Inauguration du monument aux morts à Strasbourg (0005FS0011—7) : Différence entre versions

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|personnages_identifies=Albert Lebrun; Général Henri Gouraud; Charles Frey; Henri Sellier; François de Tessan
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|thematique=First Wolrd War@ Heritage and tourism sites
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|Resume_fr=Inauguration du monument aux morts de la Première Guerre mondiale à Strasbourg, le 18 octobre 1936, en présence du président de la République Albert Lebrun
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|Description_fr=Arrivée en voiture décapotable du président de la République Albert Lebrun place Broglie, précédé de soldats à cheval, à bicyclette ; filmé depuis les rangs des spectateurs, une main s’agite devant l’objectif pour saluer le président. Panoramique droit pour suivre le véhicule présidentiel. Plan fixe sur la façade l’Hôtel de Ville : les responsables politiques montent sur le perron. Plan sur la place totalement occupée par les véhicules des invités à la cérémonie. Place de la République : le monument filmé de dos pendant qu’un homme peine à le dévoiler. Défilé militaire : plusieurs types d’unité, dont des tirailleurs algériens. Des automitrailleuses blindées et des side-cars passent à grande vitesse. Cavaliers et fanfare. Tirailleurs. Place Kleber, filmé derrière le matériel militaire, les généraux X et X s’avancent. Défilé des unités : infanterie de terre, infanterie marine, chasseurs alpins, fanfare. Deux automitrailleuses blindées sur la place Kleber. Plan rapproché du général Gouraud marchant au milieu de la foule des spectateurs.
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|Contexte_et_analyse_fr=Objet d’un contentieux géopolitique depuis 1870, l’Alsace a représenté le premier champ de bataille de la Première Guerre mondiale. Si une mince partie du territoire autour de Thann a été réoccupé par l’armée française à partir de 1914, il faut attendre la révolution du 9 novembre et l’armistice du 11 novembre pour que s’enclenche le retour de la « province perdue » à la France. L’investissement de la République, signalé par l’envoi à Strasbourg de brillants universitaires comme Marc Bloch ou, en 1936, l’historien de l’art Pierre Francastel, se double d’une francisation brusque qui favorise l’essor de l’autonomisme alsacien. Si le pacifisme gagne en audience en France, il n’en va pas de même sur l’autre berge du Rhin. Face au retour du militarisme en Allemagne, le ministre André Maginot imagine une double ligne de défense qui cuirasse le fleuve au début des années 1930. Las, trois ans après sa conquête du pouvoir, le chancelier Adolf Hitler lance par surprise la remilitarisation de la Rhénanie le week-end de Pâques 1936. Au même moment, la coalition de Front populaire scellée entre radicaux, socialistes et communistes emporte les élections, portée par le slogan « Pain, Paix, Liberté ».
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'''Un monument aux morts à contretemps ?'''
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[[Fichier:Le Monument aux morts de Strasbourg.jpg|vignette|©Archives départementales du Bas-Rhin]]
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Un premier monument pour le retour à la France a été érigé à Strasbourg en 1919. Cet obélisque en l’honneur des Poilus morts pour la France ne rappelait pas les souffrances des Alsaciens et négligeait surtout les soldats de l’armée allemande tombés au champ d’honneur.
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Quinze ans plus tard, l’industriel Henri Lévy (1871-1937), conseiller général vice-président du Consistoire israélite du Bas-Rhin, entreprend de faire édifier un autre monument et lance à cet effet une souscription populaire. Suite à un concours, c’est le sculpteur Léon-Ernest Drivier (1878-1951), élève d’Auguste Rodin dont il reprend certains traits de style, qui est choisi. Lui qui avait élaboré en 1920 le monument aux morts de Vattetot-sur-Mer (Seine-Maritime) dans un style classique livre avec cette immense Pietà une vision pacifiste du conflit. Le monument énonce juste  « À nos morts », sans mention d’une nation en particulier ni liste de noms, une singularité qui correspond à la situation particulière de l’Alsace. Au lieu d’un Fils, Dieu et Homme à la fois, la Marianne de la République soutient les corps agonisant de deux hommes sans uniforme symbolisant la France et l’Allemagne.
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Après Albert Lebrun, François de Tessan et Charles Frey, le discours de Lévy clôt la cérémonie en réaffirmant un idéal de pacifisme mis à mal par les événements récents : « Il semblait qu'une page manquât à l’histoire de Strasbourg, si étonnamment fidèle cependant à son passé. Et quelle page. La plus émouvante et la plus tragique. Pourtant nous savons bien que Strasbourg ne laissera jamais s’éteindre la flamme du souvenir et que nulle part peut-être, n’est restée aussi vivace dans les cœurs la mémoire de ceux qui sont tombés, car nous avons connu chez nous l’une des faces les plus douloureuses de la guerre. Celle qui oppose les uns aux autres, comme des ennemis, des frères séparés par l'annexion de 1871 et qui se retrouveraient pour se combattre. Le sculpteur Drivier a admirablement su exprimer - et nous l’en remercions chaleureusement -, le symbole que nous attachons à cette œuvre et que nous lui avons demandé de réaliser : toute cette tragédie est évoquée dans la douleur que reflète cette belle figure de femme non seulement symbole de la patrie, mais symbole aussi de l’humanité meurtrie... (…) Je voudrais que l’écho des sentiments qui nous animent soit porté plus loin par les flots du Rhin, et que ce monument soit une pierre à l'édifice de la paix, qu’il soit un appel à l'union des peuples, à une fraternité fondée sur la justice et le respect des droits en même temps qu’un acte de foi dans les destinées de notre pays. »<ref>"Discours de M. Henry Lévy Conseiller Général, Président du Comité du Monument aux Morts", ''Les Dernières nouvelles de Strasbourg'', n° 290, lundi 19 octobre 1936. </ref> N’ayant vraisemblablement pas pu se placer face au groupe sculpté, le cinéaste fraie un chemin à sa caméra par-dessus spectateurs et militaires, les cous tendus vers le monument en passe d’être révélé. Ce cadrage et la difficulté à faire tomber le drap blanc, accroc imprévu à la cérémonie et à la pompe officielle, saisit d’une certaine manière l’émotion qui étreint le public à ce moment précis.
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'''Une démonstration de force républicaine'''
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Quoique fruit d’une initiative locale, le monument donne l’occasion à la République de venir réaffirmer sa puissance dans l’Alsace reconquise et francisée. En effet, la conjoncture politique alsacienne a connu une récente amélioration. L’Hôtel de Ville filmé au début de la séquence par Robert-Charles Weiss a revu flotter le drapeau français en 1935, après la victoire du député de centre droit et journaliste Charles Frey (1888-1955) sur les autonomistes de Charles Hueber, un ancien communiste s’étant rapproché des nazis. Le président de la République Albert Lebrun (1871-1950) a donc choisi  de venir apporter l’onction de la nation à cette entreprise de réécriture mémorielle assez tardive. Lebrun est coutumier de ces visites officielles imposées par sa fonction, honorifique sous la Troisième République. La foule, plus dense que lors de la cérémonie du 11-Novembre 1932 (0052FN0014), suggère l’importance de l’événement sur le plan local ; tout comme les trois liste de souscripteurs publiés par les Dernières nouvelles de Strasbourg depuis avril, les gestes des spectateurs témoignent d’un certain enthousiasme.
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La Troisième République connaît une alternance politique signe de bonne santé démocratique, et une instabilité ministérielle qui en indique la faiblesse. Le président, homme de droite élu en 1932, est venu accompagné de deux ministres du Front populaire dont il signe malgré lui les réformes depuis six mois : Henri Sellier (Santé publique) et François de Tessan (sous-secrétaire chargé des affaires d’Alsace et de Lorraine, 1883-1944). Ancien combattant de 14-18, journaliste, radical et franc-maçon, ce dernier occupe des postes de sous-secrétaire d’État dans tous les gouvernements de 1932 à 1938. Ses publications de 1936, Le Drame espagnol et Voici Hitler, le rangent parmi les hérauts d’un pacifisme lucide.
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La plus large partie de la bobine utilisée par le cinéaste le 18 octobre 1936 concerne le défilé militaire. Ce dernier ravive en premier lieu le souvenir de 1914-1918 avec les poitrines médaillées des officiers, les drapeaux portant en lettres d’or les distinctions des unités au combat et, enfin, le général Henri Gouraud. Les plans où le héros mutilé de la Grande Guerre reconnaissable à sa manche vide, claudique au milieu d’une foule admirative, sonnent comme un rappel des sacrifices endurés. Cette grande parade ne peut aussi que réactiver la mémoire des défilés qui se sont multipliés en Alsace pendant l’immédiat après-guerre pour célébrer la Revanche. Enfin, la présence remarquée d’un armement moderne (qui fait en réalité cruellement défaut à l’armée française) inscrit cette démonstration armée dans son contexte immédiat : la teneur du message envoyé aux Alsaciens et aux Allemands ne fait aucun doute.
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|Contexte_et_analyse_de='''<big>Einweihung des Kriegerdenkmals in Straßburg</big>'''
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Das Elsass, das seit 1870 Gegenstand eines geopolitischen Streits ist, stellt das erste Schlachtfeld des Ersten Weltkriegs dar. Wurde um Thann ein kleiner Teil des Gebietes bereits ab 1914 wieder von der französischen Armee besetzt, so dauerte es bis zur Revolution vom 9. November und bis zum Waffenstillstand am 11. November, bis die „verlorene Provinz“ nach Frankreich zurückkehren konnte. Die Investition der Republik, die durch die Entsendung von brillanten Wissenschaftlern wie Marc Bloch nach Straßburg verkörpert wurde, war mit einer plötzlichen Franzisierung verbunden, die die Entwicklung der elsässischen Unabhängigkeitsbewegung förderte. Mag der Pazifismus in Frankreich zunehmend Anhänger gefunden haben, so galt das nicht jenseits des Rheins. Angesichts des wieder auflebenden Militarismus in Deutschland errichtete Minister André Maginot Anfang der 1930er Jahre eine doppelte Verteidigungslinie zur Befestigung des Flusses. Drei Jahre nach seiner Machtergreifung startete der deutsche Kanzler Adolf Hitler am Osterwochenende 1936 überraschend die Remilitarisierung des Rheinlandes. Gleichzeitig gewann die Koalition der Volksfront aus Radikalen, Sozialisten und Kommunisten unter der Wahlparole „Brot, Frieden, Freiheit“ die Wahlen in Frankreich.
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'''Ein zeitlich ungünstiges Kriegerdenkmal?'''
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1919 war in Straßburg ein erstes Denkmal für die Rückkehr nach Frankreich errichtet worden. Dieser Obelisk zu Ehren der für Frankreich gefallenen Soldaten erinnerte nicht an das Leid der elsässischen Zivilbevölkerung und vergaß vor allem die deutschen Gefallenen. Fünfzehn Jahre später beschloss der Industrielle Henri Lévy (1871-1937), Ratsmitglied und Vizepräsident des ''Consistoire israélite du Bas-Rhin'' die Errichtung eines weiteren Denkmals und rief zu diesem Zweck eine Spendenaktion ins Leben. Der Bildhauer Léon-Ernest Drivier (1878-1951), ein Schüler von Auguste Rodin, lieferte mit dieser riesigen Pietà eine pazifistische Vision des Konflikts. Auf dem Denkmal steht nur „Für unsere Toten“, ohne Erwähnung einer bestimmten Nation oder einer Liste von Namen. Diese Besonderheit entspricht der besonderen Situation des Elsass. Anstelle eines Sohnes hält Marianne, die Symbolfigur der französischen Republik, die hier Gott und Mensch zugleich ist, die sterbenden Körper von zwei Männern ohne Uniformen, die Frankreich und Deutschland symbolisieren.
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Die Rede von Lévy schließt die Zeremonie mit der Bekräftigung eines pazifistischen Ideals, das durch die jüngsten Ereignisse untergraben wurde: „Es schien, dass in der Geschichte Straßburgs, die ihrer Vergangenheit doch so überraschend treu geblieben ist, eine Seite fehlte. Und was für eine Seite. Die bewegendste und tragischste. (....) Ich möchte, dass das Echo unserer Gefühle von den Fluten des Rheins fortgetragen wird und dass dieses Denkmal zum Frieden beiträgt, dass es ein Aufruf zur Vereinigung der Völker, zu einer Bruderschaft ist, die auf Gerechtigkeit und Achtung der Rechte beruht, und gleichzeitig ein Akt des Glaubens an das Schicksal unseres Landes wird“. Da der Filmer sich wahrscheinlich nicht vor dem Werk des Bildhauers aufstellen konnte, bahnte er für seine Kamera einen Weg über die Zuschauer und die Soldaten, deren Hälse in Richtung des zu enthüllenden Denkmals gereckt sind. Diese Bildeinstellung und die Schwierigkeit, das weiße Tuch zu entfernen – was die offizielle Feierlichkeit plötzlich ins Stocken bringt –, erfasst auf gewisse Weise die Emotion, die das Publikum in diesem Moment ergreift.
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'''Eine Demonstration der republikanischen Stärke'''
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Obwohl das Denkmal das Ergebnis einer lokalen Initiative war, gab es der Republik die Möglichkeit, ihre Macht im zurückeroberten und französisierten Elsass zu bekräftigen. Tatsächlich hatte sich die politische Situation im Elsass in letzter Zeit verbessert. Am Rathaus, das zu Beginn der Sequenz von Robert-Charles Weiss gefilmt wurde, wehte 1935 wieder die französische Flagge, nach dem Sieg des Mitte-Rechts-Abgeordneten und Journalisten Charles Frey (1888-1955) über die Autonomisten von Charles Hueber, einem ehemaligen Kommunisten, der sich den Nazis angenähert hatte. Der französische Staatspräsident Albert Lebrun (1871-1950) entschied sich daher, dieser relativ spät erfolgten Umschreibung der Erinnerungskultur den Segen der Nation zu bringen. Er wurde von zwei Ministern der Volksfront begleitet: Henri Sellier (Volksgesundheit) und François de Tessan (Unterstaatssekretär für Elsass und Lothringen, 1883-1944), als Boten eines vernünftigen Pazifismus.
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Die Menge, die dichter ist als bei den Feierlichkeiten am 11. November 1932 (0052FN0014), lässt die Bedeutung der Veranstaltung erahnen; genau wie die drei Listen der Spender, die seit April von den ''Dernières nouvelles de Strasbourg'' veröffentlicht worden waren, zeigen die Gesten der Zuschauer eine gewisse Begeisterung. Der größte Teil der Filmrolle vom 18. Oktober 1936 zeigt die Militärparade. Diese lässt zunächst die Erinnerung an 1914-1918 aufleben, mit den medaillengeschmückten Brüsten der Offiziere, den Fahnen, auf denen in goldenen Buchstaben die Auszeichnungen der Einheiten prangen und mit General Henri Gouraud. Diese große Parade reaktiviert natürlich auch die Erinnerung an die zahlreichen Paraden im Elsass in der unmittelbaren Nachkriegszeit zur Feier der Revanche. Die Präsenz moderner Waffen (die der französischen Armee in Wirklichkeit fehlen) stellt diese bewaffnete Demonstration in ihren unmittelbaren Kontext: Es besteht kein Zweifel am Inhalt der Botschaft an die Elsässer und die Deutschen.
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|Bibliographie=Annette Becker, Stéphane Tison (dir.), ''Un siècle de sites funéraires de la Grande guerre'', Presses universitaires de Nanterre, 2018.
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Jean Daltroff, « Henry Lévy, industriel, conseiller général et vice-président du consistoire israélite du Bas-Rhin », ''Archives juives'', 2005/1, p. 149-151.
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Daniel J. Sherman, ''The Construction of Memory in Interwar France'', University of Chicago Press, 1999.
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Olivier Ihl, Jean-William Dereymez, Gérard Sabatier (dir.), ''Un cérémonial politique. Les voyages officiels des chefs d'État'', Paris, L'Harmattan, 1998.
 
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Version actuelle datée du 29 juin 2020 à 09:32


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Résumé


Inauguration du monument aux morts de la Première Guerre mondiale à Strasbourg, le 18 octobre 1936, en présence du président de la République Albert Lebrun

Description


Arrivée en voiture décapotable du président de la République Albert Lebrun place Broglie, précédé de soldats à cheval, à bicyclette ; filmé depuis les rangs des spectateurs, une main s’agite devant l’objectif pour saluer le président. Panoramique droit pour suivre le véhicule présidentiel. Plan fixe sur la façade l’Hôtel de Ville : les responsables politiques montent sur le perron. Plan sur la place totalement occupée par les véhicules des invités à la cérémonie. Place de la République : le monument filmé de dos pendant qu’un homme peine à le dévoiler. Défilé militaire : plusieurs types d’unité, dont des tirailleurs algériens. Des automitrailleuses blindées et des side-cars passent à grande vitesse. Cavaliers et fanfare. Tirailleurs. Place Kleber, filmé derrière le matériel militaire, les généraux X et X s’avancent. Défilé des unités : infanterie de terre, infanterie marine, chasseurs alpins, fanfare. Deux automitrailleuses blindées sur la place Kleber. Plan rapproché du général Gouraud marchant au milieu de la foule des spectateurs.

Métadonnées

N° support :  0005FS0011—7
Date :  18 octobre 1936
Coloration :  Noir et blanc
Son :  Muet
Durée :  00:03:23
Cinéastes :  Weiss, Robert C.
Format original :  8 mm
Genre :  Film amateur
Thématiques :  Première Guerre mondiale, Sites patrimoniaux et touristiques
Institution d'origine :  MIRA

Contexte et analyse


Objet d’un contentieux géopolitique depuis 1870, l’Alsace a représenté le premier champ de bataille de la Première Guerre mondiale. Si une mince partie du territoire autour de Thann a été réoccupé par l’armée française à partir de 1914, il faut attendre la révolution du 9 novembre et l’armistice du 11 novembre pour que s’enclenche le retour de la « province perdue » à la France. L’investissement de la République, signalé par l’envoi à Strasbourg de brillants universitaires comme Marc Bloch ou, en 1936, l’historien de l’art Pierre Francastel, se double d’une francisation brusque qui favorise l’essor de l’autonomisme alsacien. Si le pacifisme gagne en audience en France, il n’en va pas de même sur l’autre berge du Rhin. Face au retour du militarisme en Allemagne, le ministre André Maginot imagine une double ligne de défense qui cuirasse le fleuve au début des années 1930. Las, trois ans après sa conquête du pouvoir, le chancelier Adolf Hitler lance par surprise la remilitarisation de la Rhénanie le week-end de Pâques 1936. Au même moment, la coalition de Front populaire scellée entre radicaux, socialistes et communistes emporte les élections, portée par le slogan « Pain, Paix, Liberté ».

Un monument aux morts à contretemps ?

©Archives départementales du Bas-Rhin

Un premier monument pour le retour à la France a été érigé à Strasbourg en 1919. Cet obélisque en l’honneur des Poilus morts pour la France ne rappelait pas les souffrances des Alsaciens et négligeait surtout les soldats de l’armée allemande tombés au champ d’honneur. Quinze ans plus tard, l’industriel Henri Lévy (1871-1937), conseiller général vice-président du Consistoire israélite du Bas-Rhin, entreprend de faire édifier un autre monument et lance à cet effet une souscription populaire. Suite à un concours, c’est le sculpteur Léon-Ernest Drivier (1878-1951), élève d’Auguste Rodin dont il reprend certains traits de style, qui est choisi. Lui qui avait élaboré en 1920 le monument aux morts de Vattetot-sur-Mer (Seine-Maritime) dans un style classique livre avec cette immense Pietà une vision pacifiste du conflit. Le monument énonce juste « À nos morts », sans mention d’une nation en particulier ni liste de noms, une singularité qui correspond à la situation particulière de l’Alsace. Au lieu d’un Fils, Dieu et Homme à la fois, la Marianne de la République soutient les corps agonisant de deux hommes sans uniforme symbolisant la France et l’Allemagne. Après Albert Lebrun, François de Tessan et Charles Frey, le discours de Lévy clôt la cérémonie en réaffirmant un idéal de pacifisme mis à mal par les événements récents : « Il semblait qu'une page manquât à l’histoire de Strasbourg, si étonnamment fidèle cependant à son passé. Et quelle page. La plus émouvante et la plus tragique. Pourtant nous savons bien que Strasbourg ne laissera jamais s’éteindre la flamme du souvenir et que nulle part peut-être, n’est restée aussi vivace dans les cœurs la mémoire de ceux qui sont tombés, car nous avons connu chez nous l’une des faces les plus douloureuses de la guerre. Celle qui oppose les uns aux autres, comme des ennemis, des frères séparés par l'annexion de 1871 et qui se retrouveraient pour se combattre. Le sculpteur Drivier a admirablement su exprimer - et nous l’en remercions chaleureusement -, le symbole que nous attachons à cette œuvre et que nous lui avons demandé de réaliser : toute cette tragédie est évoquée dans la douleur que reflète cette belle figure de femme non seulement symbole de la patrie, mais symbole aussi de l’humanité meurtrie... (…) Je voudrais que l’écho des sentiments qui nous animent soit porté plus loin par les flots du Rhin, et que ce monument soit une pierre à l'édifice de la paix, qu’il soit un appel à l'union des peuples, à une fraternité fondée sur la justice et le respect des droits en même temps qu’un acte de foi dans les destinées de notre pays. »[2] N’ayant vraisemblablement pas pu se placer face au groupe sculpté, le cinéaste fraie un chemin à sa caméra par-dessus spectateurs et militaires, les cous tendus vers le monument en passe d’être révélé. Ce cadrage et la difficulté à faire tomber le drap blanc, accroc imprévu à la cérémonie et à la pompe officielle, saisit d’une certaine manière l’émotion qui étreint le public à ce moment précis.

Une démonstration de force républicaine

Quoique fruit d’une initiative locale, le monument donne l’occasion à la République de venir réaffirmer sa puissance dans l’Alsace reconquise et francisée. En effet, la conjoncture politique alsacienne a connu une récente amélioration. L’Hôtel de Ville filmé au début de la séquence par Robert-Charles Weiss a revu flotter le drapeau français en 1935, après la victoire du député de centre droit et journaliste Charles Frey (1888-1955) sur les autonomistes de Charles Hueber, un ancien communiste s’étant rapproché des nazis. Le président de la République Albert Lebrun (1871-1950) a donc choisi de venir apporter l’onction de la nation à cette entreprise de réécriture mémorielle assez tardive. Lebrun est coutumier de ces visites officielles imposées par sa fonction, honorifique sous la Troisième République. La foule, plus dense que lors de la cérémonie du 11-Novembre 1932 (0052FN0014), suggère l’importance de l’événement sur le plan local ; tout comme les trois liste de souscripteurs publiés par les Dernières nouvelles de Strasbourg depuis avril, les gestes des spectateurs témoignent d’un certain enthousiasme. La Troisième République connaît une alternance politique signe de bonne santé démocratique, et une instabilité ministérielle qui en indique la faiblesse. Le président, homme de droite élu en 1932, est venu accompagné de deux ministres du Front populaire dont il signe malgré lui les réformes depuis six mois : Henri Sellier (Santé publique) et François de Tessan (sous-secrétaire chargé des affaires d’Alsace et de Lorraine, 1883-1944). Ancien combattant de 14-18, journaliste, radical et franc-maçon, ce dernier occupe des postes de sous-secrétaire d’État dans tous les gouvernements de 1932 à 1938. Ses publications de 1936, Le Drame espagnol et Voici Hitler, le rangent parmi les hérauts d’un pacifisme lucide.

La plus large partie de la bobine utilisée par le cinéaste le 18 octobre 1936 concerne le défilé militaire. Ce dernier ravive en premier lieu le souvenir de 1914-1918 avec les poitrines médaillées des officiers, les drapeaux portant en lettres d’or les distinctions des unités au combat et, enfin, le général Henri Gouraud. Les plans où le héros mutilé de la Grande Guerre reconnaissable à sa manche vide, claudique au milieu d’une foule admirative, sonnent comme un rappel des sacrifices endurés. Cette grande parade ne peut aussi que réactiver la mémoire des défilés qui se sont multipliés en Alsace pendant l’immédiat après-guerre pour célébrer la Revanche. Enfin, la présence remarquée d’un armement moderne (qui fait en réalité cruellement défaut à l’armée française) inscrit cette démonstration armée dans son contexte immédiat : la teneur du message envoyé aux Alsaciens et aux Allemands ne fait aucun doute.

Personnages identifiés


Albert Lebrun; Général Henri Gouraud; Charles Frey; Henri Sellier; François de Tessan

Lieux ou monuments


Monument aux morts

Bibliographie


Annette Becker, Stéphane Tison (dir.), Un siècle de sites funéraires de la Grande guerre, Presses universitaires de Nanterre, 2018.

Jean Daltroff, « Henry Lévy, industriel, conseiller général et vice-président du consistoire israélite du Bas-Rhin », Archives juives, 2005/1, p. 149-151.

Daniel J. Sherman, The Construction of Memory in Interwar France, University of Chicago Press, 1999.

Olivier Ihl, Jean-William Dereymez, Gérard Sabatier (dir.), Un cérémonial politique. Les voyages officiels des chefs d'État, Paris, L'Harmattan, 1998.


Article rédigé par

ALEXANDRE SUMPF, 14 novembre 2018


  1. En tant que partie d'une production amateur, cette séquence n'a pas reçu de titre de son réalisateur. Le titre affiché sur cette fiche a été librement forgé par son auteur dans le but de refléter au mieux son contenu.
  2. "Discours de M. Henry Lévy Conseiller Général, Président du Comité du Monument aux Morts", Les Dernières nouvelles de Strasbourg, n° 290, lundi 19 octobre 1936.