L'art humble de la terre et du feu : Soufflenheim (0132FI0019)


Avertissement[1]

Résumé


Cette séquence est un extrait tiré d’un film d’Albert Schott. C’est un véritable documentaire, que son réalisateur ouvre en filmant le titre inscrit sur un panneau, « L’art de l’humble terre et du feu », avant d’afficher « film de Albert Schott ». Ainsi, il nous invite à découvrir la diversité et complexité de cet art ancien au cours d’un voyage en Alsace et en Lorraine. Il s’arrête à plusieurs endroits, dont le village Soufflenheim, auquel le présent extrait est dédié. Ses commentaires en voix-off révèlent sa grande connaissance de cette activité, qu’il a étudié afin d’offrir un documentaire riche et précis. Son documentaire est travaillé ; les séquences sont montées, et il leur superpose diverses musiques, ses commentaires ainsi que les explications des personnes qu’il a interviewés. En outre, il obtient des témoignages diversifiés de potiers et d’un conservateur de musée.

Métadonnées

N° support :  0132FI0019
Date :  1984
Coloration :  Couleur
Son :  Sonore
Durée :  00:09:24
Cinéastes :  Schott, Albert
Format original :  Super 8 mm
Genre :  Documentaire
Thématiques :  Industrie

Contexte et analyse


I. Richesse et diversité des productions de céramique en Alsace et en Lorraine.

Le documentaire d’Albert Schott atteste de l’abondance des objets de poterie et de céramique en Alsace et en Lorraine, dont le Musée de Sarrebourg possède une large collection. De la plus ancienne qui daterait de 1800 av. J-C jusqu’à l’époque de réalisation du film, les formes, motifs et couleurs des poteries ont sans cesse variés, tout comme les accessoires qui précèdent à leur fabrication ont progressé. Albert Schott se rend en Alsace du Nord, à Soufflenheim et à Betschdorf mais aussi en Lorraine, à Sarreguemines. La faïencerie, fondée en 1790, devint une grande manufacture au cours du XIXe siècle. Albert Schott conclu son voyage par la faïencerie de Niderviller, une grande manufacture. Contrairement aux villages de Soufflenheim et Betschdorf, la production y est bien plus mécanisée et industrielle. Les techniques utilisées semblent également plus diversifiées, contrairement aux poteries artisanales qui se limitaient à leurs techniques locales traditionnelles. Loin de la petite entreprise familiale, cette manufacture emploie, en plus des ouvriers potiers, d’autres travailleurs, par exemple un cadre technique. La production y est faite à grande échelle et est très mesurée, contrôlée : on aperçoit de grands entrepôts, dans lesquels beaucoup de céramiques sont réalisées mécaniquement ou dans des moules, et les boudins de pâte sont coupés dans les proportions de l’objet qu’ils sont destinés à devenir. De manière générale, les machines sont bien plus présentes que dans les ateliers de Soufflenheim et Betschdorf et la production est standardisée. Les types de poterie et les motifs qui les décorent sont également moins traditionnels et locaux. Cependant, ce n’est pas là une critique de la production industrielle, et Albert Schott montre la dextérité des faïenciers qui interviennent dans les moulages. Il souligne également l’inventivité de la fabrique, qui propose chaque année jusqu’à 20 nouveaux décors.

II. Travail artisanal et traditionnel

Albert Schott arrête sa caméra à Soufflenheim. C’est le village qui a abrité le plus d’ateliers de potiers, avec notamment plus d’une cinquantaine de potiers en 1891, ce qui lui a valu une grande renommée ainsi que la réputation de « cité des potiers ». L’activité de potiers est attestée jusqu’au Moyen-Age, mais pourrait remonter jusqu’au IIe siècle avant JC.

Le documentaire d’Albert Schott procède méthodiquement, et nous invite à découvrir l’activité de potiers, de l’extraction à la vente. Le film ouvre ainsi sur la matière première de la poterie ; l’argile. C’est la qualité de celle-ci qui a fait la renommée de Soufflenheim. Poreuse, elle permet de préserver et même d’amplifier la saveur des aliments qui y sont cuits. Elle a aussi la capacité de résister à de très hautes températures, ce qui en fait un matériau idéal pour les cuissons au four. La production de poterie été à l’origine essentiellement utilitaire, jusqu’à ce qu’au cours du XXe siècle, la concurrence de la fabrication industrielle ne vienne compromettre les artisans. Beaucoup se sont alors tournés vers des objets décoratifs. Cependant, ce basculement n’est pas général, ce dont atteste le film ; pourtant filmé à la fin du XXe siècle, l’atelier de Ernewein-Hass continue de produire des objets à destination culinaires. Albert Schott montre ainsi comment la maîtrise d’un savoir-faire ancestral, entretenu par des modernisations, a permis la survie de cet art. C’est là un point majeur qui ressort du documentaire : les potiers de Soufflenheim ont l’originalité d’associer production artisanale, garante de la tradition, à la modernité et l’innovation. C’est avec l’atelier Ernewein-Hass, maîtres potiers de père en fils, qu’Albert Schott nous fait découvrir ce métier ancestral. L’authenticité de cette entreprise familiale, loin des grandes usines, est soulignée dès le début ; le père de famille, donc patron, y travaille et elle compte peu d’ouvriers. Seuls M. Ernewein-Haas, deux ouvriers et deux ouvrières apparaissent dans le film, et on peut sans doute imaginer que l’atelier n’en comptait guère plus. De plus, il est possible que certains des ouvriers et ouvrières fassent partie de la famille, comme l’une des ouvrières qui pourrait être Mme. Ernewein-Hass C’est la génération qui assure la transmission de la tradition artisanale. Albert Schott souligne le talent de l'ouvrier qu'il filme, qui allie savoir-faire et amour du métier. Il confectionne son objet selon la méthode traditionnelle et son travail reste entièrement manuel, avec comme seuls accessoires une tour à l’aide de laquelle la poterie est façonnée et quelques outils simples. Après avoir été modelées, l’intérieur de certaines poteries est trempé dans de l’engobe, afin de modifier la couleur de l’argile et de rendre la matière plus lisse, ce qui facilite le démoulage des aliments. Pour vitrifier les poteries, celles-ci sont recouvertes d’émail qui une fois passé au four devient transparent et donne cet aspect vernis aux objets. L’émail est un liquide composé de plomb qui étanchéifie les objets qu’il recouvre. L’engobe et l’émail sont tous deux appliqués en trempant les poteries dans des bassines. La tradition est dans la technique de façonnage, mais également dans le choix des objets façonnés. En effet, beaucoup de récipients sont destinés à la préparation de plats typiquement alsaciens : on peut ainsi observer la conception de moules à Kougelhopf, mais les ateliers de Soufflenheim étaient également réputés pour leurs plats à baeckeofe, au coq au riesling ou à l’Osterlammele. La population alsacienne pouvait donc se procurer sur place les terrines nécessaires à la préparation de leurs recettes traditionnelles. Façonnée et décorée manuellement, chaque pièce est unique. Les motifs sont appliqués à la main à l’aide d’un petit ustensile, une « burette » ou « barolet », au bout duquel est placé une plume d’oie. Plusieurs moyens existent pour décorer les poteries, mais celle-ci était la plus répandue à Soufflenheim, puisqu’en plus de permettre un dessin fin, précis et rapide, elle nécessitait peu de moyens. Les motifs et couleurs qui ornent les poteries de l’atelier de Ernewein-Hass sont divers. On observe d’abord une décoratrice en train de dessiner au creux d’une assiette une marguerite. Les motifs floraux et végétaux étaient très répandus à partir du XXe siècle, notamment la marguerite. Autour de la marguerite, la décoratrice trace des traits de couleur bleue. C’est au niveau des décors qu’on remarque notamment une différence avec la manufacture de Sarreguemines. Comme observé précédemment, ceux de Soufflenheim présentaient presque uniquement des motifs locaux et traditionnels. La faïencerie de Sarreguemines offrait au contraire des objets aux illustrations nationales : « l’épopée de Jeanne d’Arc, les victoires napoléoniennes et des scènes humoristiques de la vie militaire ». Ces motifs historiques, fortement teinté de patriotisme, étaient le résultat d’une volonté d’affirmer son appartenance à la France et son patriotisme lorsque l’Alsace-Lorraine été annexée. Les motifs ont ensuite été conservés et ont fait la renommée de la faïencerie. Soufflenheim partageait sa proximité avec la forêt de Haguenau avec le village de Betschdorf. Artisanaux, les villages de potiers puiser les matériaux nécessaires à leur art dans les environs. Ils obtenaient des objets très variés l’un de l’autre à partir de la même terre en utilisant des techniques différentes. Originaire d’Allemagne, la technique du grès aurait été importée à Betschdorf au XVIIe siècle. Les poteries de Betschdorf sont facilement identifiables par leur couleur bleue, qui vient d’oxyde de cobalt, seule teinte résistant à la cuisson sur le grès de sel. Le sel est projeté sur les poteries en cours de cuisson, qui prennent alors un aspect verni. Le grès de Betschdorf n’est pas adapté à la cuisson des aliments, il sert à fabriquer de la vaisselle ou des objets décoratifs. Si les deux villages de potiers proposent une production selon les matériaux que leur environnement leur offre, la faïencerie de Sarreguemines utilisait une pâte à faïence qui était le résultat d’un mélange de matière dont certaines étaient importées d’autres régions de France et même de l’étranger

III. Modernisation et innovation

Parmi les modernisations, la tour est électrique et n’a donc plus besoin d’être actionnée avec le pied. Car si la volonté de préservation de la tradition est manifeste, les ateliers ont effectué certaines modernisations au début du XXe siècle pour s’assurer leur survie face à la concurrence aiguisée par la mondialisation. En dépit de ces évolutions, beaucoup de potiers seront contraints d’abandonner leur activité, faute de réussir à suivre la cadence. Albert Schott cherche à redonner son prestige à cette activité malmenée, souvent méconnue et à vanter les mérites de cette « fabrication [restée] artisanale à Soufflenheim », qui s’est maintenue face à l’exportation et à la standardisation de la production par des entreprises concurrentes. Albert Schott précise que pour les « objets courants de grande diffusion », les potiers se servent de moules qui accélèrent et facilitent la production. Pour ces productions en série, la pâte est placée dans le moule et est étalée avec un bras tournant en forme de potence. En effet, même si les maîtres potiers s’évertuent à conserver la tradition ancestrale de confection des poteries, ils ont cependant intégré certaines aides mécaniques. Parmi les innovations techniques, on peut remarquer que le traditionnel four au bois, dont l’alimentation était fournie directement par la forêt de Haguenau, a été remplacé par un four au gaz. Comme nous l’avons évoqué précédemment, la tour n’est plus actionnée avec le pied mais électriquement et les potiers se sont également munis d’une machine pour éliminer l’eau de l’argile et de machines dotées de bras électriques pour mouler. Cependant, ces quelques innovations n’ont pour but que de faciliter la production, sans la dénaturer et la standardiser. Dans le film, chaque produit en train d’être confectionné l’est par la main humaine. Albert Schott insiste sur l’ingéniosité des potiers, dont l’imagination sans limite leur permet sans cesse de renouveler leur production. C’est principalement au niveau des couleurs et des motifs que ces innovations ont lieu. Albert Schott filme également la commune du Ban de la Roche, qui comptait plusieurs ateliers, dont celui d’Antoine Drouillaux, célèbre céramiste. Albert Schott effectue un montage pour superposer l’interview de M. Drouillaux à l’image de ce dernier en pleine activité. Après avoir décrit tout le processus de confection de la poterie, il précise que certaines couleurs avec laquelle les décors sont effectués ont été déposées. C’est le vert et le rose, résultat de mélanges, dont ils sont les inventeurs. Il évoque également un « nouveau bleu mis au point cette année ». Ce célèbre céramiste a malheureusement fermé son atelier en 2014, selon un article du journal Ouest-France lui étant dédié.

VI. Prospérité et renommée de l’activité

La production de poterie à Soufflenheim a fondé la célébrité du village en y attirant de nombreux touristes. Une fête de la poterie, signe du succès des céramiques, y tient également place tous les deux ans. Les visiteurs y ont alors l’occasion de découvrir les ateliers des artisans. Ces fêtes ont toujours lieu, la prochaine se tenant en 2020. Betschdorf possède également sa fête des potiers. La production de poterie à Soufflenheim permettait aux habitants locaux de procurer directement les plats nécessaires à la confection de leurs recettes traditionnelles, mais les poteries de Soufflenheim ont connu un succès tel qu’elles s’exportaient également par train à d’autres régions grâce à des catalogues de commandes. A plusieurs moments, les plans de Albert Schott en train de filmer un ouvrier ou une ouvrière au travail nous laisse découvrir en arrière-plan des étagères chargées de piles de plats, des tables couvertes de cruches. Malgré la concurrence des produits standardisés et à faibles coûts, certains ateliers artisanaux ont réussi à prospérer, notamment sur la promesse de produits authentiques, traditionnels et de qualité. En 1948, ils n’étaient cependant déjà plus que 15 ateliers à Soufflenheim, contre la cinquantaine d’établissements de 1891. Le XXe siècle qui a vu apparaitre de nouveaux matériaux, dont la fabrication industrielle s’est emparée, a ébranlé le commerce de beaucoup d’ateliers, qui pour survivre ont dû redoubler d’ingéniosité et de créativité. Pour se protéger de la concurrence, les potiers de Soufflenheim et de Betschdorf cherchent depuis quelques années l’indication géographique de produits industriels et artisanaux (IGPIA) pour leurs produits. Ce label leur permettrait de se démarquer de la concurrence étrangère et de faire-valoir leur authenticité et leur savoir-faire. Les critères qui seront retenus pour bénéficier de l’IGPIA sont actuellement encore débattus selon un article des Dernières Nouvelles d’Alsace (numéro du mardi 1er octobre 2019). Dans son documentaire, Albert Schott n’a de cesse de vanter les mérites des potiers d’Alsace-Lorraine et d’exprimer son admiration. Le film s’adresse directement aux spectateurs, et leur assure que les poteries « […] embelliront le décor de votre vie quotidienne ». Le processus de façonnage est quant à lui entièrement décrit, de l’extraction de l’argile jusqu’à la vente des produits, et dans un vocabulaire technique et très élogieux. Il a souhaité et réussi à redonner toute la grandeur à cet art, que le XXe siècle et l’industrialisation avaient dégradé. Il insiste notamment sur la supériorité du travail traditionnel, par rapport à la fabrication industrielle : « rien ne vaut le toucher ». En ouvrant son film sur une unique matière première, l’argile, il le prolonge en montrant toute l’immense diversité de couleurs, formes et fonctions que les potiers sont capables de donner à cette terre. A l’aide de différents outils et procédés, et de leur imagination, ceux-ci peuvent donner sans cesse vie à de nouveaux objets.

Je remercie le fils de M. Schott pour son aide et les précieuses informations qu’il m’a apportées. Celui-ci m’a expliqué que son père, Albert Schott, s’était pris d’intérêt pour les métiers traditionnels, notamment ceux de la forêt, autour du travail du bois. Par nostalgie et volonté de faire revivre ces métiers méconnus, et par intérêt pour la conservation des aliments, il s’est ensuite penché sur le métier de potier. Particulièrement séduit par l’Alsace, beaucoup de ses films y plantent leur décor. Ses films lui prenaient en moyenne un an de tournage, puisqu’ils devaient se déplacer entre divers lieux et qu’il fallait attendre la disponibilité de certains intervenants. Le montage prenait quant à lui plusieurs mois. Pour cela, il assemblait les petites séquences de 8 à 10 minutes qu’il avait filmé avec sa caméra super 8. Il rajoutait ensuite ses commentaires qu’il enregistrait à l’aide d’un microphone par-dessus le film. Parfois, il reproduisait lui-même certains bruitages. Enfin, il ajoutait un fond musique, la plupart du temps des chansons populaires d’Alsace et de Lorraine, des groupes folkloriques et parfois de la musique classique. Il disposait de plusieurs disques qu’il passait au tourne disque et dont il enregistrait la musique avec son microphone. Pour commenter ses films, il se renseignait au préalable avec des lectures sur son sujet, mais il collectait la majorité de ses informations en discutant avec les personnes qu’il rencontrait. Ses films étaient principalement diffusé dans des Villages Vacances Familles, et les séances pouvaient prendre place jusqu’à une ou deux fois par semaine.

Lieux ou monuments


Soufflenheim

Bibliographie


Philippe Hamman, “Une Entreprise De Mobilisation Patriotique : La Production De La Faïencerie De Sarreguemines (1871-1918).” Genèses, no. 47, 2002, p. 140–161.

Jean-Pierre Legendre et Jean Maire, "La céramique de Soufflenheim (Bas-Rhin) du milieu du XIXe siècle au début du XXe siècle. Typologie de la production et éléments de chronologie", Cahiers Alsaciens d’archéologie, d’art et d’histoire 39, 1996, p.139-170.

Jean-Pierre Legendre et Jean Maire, Nouveaux éléments pour la chronologie de la céramique de Soufflenheim au XIXe et au XXe siècle, Cahiers Alsaciens d’archéologie, d’art et d’histoire 53, 2010, p.161-175.



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