméra à quelqu’un d’autre pour filmer l’évènement, il peut donc s’agir de sa femme, d’un ami ou bien d’un adjoint. En revanche, Rodolphe Klein s’occupait de prendre des photos, puisqu’il tient à plusieurs reprises dans ses mains un objet qui semble être un appareil photo.  Après avoir écouté le discours du maire, la bande des conscrits s’élance dans la rue. Les conscrits dansent de plusieurs manières soit en exécutant collectivement des pas sautillants ou ''Hupfschritte''. Ils se tiennent par les épaules et zigzaguent de droite à gauche à travers les rues. En tête du cortège, le porte-drapeau fait claquer son étendard et le tambour-major lance son lourd bâton en le faisant tournoyer avec adresse. Le tout sur fond de musique, scandé de cris violents ou de chansons souvent brutales. Ces chants et ces danses sont certainement l’écho lointain d’un temps où les jeunes garçons devenaient des guerriers prêts à défendre leur communauté. Ces danses de conscrits étaient aussi l’occasion pour les plus habiles de montrer leurs capacités physiques. Ils se livraient alors à des exercices acrobatiques destinés à montrer qu’ils étaient les meilleurs garçons de l’endroit. Néanmoins les rues semblent assez désertes sur ce film. Les danses des conscrits variaient selon les localités, de même que les airs joués durant la fête.  
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Rodolphe Klein, maire de Marlenheim de 1945 à 1971, reçoit le groupe des conscrits à son domicile. Il a déjà tourné plusieurs films amateurs mais sur ce film, ce n’est pas lui qui tient la caméra. Comme il apparaît fréquemment sur le film en étant le personnage central, il a certainement dû prêter sa caméra à quelqu’un d’autre pour filmer l’évènement, il peut donc s’agir de sa femme, d’un ami ou bien d’un adjoint. En revanche, Rodolphe Klein s’occupait de prendre des photos, puisqu’il tient à plusieurs reprises dans ses mains un objet qui semble être un appareil photo.  Après avoir écouté le discours du maire, la bande des conscrits s’élance dans la rue. Les conscrits dansent de plusieurs manières soit en exécutant collectivement des pas sautillants ou ''Hupfschritte''. Ils se tiennent par les épaules et zigzaguent de droite à gauche à travers les rues. En tête du cortège, le porte-drapeau fait claquer son étendard et le tambour-major lance son lourd bâton, le tout sur fond de musique, scandé de cris violents ou de chansons souvent brutales. Ces chants et ces danses sont certainement l’écho lointain d’un temps où les jeunes garçons devenaient des guerriers prêts à défendre leur communauté. Ces danses de conscrits étaient aussi l’occasion pour les plus habiles de montrer leurs capacités physiques. Ils se livraient alors à des exercices acrobatiques destinés à montrer qu’ils étaient les meilleurs garçons de l’endroit. Néanmoins les rues semblent assez désertes sur ce film. Les danses des conscrits variaient selon les localités, de même que les airs joués durant la fête.
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À cette occasion, les conscrits défilent dans le village revêtus de leurs plus beaux atours. Les conscrits portent un pantalon blanc, une chemise grise voire noire ainsi qu’un chapeau sombre. Les conscrits portaient des chapeaux souvent spectaculaires, attestés depuis les années 1820. Ces couvre-chefs ont plusieurs formes : tricornes, hauts-de-forme, bérets etc. Le chapeau lui-même, identique pour tous les conscrits, a peu d’importance au fond. Ce qui compte, c’est son décor parfois exubérant avec une base entourée d’une profusion de rubans où l’on retrouve les trois couleurs nationales, mêlées à d’autres teintes vives, le tout d’une grande longueur.  Sur ce film, les conscrits portent un chapeau d’une forme simple, orné de longs rubans reflétant les couleurs du drapeau français. Quant aux membres qui composent la fanfare, ceux-ci portent un costume gris ou noir et certains d’entre eux portent des couvre-chefs (chapeau ou béret). En revanche, les garçons qui composent l’orchestre paraissent beaucoup plus âgés que les conscrits qui les précèdent. Ils ne sont peut-être pas des conscrits eux-mêmes. Le film ne nous dit pas si les conscrits vont à la fin allumer un feu et sauter par-dessus les braises trois fois de suite. Il s’agit là d’un très vieux rite d’initiation par le feu, qui transforme les jeunes gens en hommes à part entière.  
  
À cette occasion, les conscrits défilaient dans le village revêtus de leurs plus beaux atours. Les conscrits portent un pantalon blanc, une chemise grise voire noire ainsi qu’un chapeau sombre. Les conscrits portaient des chapeaux souvent spectaculaires, attestés depuis les années 1820. Ces couvre-chefs ont plusieurs formes : tricornes, hauts-de-forme, bérets etc. Le chapeau lui-même, identique pour tous les conscrits, a peu d’importance au fond. Ce qui compte, c’est son décor parfois exubérant avec une base entourée d’une profusion de rubans où l’on retrouve les trois couleurs nationales, mêlées à d’autres teintes vives, le tout d’une grande longueur.  Sur ce film, les conscrits portent un chapeau d’une forme simple, orné de longs rubans reflétant les couleurs du drapeau français. Quant aux membres qui composent la fanfare, ceux-ci portent un costume gris ou noir et certains d’entre eux portent des couvre-chefs (chapeau ou béret). En revanche, les garçons qui composent l’orchestre paraissent beaucoup plus âgés que les conscrits qui les précèdent. Ils ne sont peut-être pas des conscrits eux-mêmes. Le film ne nous dit pas si les conscrits vont à la fin allumer un feu et sauter par-dessus les braises trois fois de suite. Il s’agit là d’un très vieux rite d’initiation par le feu, qui transforme les jeunes gens en hommes à part entière. La présence d’attributs rappelant la nation française est d’autant plus importante en Alsace à cette époque. Cette fête des conscrits à Marlenheim a été filmée en 1951 (date présente sur le drapeau visible à 01 min 41 s), soit six années après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les jeunes hommes présents sur ce film sont certainement nés dans les années 1930 et ont été éduqués par le système nazi, à l’époque où l’Alsace était encore sous la domination du Troisième Reich. Ainsi, cette fête des conscrits est également une fête patriotique au moment où l’Alsace vient tout juste de revenir dans le giron français.  
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La présence d’attributs rappelant la nation française est d’autant plus importante en Alsace à cette époque. Cette fête des conscrits à Marlenheim a été filmée en 1951 (date présente sur le drapeau visible à 01 min 41 s), soit six années après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les jeunes hommes présents sur ce film sont certainement nés dans les années 1930 et ont été éduqués par le système nazi, à l’époque où l’Alsace était encore sous la domination du Troisième Reich. Ainsi, cette fête des conscrits est également une fête patriotique au moment où l’Alsace vient tout juste de revenir dans le giron français.  
  
 
La loi du 28 octobre 1997 a supprimé une institution vieille de deux siècles : le service militaire obligatoire. À partir de 2002, il n’y a plus officiellement d’appelés et donc de conscrits. On aurait pu imaginer la disparition pure et simple de cette coutume séculaire, et son cortège de fêtes et d’animations dans les villages de l’Alsace. Mais ce rituel traditionnel lié au passage à l’âge adulte se maintient dans certains villages. Il permet maintenant, dissocié de sa coloration patriotique, de resserrer les liens entre les jeunes d’une même classe d’âge au sein d’une communauté villageoise.
 
La loi du 28 octobre 1997 a supprimé une institution vieille de deux siècles : le service militaire obligatoire. À partir de 2002, il n’y a plus officiellement d’appelés et donc de conscrits. On aurait pu imaginer la disparition pure et simple de cette coutume séculaire, et son cortège de fêtes et d’animations dans les villages de l’Alsace. Mais ce rituel traditionnel lié au passage à l’âge adulte se maintient dans certains villages. Il permet maintenant, dissocié de sa coloration patriotique, de resserrer les liens entre les jeunes d’une même classe d’âge au sein d’une communauté villageoise.

Version du 4 janvier 2021 à 18:15


[1] Avertissement[2]

Événements filmés ou en lien


Fête des conscrits

Résumé


Célébration de la fête des conscrits à Marlenheim en 1951.

Description


Le film commence avec un plan sur un personnage important, Rodolphe Klein, qui était le maire de Marlenheim à l’époque. Nous pouvons ensuite observer les conscrits qui s’amusent et qui dansent. Ils viennent tout juste d’arriver à la demeure du maire pour écouter son discours et profiter d’un pot. Dans son discours, le maire du village doit certainement exprimer la joie qu’il éprouve de recevoir les conscrits tout comme les exhorter à éviter les excès et à maintenir le calme. L’élu du village en profite pour exécuter quelques pas de danse avec sa femme devant les conscrits. Une fois le pot terminé, les conscrits quittent le domicile du maire et reprennent leur chemin. Le cortège s’élance dans la rue avec l’orchestre qui joue de la musique et les conscrits qui dansent. Enfin, le film se termine avec un plan sur une grande maison et une voiture berline noire.

Métadonnées

N° support :  0019FH0031
Date :  Entre 1950 et 1951
Coloration :  Noir et blanc
Son :  Muet
Durée :  00:02:11
Cinéastes :  Klein, Rodolphe
Format original :  8 mm
Genre :  Film amateur
Thématiques :  Conscrits
Institution d'origine :  MIRA

Contexte et analyse


La tradition des conscrits, encore bien vivante dans beaucoup de localités alsaciennes, remonte à l’instauration du service militaire obligatoire et universel, c’est-à-dire à la loi Jourdan du 5 septembre 1798. En dialecte alsacien on appelle les conscrits avec des termes d’origine française : Cunscrit, Gusgri etc. En Haute-Alsace, on parle souvent de Melissa, Malissen. Dans chaque paroisse, entre 1691 et 1760, on tirait au sort un certain nombre de miliciens, d’où le nom dialectal. La conscription devint réellement un évènement essentiel dans la vie des jeunes gens quand les armées révolutionnaires puis impériales recrutèrent de plus en plus de soldats qui parcoururent toute l’Europe. Tous les jeunes, âgés de 20 à 25 ans, devaient partir à l’armée. Chaque département devait fournir un contingent annuel proportionnel à sa population et réparti par cantons. Le tirage au sort désignait ceux qui devaient partir sous les drapeaux. Ce système, aboli entre 1815 et 1818 au profit d’une armée d’engagés volontaires comme sous l’Ancien Régime, dura jusqu’en 1870. Jusqu’à cette date exista la possibilité d’être remplacé. En effet, tout conscrit qui avait tiré un « mauvais numéro » (l’obligeant à partir à l’armée) pouvait trouver un remplaçant qui partirait à sa place moyennant une certaine somme d’argent.

La conscription pour les jeunes hommes était un signe de fierté et de patriotisme. Malgré les contraintes et la longueur du service (cinq ans en moyenne), peu de jeunes gens cherchaient à se faire exempter pour des raisons médicales. En effet, se voir refuser au conseil de révision (Muschterung) était un signe de déficience physique sérieuse, donc un signe d’anormalité. Un conscrit réformé avait ainsi peu d’espoir de trouver une épouse et de mener une vie d’adulte normale. Dans de nombreuses localités, il existe toute une hiérarchie dans la jeunesse masculine. À titre d’exemple à Drusenheim, le jeune homme deux ans avant la conscription commence par être Scherzler. L’année suivante, il devient Ecksteinler et enfin, l’année de ses dix-neuf ans, il est Cunscrit. La tenue varie selon cette hiérarchie et semble d’ailleurs être empruntée à celle des apprentis de l’Ancien Régime. Les Scherzler portent une chemise blanche ou de couleur, un pantalon blanc et un tablier (Scherz) sur lequel est brodé toute une série de motifs. On y trouve les initiales du jeune homme, la classe d’âge et divers décors floraux ou géométriques. Les Ecksteinler ont une tenue plus sobre : chemise de couleur et pantalons à petits carreaux. Enfin, les Cunscrit sont habillés de blanc (pantalon et chemise) et ils portent un chapeau orné de fleurs et de fruits, avec de longs rubans richement brodés. Ces tenues peuvent bien évidemment varier d’une localité à l’autre.

Cette coutume resta très vivante jusqu’au XXe siècle avec quelques changements. La forme du service militaire a changé et les conseils de révision ont disparu dans les années 1960, supprimant ainsi l’occasion de rassembler tous les conscrits au chef-lieu de canton.

L’année de la conscription était considérée comme le couronnement de l’adolescence. Pour préparer l’année de la conscription, les jeunes gens de la même classe d’âge se réunissaient dans une auberge pour élire une sorte de comité des festivités avec un président, un trésorier, un porte-drapeau et un tambour-major. Ils en profitaient également pour sortir et décorer le grand drapeau de la classe. Les conscrits se réunissaient régulièrement, presque toutes les semaines, pour répéter les cortèges dansés, le maniement du drapeau richement décoré et les airs joués par leur fanfare dirigée par le tambour-major.

La célébration de la fête:

Rodolphe Klein, maire de Marlenheim de 1945 à 1971, reçoit le groupe des conscrits à son domicile. Il a déjà tourné plusieurs films amateurs mais sur ce film, ce n’est pas lui qui tient la caméra. Comme il apparaît fréquemment sur le film en étant le personnage central, il a certainement dû prêter sa caméra à quelqu’un d’autre pour filmer l’évènement, il peut donc s’agir de sa femme, d’un ami ou bien d’un adjoint. En revanche, Rodolphe Klein s’occupait de prendre des photos, puisqu’il tient à plusieurs reprises dans ses mains un objet qui semble être un appareil photo. Après avoir écouté le discours du maire, la bande des conscrits s’élance dans la rue. Les conscrits dansent de plusieurs manières soit en exécutant collectivement des pas sautillants ou Hupfschritte. Ils se tiennent par les épaules et zigzaguent de droite à gauche à travers les rues. En tête du cortège, le porte-drapeau fait claquer son étendard et le tambour-major lance son lourd bâton, le tout sur fond de musique, scandé de cris violents ou de chansons souvent brutales. Ces chants et ces danses sont certainement l’écho lointain d’un temps où les jeunes garçons devenaient des guerriers prêts à défendre leur communauté. Ces danses de conscrits étaient aussi l’occasion pour les plus habiles de montrer leurs capacités physiques. Ils se livraient alors à des exercices acrobatiques destinés à montrer qu’ils étaient les meilleurs garçons de l’endroit. Néanmoins les rues semblent assez désertes sur ce film. Les danses des conscrits variaient selon les localités, de même que les airs joués durant la fête.

À cette occasion, les conscrits défilent dans le village revêtus de leurs plus beaux atours. Les conscrits portent un pantalon blanc, une chemise grise voire noire ainsi qu’un chapeau sombre. Les conscrits portaient des chapeaux souvent spectaculaires, attestés depuis les années 1820. Ces couvre-chefs ont plusieurs formes : tricornes, hauts-de-forme, bérets etc. Le chapeau lui-même, identique pour tous les conscrits, a peu d’importance au fond. Ce qui compte, c’est son décor parfois exubérant avec une base entourée d’une profusion de rubans où l’on retrouve les trois couleurs nationales, mêlées à d’autres teintes vives, le tout d’une grande longueur. Sur ce film, les conscrits portent un chapeau d’une forme simple, orné de longs rubans reflétant les couleurs du drapeau français. Quant aux membres qui composent la fanfare, ceux-ci portent un costume gris ou noir et certains d’entre eux portent des couvre-chefs (chapeau ou béret). En revanche, les garçons qui composent l’orchestre paraissent beaucoup plus âgés que les conscrits qui les précèdent. Ils ne sont peut-être pas des conscrits eux-mêmes. Le film ne nous dit pas si les conscrits vont à la fin allumer un feu et sauter par-dessus les braises trois fois de suite. Il s’agit là d’un très vieux rite d’initiation par le feu, qui transforme les jeunes gens en hommes à part entière.

La présence d’attributs rappelant la nation française est d’autant plus importante en Alsace à cette époque. Cette fête des conscrits à Marlenheim a été filmée en 1951 (date présente sur le drapeau visible à 01 min 41 s), soit six années après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les jeunes hommes présents sur ce film sont certainement nés dans les années 1930 et ont été éduqués par le système nazi, à l’époque où l’Alsace était encore sous la domination du Troisième Reich. Ainsi, cette fête des conscrits est également une fête patriotique au moment où l’Alsace vient tout juste de revenir dans le giron français.

La loi du 28 octobre 1997 a supprimé une institution vieille de deux siècles : le service militaire obligatoire. À partir de 2002, il n’y a plus officiellement d’appelés et donc de conscrits. On aurait pu imaginer la disparition pure et simple de cette coutume séculaire, et son cortège de fêtes et d’animations dans les villages de l’Alsace. Mais ce rituel traditionnel lié au passage à l’âge adulte se maintient dans certains villages. Il permet maintenant, dissocié de sa coloration patriotique, de resserrer les liens entre les jeunes d’une même classe d’âge au sein d’une communauté villageoise.

Personnages identifiés


Rodolphe Klein

Lieux ou monuments


Marlenheim

Bibliographie


CRÉPIN Annie, Histoire de la conscription, Paris, Gallimard, 2009, p. 120-126.

LEGIN Philippe, Toute l’Alsace : coutumes et costumes alsaciens, Ingersheim-Colmar, S.A.E.P, 1993, p. 33-40.

SARG Freddy, Traditions et coutumes d’Alsace, Strasbourg, Du Donon, 2013, p. 3-4.

TOURSCHER Alexandre, "Bons pour la fête : les rituels de la conscription en Alsace", dans Revue d’Alsace, n°141, Strasbourg, 2015, p. 363-377


Article rédigé par

Brendan Caniapin-Ellapa, 31 décembre 2020


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