Les Libellules de Strasbourg, un club de sport au féminin (0021FN0004)


Avertissement[1]

Résumé


Dans la séquence tournée par Emile Breesé à la fin des années 30, des femmes pratiquent la gymnastique, le basket et l'aviron au sein du cercle féminin d’aviron et de culture physique « Les Libellules de Strasbourg », pendant une manifestation publique.

Description


Un groupe de femmes, en tenue sportive sur un terrain de basket, exécute des mouvements de gymnastique en suivant une chorégraphie. Deux équipes de basket féminines prennent la pose sur le terrain, se tenant côte-à-côte par les épaules. Les deux équipes s'affrontent pendant un match.

Un groupe de cinq femmes embarqué sur un aviron. L'aviron s'éloigne et prend de la vitesse à mesure que les femmes rament. Deux équipes s'opposent pendant une course, les rameuses accélèrent avant d'atteindre la ligne d'arrivée.

Métadonnées

N° support :  0021FN0004
Date :  Entre 1936 et 1938
Coloration :  Noir et blanc
Son :  Muet
Durée :  00:00:00
Cinéastes :  Breesé, Emile
Format original :  9,5 mm
Genre :  Film amateur
Thématiques :  Gymnastique
Institution d'origine :  MIRA

Contexte et analyse


Le Club des Libellules de Strasbourg, un cercle sportif féminin à l’avant-garde.

Le cercle sportif des Libellules est fondé en 1925 à Strasbourg par la Comtesse Pisani, pour offrir aux jeunes femmes la possibilité de pratiquer une activité sportive au même titre que les hommes. Au moment de sa création, le club fédère une seule équipe de Yole féminine. La yole est l’appellation donnée à l’embarcation légère et allongée, à l’image des insectes glissant au ras de l’eau, qui donnera son nom au club.

Championnes de France d'Outriggers et la comtesse Pisani au centre, 13 août1933

La spécificité féminine du club dans un monde sportif à l’époque largement dominé par des hommes, va se poursuivre jusque dans les années 90. Et ce sont deux femmes qui vont occuper successivement la présidence du club à ses débuts. La Comtesse Pisani de 1925 à 1947, avec qui les Libellules remportent leur premier titre de Championnes de France en Yole de mer en 1932 puis en Outrigger - nom donné aux bateaux de compétition - en 1933. Puis Josée Haessler jusqu’en 1977, Championne de France d’aviron en 1933, qui a consacré une grande partie de sa vie au club.

Dans la séquence tournée par M. Breesé à la fin des années 30, on aperçoit Mme Haessler à 00 : 22 au centre de l'image, jeune joueuse de basket - la plus grande et la plus charpentée de toutes - prenant la pose avec ses coéquipières. Un peu plus tard, en 1948, elle fait entrer officiellement la discipline dans le club et devient entraîneur de l’équipe. La section basket des Libellules prend son essor avec la constitution d’équipes de jeunes aussi bien que de seniors, bientôt consacrées par des titres départementaux et régionaux. En 1969, suite à un incendie du hangar à bateaux, la section aviron du club s’arrête. Les Libellules devient exclusivement un club de basket, qui garde sa particularité féminine jusqu’au début des années 90. Aujourd’hui, ce cercle historique de sport amateur, toujours en activité, compte 22 équipes et 300 licenciés aussi bien de filles que de garçons.


La pratique sportive féminine : un développement tardif

La grande majorité des films consacrés au sport dans les fonds Mira donnent à voir des entraînements et des compétitions sportives masculines, la présence des femmes dans ces archives filmées se limitant aux compétitions de gymnastique, hormis cette séquence d’un match de basket féminin en 1947. Fonds Eber - 0033FN0002.

La pratique sportive féminine commence à se développer timidement à la fin du 19ème siècle et se cantonne presque exclusivement à la gymnastique, remplissant avant tout une fonction utilitaire et nationale. Outre la gymnastique ou la danse, le sport féminin est considéré comme trop physique, inadapté à l’anatomie de la femme et incompatible avec sa vocation de mère. Il va longtemps se heurter à une pensée conservatrice qui freine voire empêche son développement : des considérations « scientifiques » de l’époque sur le corps et l’image d’un idéal féminin – grâce, décence, moralité, beauté - à laquelle la femme doit satisfaire. Néanmoins, c’est la gymnastique qui va ouvrir une brèche et amorcer un changement dans les mentalités, dans le cadre des démonstrations d’exercices gymniques. Les femmes sont exposées au regard d’autrui et donnent à voir leurs capacités physiques lors de ces manifestations publiques.

Au début du 20ème siècle, la pratique sportive féminine est encore très marginale et se structure quasi exclusivement autour de sections rattachées aux clubs masculins. « Nombre d’institutions (le mouvement olympique, le sport ouvrier, les fédérations existantes) s’opposeront au développement de ces activités pour celles qui demeurent avant tout des mères destinées au foyer. » [2] L’existence des clubs féminins est donc singulier dans le paysage sportif de l’époque, et bien souvent le fait de la volonté de femmes - comme la Comtesse Pisani pour Les Libellules - qui oeuvrent pour la légitimité et la reconnaissance de cette pratique.

La séquence tournée par M. Breesé s’ouvre sur un groupe exécutant des mouvements chorégraphiés. La technicité de la gym s’allie ici au charme et à l’élégance de la danse. En observant plus attentivement la séquence, on aperçoit l'assistance. Des voitures sont garées aux alentours et les têtes des spectateurs apparaissent au premier plan de l’image, hommes et femmes coiffés d’un couvre-chef, qui semblent s’être apprêtés pour l’occasion. D’autres spectateurs, plus à distance, sur un petit talus qui surplombe le terrain, observent de loin la manifestation. Nous sommes à la fin des années 30 et les moeurs ont déjà bien évolué comme en témoignent ici les tenues des joueuses et l’exposition des corps. Les gymnastes sont vêtues d’un débardeur laissant leurs épaules dénudées et la jupe est portée au-dessus du genou. Les basketteuses, habillées d’un short et d’un chemisier – quand l’équipe adverse revêt une robe - tout comme les avironneuses, exposent aussi leurs jambes aux yeux du public.


La particularité du basket-ball et ses sections féminines en Alsace au début du 20ème siècle

1ère équipe féminine de basket, 1950-51
L'équipe séniors avec Josée Haessler, présidente du club, 1955

La pratique du basket connait un développement précoce en Alsace. C’est Eugène Gaestel, émigré en Amérique, qui va en être l’instigateur à son retour en 1918 en fondant la première équipe régionale de basket à Haguenau en 1919.

Deux ans plus tard, la section féminine « Union », rattachée au club de football FC Haguenau 1900, devient la 1ère championne de France de l’histoire. En 1920, cette même équipe décroche le titre de championnes d’Europe à Monte-Carlo contre l’Angleterre. A Strasbourg, l’équipe féminine de l’AS Strasbourg – Association Sportive de Strasbourg – est sacrée championne nationale pendant 5 années durant, entre 1922 et 1926.

C’est dans le cadre des clubs laïcs urbains que la pratique féminine est possible. Il n’en est pas de même des clubs de patronages catholiques, qui, s’ils ont permis un développement de la discipline auprès des jeunes des grandes villes puis des campagnes alsaciennes, sont plus réticents à la création des sections féminines. C’est après la guerre que l’AGR - Avant-Garde du Rhin, ligue régionale catholique - créée le Rayon sportif féminin, sa section féminine, malgré les appréhensions du clergé alsacien. Le premier championnat féminin, disputé en 1945-46, réuni des cercles exclusivement citadins (cercles St Joseph et St Jean de Strasbourg, cercle d’Hoenheim) - la pratique du basket féminin étant à l’époque inconcevable dans la plupart des villages alsaciens.

La section basket du club des Libellules apparaît en1948. Pourtant les membres du club pratiquaient déjà la discipline si l’on s’en réfère à la séquence de M. Breesé tournée entre 1936 et 1938. En 1965, seules 6 équipes de basket féminines disputent les championnats de l’AGR. Et c’est grâce au soutien de curés plus audacieux ou de sœurs – garantes d’une certaine morale chrétienne – que les équipes féminines sont créées dans les villages et commencent à se multiplier, à partir des années 70 seulement.


L’aviron, une activité sportive difficilement accessible aux femmes.

En France, la naissance de l’aviron tire ses origines du canotage, qui apparaît autour des années 1830 et 1840. L’importance du canotage et des sociétés nautiques strasbourgeoises est attestée dans cet article de 1932 consacré à « L’île des pêcheurs », à proximité d’Ostwald, où Les Libellules ont installé leur club à ses débuts. Dans cette autre séquence tournée par M. Breesé 0021FN0001, on découvre cette île - D’Fischerinsel - qui était un lieu de loisirs privilégiés des Strasbourgeois, avec son auberge, ses canots le long des berges et son petit bateau à vapeur pour la ballade sur l’Ill.

Le canotage, d’avantage associé à des activités de plaisirs que sportives, va retarder le développement de l’aviron et tout particulièrement son accès aux femmes. Dans les représentations, domine l’idée du canotage romantique des amoureux de la nature ou celui plus sulfureux des rencontres et du libertinage et la canotière est bien souvent associée à l’image de la femme facile voire à la prostituée. Le film de Jean Renoir « Partie de campagne », tiré de la nouvelle de Maupassant, reflète cette vision des mœurs légères des canotiers et de celles qui acceptent de monter à bord de leurs embarcations. La pratique de l’aviron par les femmes a longtemps souffert de la mauvaise réputation des canotières, à tel point que pour éviter toute confusion avec ces dernières, les sociétés nautiques ont d'abord fermé leurs portes aux femmes. Il est par exemple interdit d’embarquer des dames dans les bateaux des clubs nautiques, sous peine d’amende. Le cercle nautique « Stella » à Strasbourg stipule même dans son règlement l’interdiction de faire entrer les femmes dans le garage qui fait office de hangar à bateaux. (cf doc joint)

Après la défaite de la guerre franco-allemande de 1870, l’essor du mouvement sportif et associatif profite à l'aviron. Cinquante sociétés sont fondées de 1872 à 1882, bien souvent regroupées sous le même fanion des sports nautiques de leur ville. Malgré des avancées pour accepter l’idée d’une pratique féminine de l’aviron, les clubs résistent à faire entrer les femmes en leur sein. En 1900, l’aviron devient discipline olympique mais il faut attendre 1976 pour que les femmes soient autorisées à participer aux compétitions. L’idée qui prévaut là encore est celle d’une représentation de la femme et de son anatomie inconciliables avec la pratique de ce sport considéré comme éprouvant physiquement, « énergétique, générateur de biceps ». [3] Il faut compter sur des personnalités comme Alice Milliat, rameuse célèbre, engagée pour la reconnaissance du sport féminin au niveau international, pour promouvoir les sections féminines dans cette discipline. Ainsi le début du 20ème siècle est marqué par l'apparition de Fémina Sports, en 1912, dont Madame Cozette et Alice Milliat seront membres, suivie, en 1915 par Académia - 40 rameuses en 1936 - et, en 1920, par la Ruche Sportive Féminine. Les libellules suivront bientôt en Alsace en 1925.

Bibliographie


Stéphanie Godin, Le basket-ball catholique en Alsace 1920-1990 in Sports et loisirs en Alsace au 20ème siècle sous la direction d'André Rauch, Revue EPS ; Strabourg : Centre de recherches européennes en éducation corporelle, 1994

Jean-Marie Le Minor, L'avant-garde du Rhin, Mémoire du sport, éditions Alan Sutton, 2007

Alfred Wahl, Aux origines du sport in 100 ans de sport en Alsace, Hors série DNA, 2010


Article rédigé par

Sophie Desgeorge, 15 mars 2019


  1. Cette fiche est en cours de rédaction. À ce titre elle peut être inachevée et contenir des erreurs.
  2. « Inégalités sur la ligne de départ : femmes, origines sociales et conquête du sport » de Catherine Louveau in Revue CLIO Histoires, Femmes et Sociétés - Le genre du sport 23/2006 – Presses Universitaires du Mirail
  3. "La conquête par les femmes du droit de ramer: sur l'aviron féminin à Rennes (1867-2017) Jean-François Botrel. https://botrel-jean-francois.com/Aviron_Remo/Aviron_feminin.html