Jeux esplanadiens (0003FH0008)


Avertissement[1]

Résumé


Le film, muet et en couleur, montre une sélection de scènes issues de deux événements ayant marqué la vie du quartier strasbourgeois de l’Esplanade en 1967 : la seconde édition des Jeux Esplanadiens organisés par l’ARES le 28 mai 1967 (minutes 00:01 - 06:58), et l’inauguration officielle du pont Winston-Churchill le 2 juillet 1967 (minutes 06:59 - 07:49).

Métadonnées

N° support :  0003FH0008
Date :  Entre 1966 et 1968
Coloration :  Couleur
Son :  Muet
Durée :  00:07:49
Cinéastes :  Albert, Jean
Format original :  8 mm
Genre :  Documentaire
Thématiques :  Mouvement de jeunesse - Education Scoutisme

Contexte et analyse


Le cinéaste amateur est Jean Albert (1935-2015). Né à Caen, il réalise son service militaire d’abord en Algérie puis à Kehl. Marié en 1959 à une Strasbourgeoise avec laquelle il aura trois enfants, il part vivre en Algérie où il travaille auprès d’Air Algérie. En 1962, après l’indépendance algérienne, Albert revient vivre à Strasbourg, s’installant à l’Esplanade et commençant à travailler en tant que moniteur d’auto-école. En janvier 1966, il ouvre d’ailleurs une auto-école à son nom, place de Zurich. Adhérent à l’ARES, le bulletin de l’association fait d’ailleurs la promotion de l’auto-école de cet « Esplanadien dynamique », qui figure parmi les sponsors des Jeux Esplanadiens tant en 1966 qu’en 1967. Albert y assiste et filme ainsi à plusieurs titres : en tant que partenaire, résident, membre de l’ARES et parent d’élèves.


De l’Opération Esplanade à l’ARES : la prise en compte collective des enjeux d’un quartier en pleine mutation

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le point de franchissement du bassin Dusuzeau de Strasbourg conçoit un projet d’aménagement urbanistique visant à mieux relier la zone portuaire au quartier de l’Esplanade, encore occupé par un terrain militaire de 73 hectares. Au terme de négociations débutées en décembre 1954 entre le ministère de la Défense nationale et les autorités civiles strasbourgeoises, un protocole signé le 4 novembre 1957 assure le transfert de l’ancien terrain militaire en partie au ministère de l’Education nationale et en partie à la ville de Strasbourg. C’est la naissance de l’Opération Esplanade, allant révolutionner l’aspect du quartier. Du simple aménagement infrastructurel, le projet s’élargit à la création d’un vaste complexe résidentiel et universitaire et à l’installation d’« équipements indispensables au bien-être des habitants et à l’animation du nouveau quartier » (pont Churchill, centre commercial, bureaux pour les entreprises et les services, complexe scolaire, lieux de culte, équipements socio-culturels et sportifs, aménagement du parc de la Citadelle, etc). Confiés à la Société d’aménagement et d’équipement de la région de Strasbourg (SERS), les travaux débutent en juin 1960 suite au vote favorable du Conseil municipal de Strasbourg.

L’impact social de l’Opération Esplanade provoque une volonté de prise de parole et d’engagement des résidants du quartier. Alors que la Ville projette d’édifier une « Maison centrale des jeunes et de la culture » (réseau MJC) au Rond-Point de l’Esplanade, émerge l’idée de constituer une association de promotion du quartier censée œuvrer en lien avec ce futur centre socio-éducatif. Le 4 décembre 1964, à la salle des sports de la Cité Universitaire Paul Appell (rue de Palerme), se tient l’assemblée générale constitutive de l’Association des Résidents de l’Esplanade à Strasbourg (ARES), dont Jean-Marie Lorentz va assurer la présidence jusqu’en 1995. L’objectif premier est précisément de répondre aux enjeux de l’Opération Esplanade : l’association revendique la nécessité d’une intervention citoyenne « parce que les instances qui concourent à la réalisation de l’Esplanade ne peuvent avoir tout prévu et qu’il revient aux usagers de proposer les compléments ou les correctifs dont la nécessité apparaît à l’expérience ». Elle place au centre de ses réflexions la notion de « responsabilité globale » pour l’avenir du quartier, faisant valoir que « les Esplanadiens ont un intérêt matériel et moral à se saisir de tous les problèmes relatifs à leur quartier pour y apporter des solutions par eux-mêmes ou via les instances compétentes ». Se proposant de sortir de la culture du « chacun pour soi », l’ARES développe une conception de l’Esplanade comme d’un « Grand Ensemble » dont tous les éléments constitutifs sont inextricablement liés et où les actions des uns ont inévitablement un impact sur les autres. Dès lors, elle se préoccupe de promouvoir l’émergence d’une identité propre de « citoyenneté esplanadienne », prétendant fédérer et « incarner cette collectivité humaine » à travers « un effort permanent d’information, d’animation et de représentation ». Concevant le « pouvoir de quartier » comme étant « le seul domaine resté à la mesure des initiatives du simple citoyen », l’ARES esquisse un rapport aux pouvoirs publics selon deux axes. Primo, un principe de subsidiarité : « il revient d’abord aux Esplanadiens de se saisir des problèmes les concernant quitte à déléguer ce qu’ils ne peuvent résoudre par eux-mêmes ». Secundo, un principe de do ut des : « l’ARES est amenée à solliciter les pouvoirs publics en faveur d’équipements destinés à ce Grande Ensemble [et] s’applique en retour à leur apporter son concours notamment en tirant parti de sa connaissance du quartier ». L’ARES conçoit ainsi son rôle comme celui d’un « contre-pouvoir sans esprit partisan », une démocratie de proximité ante litteram, afin d’assurer le « pilotage » de l’Esplanade de manière autogestionnaire et développer une solidarité de quartier, peu importe la classe sociale, le sexe, l’âge ou l’origine. L’intérêt premier pour les questions d’habitat, d’aménagement et de cadre de vie se voit rapidement complété d’une attention accordée à la promotion culturelle et sportive, à la valorisation du patrimoine et à l’action sociale, conduisant l’ARES a faire preuve d’une adhésion précoce à des valeurs plus proprement politiques : le progrès et le dialogue social, la tolérance interreligieuse, le multiculturalisme, la lutte pour la préservation de l’environnement (contre la pollution et les nuisances sonores, en faveur de la promotion d’espaces piétons, de mesures d’apaisement de la circulation et de protection des espaces verts).

Les débuts de l’ARES sont évoqués par leurs fondateurs avec des traits presque mythiques. C’est en effet « sans moyens et sans modèles, avec les difficultés d’un quartier comme aiguillon et l’enthousiasme de ses fondateurs pour tout viatique, [que] l’ARES s’est mise en marche ». Au cours de sa première décennie d’existence – qu’elle-même qualifie de « phase officieuse » –, l’association peut compter uniquement sur les contributions de ses adhérents (la cotisation individuelle est fixée à 3 francs par an) et fonctionne exclusivement sur la base du bénévolat. Ses activités, « faute de locaux suffisants, se déroulent en extérieur, tels les Jeux Esplanadiens, ou bénéficient de l'accueil d'autres structures, comme des activités culturelles en bâtiments universitaires ». Néanmoins, les adhésions progressent et l’ARES peaufine sa structure. Elle se dote de sept sections spécialisées (questions sociales, d’habitat, de cadre de vie, culturelles, commerciales, scolaires et sportives) et d’un Comité de direction de 30 membres représentatif des six secteurs du quartier de l’Esplanade (dits grec, turc, belge, italien suédois et suisse). Elle débute également l’édition d’un bulletin mensuel le 20 novembre 1965 : ARES-FLASH, adoptant pour slogan « Rendez-vous service - Rendez service à tous ». Ce n’est qu’en 1966-1967 que démarrent réellement les activités des sections spécialisées, les campagnes revendicatives aussi bien que les concertations avec les pouvoirs municipaux.


Les Jeux Esplanadiens : entre loisirs, éducation populaire et promotion du quartier

Une 1e édition des Jeux Esplanadiens est organisée le 19 juin 1966 en coïncidence de la Fête des pères dans le cadre d’un « Week-end de l’Esplanadie », où se tiennent également un don de sang, une soirée dansante, un rallye automobile et un pique-nique familial. Cette expérience permet à l’ARES de réfléchir sur l’importance des loisirs collectifs comme étant des occasions de rompre avec deux tendances socialement néfastes : le repli sur soi et l’acceptation acritique de la routine. A ses vues, la philosophie de fond des Jeux est de « bannir pour deux jours tout souci dans vos esprits, permettre aux grands et petits de s’amuser en famille, bref une occasion bon enfant de participer et de se rencontrer ». Forte du succès rencontré par la 1e édition de cette initiative en plein air et de « registre gai », l’ARES décide de la reconduire l’année suivante « pour la joie des enfants, le sourire de la maman et la fierté du papa ! ». Les Jeux Esplanadiens deviennent une initiative à part entière et la 2e édition est fixée au dimanche 28 mai 1967 sur le parking de la Faculté de Droit, en coïncidence avec la Fête des mères, tandis que le rallye automobile pour adultes est maintenu au mois de juin. Préparé tout au long du mois d’avril, le programme définitif des Jeux est acté à la mi-mai et publié dans ARES-FLASH (tiré à cette période à 3.500 exemplaires). Il est surtout le fruit du travail conjoint des sections « Culture et Loisirs » (ARESCEL), « Sport » (ARESPORT) et « Parents d’élèves » (ARESPEL), chapeautées par la section « Famille et Jeunesse » (ARESFEJ). Outre de nombreux partenaires privés, les Jeux jouissent également du haut patronage des pouvoirs publics : les Préfets de la région Alsace et du département du Bas-Rhin, le Maire de Strasbourg, le Doyen de la Faculté de Droit, le Commissaire de Police du quartier, le Directeur du Service de la Prévention rurale, le Directeur général d’Electricité Strasbourg, etc.

Les Jeux sont « ouverts à tous les Esplanadiens », mais les épreuves sont destinées exclusivement aux jeunes de 9 à 14 ans. Toutes les inscriptions sont gratuites, mais il est demandé de contribuer aux frais d’assurance contre les accidents, s’élevant à 1 franc pour le premier enfant et 0,50 francs pour les autres enfants d’une même famille. Une tendue de sport est demandée, si possible. Le reste des frais d’organisation est pris en charge par l’ARES grâce aux cotisations des adhérents et aux dons des partenaires. Même si en 1966-1967 l’association peut compter sur quelques 1.500 adhérents, pour l’organisation logistique des Jeux elle appelle à « un concours de bonnes volontés » les membres et sympathisants, priés de se manifester en temps utile auprès de MM. Arnaud (président ARESFEJ) et Lemonnier (Commissaire Général des Jeux pour la deuxième année consécutive). Il est question notamment de demander à 30 adultes de se porter volontaires pour constituer le jury des Jeux, devant procéder aux inscriptions et à l’annotation des résultats individuels.

Trois jeux-épreuves sont organisés. Primo, de 9h à 9h45, un « circuit automobile de prévention rurale » sous le signe de « jeux à caractère éducatif ». Secundo, de 9h45 à 10h45, une « course au trésor » censée donner un « prime à l’initiative individuelle ». Tertio, de 10h45 à 11h30, une « initiation à la pêche » afin de développer l’« esprit de compétition ». Comme l’année précédente, l’ARES prévoit de faire commenter les épreuves au microphone, s’inventant à cet effet une Radio-Ares-Flash (RAF). Il convient de remarquer aussi que l’ensemble des jeux proposés sont effectué en mixité garçons/filles, alors même que les écoles du quartier fonctionnent encore en non-mixité. Toutefois, la philosophie subjacente à chacune des épreuves est différente. La deuxième recouvre essentiellement une finalité de loisir, s’inspirant explicitement d’Intervilles, la célèbre émission télévisée lancée en juillet 1962 par Guy Lux et Claude Savarit sur la RTF. Par contre, la première et la troisième abordent une dimension complémentaire qui tient à cœur à l’ARES depuis ses origines : l’éducation populaire. Pour le premier jeu, l’idée-phare est d’initier les jeunes à la connaissance du Code de la route et des gestes de prévention routière, afin d’en faire des conducteurs avertis et respectueux. Ce qui finalement se conforme avec les campagnes revendicatives déjà entamées par l’ARES à propos de l’apaisement de la circulation dans le quartier. Pour ce faire, le circuit automobile des Jeux, bien que réduit en taille et rudimentaire, est néanmoins très soigné par l’installation de plusieurs exemples de panneaux routiers et de feux de circulation. Pour rendre d’autant plus crédible la mise en situation, des gendarmes sont présents aux abords du circuit et assistent attentivement aux capacités des jeunes conducteurs à bord de leurs petites voitures colorées. En amont de l’épreuve sont distribuées aux jeunes concurrents des brochures explicatives de quelques règles du Code la route ainsi que des quizz à remplir pour tester les connaissances acquises. C’est d’ailleurs Jean Albert lui-même qui est désigné par l’ARES pour assurer « les fonctions de conseiller technique », tandis qu’une fourgonnette de la Prévention rurale est installé aux abords du circuit pour symboliser son patronage de cette épreuve. Pour le troisième jeu, le principe est d’initier la jeunesse urbaine à une activité ludico-sportive qu’elle pratique généralement peu. La pêche de truites est réalisée dans une piscine gonflable et les adultes montrent aux jeunes les rudiments de la pratique : comment bien tenir une canne, manier les filets et réussir un nœud pour hameçon. L’épreuve se fait sous le contrôle et le patronage de M. Preiser, propriétaire d’un magasin d’articles de pêche à Strasbourg (quai de Paris).

Des mesures sont prises pour distribuer de nombreux prix aux jeunes concurrents ainsi que des lots de consolation, afin de ne pas tomber dans la promotion d’un esprit de compétition exacerbé. Dans le film, nous assistons à une annonce des résultats des épreuves : tout le monde est groupé et à l’écoute, et l’annonce recouvre une certaine solennité malgré le va-et-vient plutôt chaotique de jeunes autour du microphone. Les prix sont nombreux et variés : nous apercevons des véritables trophées, des ballons de volley-ball (l’ARES dispose d’un club de volley-ball au moment des Jeux), des boîtes de chaussures de sport Adidas, des jeux de société, des cahiers à colorier, des livres illustrés pour enfants. D’après ARES-FLASH, il y aurait eu aussi des voitures miniatures, des articles de pêche, des visites du port en bateau, des baptêmes de l’air, des porte-clefs, des Codes de la route.

Après la fin des jeux, plusieurs familles restent sur place pour pique-niquer, et les enfants en profitent pour improviser d’autres loisirs. Par exemple, le film nous montre des jeunes portant des moustaches maquillées sur leurs visages. ARES-FLASH de juin 1967, outre reproduire la grille de classement des épreuves, informe d’une « aubade donnée dans l’ensemble du quartier par le Groupe Folklorique de Schiltigheim ». Comme l’année précédente, un concours est lancé « pour le meilleur reportage filmé des jeux », récompensé par l’entreprise Photo-Ciné-Son Meyer & Manner. L’assemblée générale de l’ARES de novembre 1967 juge les films et proclame deux gagnants ex aequo : Jean Albert et M. Haas.

L’organisation d’une kermesse d’une telle ampleur répond à l’un des constats émis par l’ARES depuis sa fondation, c’est-à-dire « qu’un nombre croissant d’adultes et de jeunes souhaite des occasions de rencontre, d’enrichissement et d’initiative hors du secteur compartimenté ou uniforme de leur activité quotidienne ». Mais si les Jeux s’adressent particulièrement à la jeunesse, cela relève d’une fine connaissance de la réalité démographique du quartier dont fait preuve l’ARES. Les enquêtes de terrain et les études techniques et comparatives qu’elle mène au cours des années 1960 relèvent « que ce quartier neuf est bien un quartier jeune », mais que le tissu relationnel « demeure fragile en face du phénomène profond de la ségrégation sociale ». C’est donc pour répondre à cette problématique que l’ARES se propose d’intervenir pour multiplier les lieux, les occasions et les infrastructures de rencontre et de loisir. Qui plus est, l’ARES entend préserver l’image de « paradis pour les enfants » qui émerge d’après les souvenirs des plus anciens résidents du quartier. L’organisation des Jeux Esplanadiens vise ainsi à réaffirmer un engagement pour la préservation d’un quartier « à taille humaine » et adapté aux exigences spécifiques de la jeunesse. L’intérêt de l’ARES pour la jeunesse est d’autant plus fort en ce qui concerne celle scolarisée aux écoles primaires Jean Sturm (rue d’Upsal) et Louvois (quai des Alpes), où sont repartis environ 1.100 enfants en 1966-1967. La prise en compte des besoins diversifiés des enfants scolarisés est perceptible dans la conception même du programme des Jeux Esplanadiens, se voulant un moment fort d’éducation populaire, de convivialité et de prise de contacts entre enfants, parents et enseignants de différents établissements scolaires.

Le choix du lieu des Jeux n’est pas anodin, la proximité avec l’Université n’étant pas accidentelle mais fortement recherchée. Les premières reprises du cinéaste insistent d’ailleurs expressément sur les bâtiments flambants neufs des Facultés de Droit et de Chimie. Tous deux ayant été réalisés dans le cadre de l’Opération Esplanade, au moment des Jeux ils constituent encore une nouveauté esthétique disruptive dans la silhouette du quartier et sont accueillis par l’ARES comme « une réussite architecturale d’ensemble ». La Faculté de Droit, dont la forme doit rappeler celle d’une balance de justice, est projetée par l’architecte Charles-Gustave Stoskopf et achevée en 1962. La Faculté de Chimie, avec sa Tour de 73,6 mètres et 17 étages, est édifiée entre 1960 et 1963 par les architectes Roger Hummel, Abraham Weinstein et Maurice Bourstin. L’occupation de cette frontière emblématique entre zone universitaire et zone résidentielle s’inscrit précisément dans les réflexions de l’ARES sur la nécessité d’une courroie de transmission pour valoriser « la double vocation résidentielle et universitaire de ce nouveau quartier ». En particulier, elle souligne que « les résidents de l’Esplanade bénéficient pleinement de cette enrichissante présence, et s’efforcent en retour notamment par l’intermédiaire de leur association, l’ARES, de contribuer au dialogue à l’occasion de manifestations communes ». Un bémol est néanmoins relevé, l’ARES déplorant que « l’animation que [l’Université] introduit ne touche que la frange Ouest du quartier et disparaît pendant 4 mois de l’année ». Dès lors, on s’explique mieux pourquoi l’association ne se prive pas de revitaliser les abords du campus pendant ces mois creux estivaux par des occasions de solidarité et convivialité. Mais au-delà du choix des abords de la zone universitaire, c’est également celui d’un parking qui est symbolique. En effet, l’ARES manifeste une certaine adversité face aux nuisances dues à la forte intensité de trafic routier qui caractérise l’Esplanade, neutralisant les espaces verts et éloignant les promeneurs. Toutefois, ses réflexions sur les « espaces libres » du quartier incluent les parkings au même titre que les aires de jeu, les espaces verts d’immeubles, les surfaces sablées, les parcs publics et les jardins ouvriers. Tous ces endroits sont conçus comme ayant un énorme potentiel, un rôle positif en ce qu’ils constituent des espaces aérés où l’activité et la créativité des résidents peut se déployer, où l’on peut se rencontrer et s’amuser. Dès lors, le choix de tenir les Jeux non pas dans un espace vert mais sur du béton parking ne s’explique pas seulement par les exigences évidentes du circuit automobile, mais aussi par la volonté de l’ARES de montrer que l’appropriation collective de toute sorte d’« espace libre » est possible. C’est d’ailleurs un bénévole qui trace au sol les lignes pour le circuit, pliant l’espace urbain aux exigences de loisir promues par l’association.

Une autre dimension qui émerge du film est l’omniprésence de partenaires privés et de leurs gadgets. Les Dernières Nouvelles d’Alsace sont installées aux abords du parking avec leur fourgonnette où sont stockées des bouteilles d’Orangina distribuées aux assistants. Un fourgon de la Croix Rouge française est aussi présent : son personnel se prête au moment festif aussi bien qu’aux questions des résidents, confirmant l’attachement de l’ARES aux pratiques de secourisme. D’autres voitures portent des panneaux publicitaires de Citroën et de l’auto-école du cinéaste, Jean Albert. Des petits drapeaux et des chapeaux en papier distribués aux enfants reproduisent les logos d’Orangina, de la Quinzaine commerciale du Bas-Rhin, des brasseries Mönchenbräu, Kronenbourg et Fischer. D’autres sponsors réalisent des dons en espèces à l’ARES ou mettent à disposition les prix : Super-Coop-Rond-Point, Chocolaterie Schaal, Magasin Wery, Esso Standard, Air-Inter. Cette recherche de partenariats avec des entreprises qui, pour la plupart, exercent le gros de leur activité en dehors de l’Esplanade s’explique en fonction de deux objectifs que l’ARES s’est fixée : assurer le bon déroulement des Jeux sans plonger dans un déficit budgétaire ; promouvoir l’attractivité économique de l’Esplanade, pour qu’elle catalyse davantage d’investissements privés et soit choisie pour des installations artisanales, industrielles, commerciales ou tertiaires. Ce deuxième objectif est construit lui aussi en fonction des études et enquêtes menées par l’ARES, démontrant que la réputation de quartier riche dont jouit l’Esplanade n’est que partiellement vraie. L’association déplore « la représentation modeste des professions libérales, […] l’effacement des patrons de l’industrie et du commerce [et que] la restauration ne joue qu’un rôle sociologique modeste comme équipement de loisirs à l’Esplanade ». Pour contrer cette tendance, l’ARES se saisit fortement du développement économique de l’Esplanade, conçu comme devant recouvrir un rôle unificateur, offrir des possibilités de rencontre entre les diverses entités et fléchir la tendance à la ségrégation sociale, pour enfin parvenir à une richesse effective. Comme le rappelle Lorentz en 1995 : « L’Esplanade décrétée socialement favorisée n’avait officiellement pas besoin de rien. Ce sont les Esplanadiens qui contre vents et marées ont lancé le mouvement puis convaincu les autorités ».

Le succès de cette 2e édition des Jeux Esplanadiens est perceptible par le film et revendiqué fièrement par l’ARES, saluant « la haute tenue des Jeux due au comportement méritoire de tous les enfants, […] les choix judicieux des épreuves sélectionnées […], l’ambiance jeune et dynamique, la gaieté générale, l’importance des prix ». Les familles du quartier n’ont pas manqué à l’appel et la jeunesse est venue nombreuse. Conçue prioritairement comme un moment récréatif et convivial, le sérieux est néanmoins au rendez-vous : un jury et un bureau d’inscriptions sont installés, un arbitre muni de sifflet donne le rythme des épreuves, les membres de l’ARES en charge de l’événement portent costumes et tailleurs, le public est plutôt bien habillé, certains enfants portent des tenues d’école, etc. L’initiative sera répétée pendant de nombreuses années, mais à un autre endroit, au parking du parc de la Citadelle. Elle a été remise au goût du jour exceptionnellement le 17 mai 2014 à l’occasion des fêtes pour le 50e anniversaire de l’ARES.


L’inauguration du pont Winston-Churchill : l’enjeu de la reconnaissance officielle par les pouvoirs publics

Alors même que ses sections démultiplient et diversifient les activités, l’ARES maintient le cap sur un objectif de premier plan : obtenir une reconnaissance formelle de son rôle socio-éducatif et, par-là, devenir un interlocuteur crédible et incontournable pour les pouvoirs publics. Le 15 mai 1966 ses délégués tiennent avec la Mairie une première séance de travail décrite comme « intimidante et passagèrement orageuse », mais qui permet de faire un tour d’horizon complet des problèmes de l’Esplanade. Par la suite, c’est autour de l’inauguration du parc de la Citadelle réaménagé et du pont Winston-Churchill que se catalysent les efforts de visibilité de l’ARES. Des cérémonies solennelles se tiennent en effet le 2 juillet 1967 en présence de plusieurs figures de proue de la politique nationale et locale, notamment le secrétaire d'Etat à l'Intérieur André Bord, le Maire de Strasbourg Pierre Pflimlin, et le Préfet de la région Alsace Maurice Cuttoli.

Nous apercevons dans le film une brève séquence de la cérémonie d’inauguration du pont Churchill. Ce viaduc routier en béton précontraint de 600 mètres de longueur et 10 mètres de hauteur, réalisé depuis 1964 sur les plans de l’Ingénieur en chef de la Ville de Strasbourg Edmond Maennel, fendant en deux l’Esplanade et la relie au Neudorf. Du fait de son aspect monumental, de son esthétique sinueuse, des exploits techniques et des innovations introduites dans l’application du système Freyssinet au cours des travaux, ce pont devient « un symbole local du tout-voiture » jusqu’à sa démolition en 2006 à cause des travaux d’extension du tramway. Le film montre la dernière phase d’un défilé de fanfare et majorettes, précédées d’un drapeau français et d’un drapeau du soleil levant – il semble invraisemblable qu’il s’agisse du Kyokujitsuki japonais, il s’agit plus probablement du drapeau de l’ancienne République de Mulhouse –. Le défilé est clos par des hommes et des femmes portant des costumes traditionnels alsaciens. Au niveau du Rond-Point de l’Esplanade (aujourd’hui Place de l’Esplanade), de nombreuses personnes assistent à l’arrivée du défilé.

Les membres de l’ARES participent à cette cérémonie et profitent que les yeux soient rivés sur leur quartier pour s’adresser aux autorités publiques présentes. Le moyen choisi est la publication d’une brochure, Vivre à l’Esplanade, où l’association fait preuve de sa connaissance fine du quartier, de ses atouts et problèmes ainsi que des enjeux à venir. Éditée en juin 1967, une copie est remise solennellement à Pflimlin au cours des célébrations. Cette démarche se révèle heureuse, puisque le 17 octobre 1967 une lettre de Pflimlin à Lorentz assure « que l’ARES sera consultée avant toute décision importante concernant l’Esplanade ».

Malgré l’abandon par la Ville du projet de Maison centrale des MJC à l’Esplanade, l’association parvient néanmoins à trouver un siège social tout en conservant son centre de gravité en secteur HLM : elle s’installe d’abord à La Taupinière (rue de Nicosie) en mai 1968, puis, profitant d’un accord passé entre la Ville de Strasbourg et le ministère de la Jeunesse et des Sports, bâtit elle-même deux « Mille-Club » baptisés 1001 et 1002 (rue d’Ankara), entre février et octobre 1971. En parallèle, des actions citoyennes plus revendicatives continuent d’être organisées par l’ARES pour la « défense spatiale », sociale et esthétique du quartier, pour « la mise en pratique de notre auto-gestion du cadre vie » : à propos de pollution et nuisances sonores, manutention et prix des chauffages collectifs, transports scolaires, prix alimentaires, accès aux structures sportives, installation d’un bureau de poste, contrôle de l’aménagement urbanistique, préservation des espaces verts, etc.

La phase officieuse de l’ARES prend fin lorsqu’elle est agréée « Centre socio-culturel » par la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF), le 1er janvier 1975 : ceci lui assure l’attribution de subventions publiques de fonctionnement et la possibilité d’engager des salariés pour épauler les bénévoles, ce qui lui vaut davantage de visibilité et d’efficacité. En 1995, elle tire ce bilan de ses 30 premières années d’existence : « L’ARES remplit simultanément deux missions, celle de l’Association qui agit pour le cadre de vie du quartier et celle du Centre socio-culturel qui propose des services aux habitants, même si tous deux contribuent conjointement à la qualité de vie des esplanadiens. […] Autrefois la distinction entre action revendicative et offre de services était moins nette. Des activités ludiques étaient organisées et financées par leurs pratiquants dans des locaux loués à bas prix. Puis, peu à peu, s’est ajoutée une vocation sociale nécessitant d’un personnel formé et des moyens spécifiques. La citoyenneté a cessé d’être une condition relativement aisée à remplir pour devenir un objectif parfois difficile à atteindre. La fonction d’éveil est plus nécessaire que jamais ». Ainsi, toujours oscillant entre concertation et bras de fer avec les pouvoirs publics, entre revendication et promotion socio-culturelle, l’ARES demeure une instance et un lieu incontournable pour son quartier encore de nos jours et continue de s’inspirer de la maxime de Lorentz : rendre service tout le temps, sur tous les plans, avec tous les gens, puisque « tout ce qui touche l’Esplanade concerne l’ARES ».

Lieux ou monuments


Strasbourg

Bibliographie


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