Noël avec Egé (0126FN0001)


Avertissement[1]

Résumé


Cette séquence tournée autour de 1937 par Ernest Weber, greffier au tribunal de Strasbourg montre une famille réunie pour les fêtes de Noël. On y remarque notamment la convivialité autour de la table à manger où s’échangent des gâteaux et jouets, symboles de Noël.

Description


Le film débute sur une famille attablée devant un arbre de Noël très décoré. Le réalisateur procède à un lent panoramique vers la gauche afin de montrer l’ensemble des personnes présentes autour de cette table (où se trouvent des verres, des gâteaux et une bouteille vin). Deux des jeunes hommes fument la pipe et l’un d’entre eux lève sa main pour saluer le caméraman. Panoramique horizontal vers la droite afin de montrer les différentes interactions dans la pièce. On y voit notamment une petite fille entrain de jouer avec ses deux poupées. Plan sur la fillette puis remontée vers la grand-mère qui distribue des gâteaux à l’ensemble de la tablée. L’un des hommes à gauche montre l’un des gâteaux (s’agissant probablement d’un Bredele ou d’un pain d’épice). Pendant ce temps, l’un des fils joue avec un lapin sauteur relié à un fil. Le dernier plan montre la famille qui discute et déguste les friandises présentes sur la table. La petite fille fait une grimace à la caméra. Pathé 9,5mm.

Métadonnées

N° support :  0126FN0001
Date :  Entre 1937 et 1940
Coloration :  Noir et blanc
Son :  Muet
Durée :  00:01:36
Cinéastes :  Weber, Ernest
Format original :  9,5 mm
Genre :  Film amateur
Thématiques :  Noël

Contexte et analyse


Ce film amateur au format 9mm de 1937 s’inscrit dans la période de l’entre-deux-guerres. Noël, principale fête de la chrétienté qui a donné naissance à un nombre important de traditions régionales, subit une évolution importante durant l’époque contemporaine. Elle perd notamment de sa signification religieuse pour se transformer en fête de l’enfant, de la famille et de la consommation.


De l’importance de l’arbre de Noël

L’arbre de Noël (Wihnàchtsboim) dont l’origine semble provenir de l’usage païen qui consistait à vénérer les arbres au moment du solstice d’hiver, puis à partir du XIIIe siècle, à décorer les maisons avec des branches (meyen), fait donc partie d’une très vieille tradition. La première mention de l’utilisation d’un arbre de Noël date de 1521 à Sélestat et l’on voit que cette tradition d’aller couper des arbres en forêt pour Noël se multiplie dans plusieurs villes d’Alsace.[2] Longtemps refusé par l’Eglise catholique pour qui il aurait été une marque de paganisme et de protestantisme, notamment à cause de ses origines scandinaves et germaniques[3], il est progressivement intégré dans le foyer et dans les coutumes des familles alsaciennes entre le XVIe et le XVIIIe siècle.[4] Mais sa véritable diffusion se fait surtout à partir du XIXe siècle mais elle n’est pas uniforme. Les villes et les villages protestants sont des lieux où cette coutume s’implante facilement.[5] Mais de nombreux documents montrent que la coutume d’ériger un sapin de Noël ne dépendait pas de l’appartenance religieuse mais des aires linguistiques. C’est ce que nous dit Georges L’Hôte qui distingue les villages qui possèdent une langue maternelle issue d’un dialecte allemand possédant un arbre de Noël, de ceux où la langue maternelle est française où il n’est attesté qu’après 1945.[6] Quoi qu’il en soit, l’arbre de Noël se diffuse ensuite dans toute la France par l’intermédiaire de nombreux alsaciens qui ont dû quitter l’Alsace suite à la défaite de 1871 face aux allemands. On dit même que « là où se trouve une famille alsacienne, là est un arbre de Noël ».[7] Cette coutume est visible dans cette séquence, l’auteur a choisi de montrer sa famille, attablée devant un grand sapin, choisi par sa capacité à garder son feuillage pendant l’hiver. L’arbre de Noël, qui est ici posé au sol, pouvait être dressé ou suspendu au plafond. Nous remarquons qu’il s’agit d’un élément décoratif important de la salle à manger de cette famille. Cette coutume de décorer le sapin est ancienne dans les maisons alsaciennes, avec au XVIIe siècle, des roses en papier, des pommes, des fils d’or, des sucreries, des jouets, etc. qui laissent ensuite la place au XIXe siècle aux premiers décors de verre en provenance du Meisenthal lorrain ou de Bohême.[8] Puis, au XXe siècle ces décorations laissent la place à de nouveaux objets décoratifs nés de la culture de masse et de l’augmentation progressive de la consommation des ménages. En effet, ce film d’Ernest Weber, nous montre un sapin majestueux, décoré de boules, d’objets aux formes variées, de guirlandes, qui mettent en valeur l’arbre de Noël. Cette séquence s’inscrit dans une période où l’arbre de Noël apparaît un peu partout. On le retrouve dans les carrefours, sur les places publiques, devant les magasins où bien comme c’est le cas ici dans les foyers alsaciens. A partir de la Seconde Guerre mondiale il y est présent dans la presque totalité des maisons, que ce soit dans des familles protestantes ou bien catholiques.[9] Le réalisateur a fait exprès de placer en arrière plan l’arbre de Noël pour insister sur l’importance religieuse mais aussi sur le caractère coutumier de cet élément décoratif devenu un symbole obligé au moment de Noël.


Les cadeaux, objets obligés de la fête de Noël

La remise de cadeaux le soir de Noël se fait depuis le XVIe siècle. Récompense non obligés, ils deviennent indispensables à cette fête[10] et sont mis sous le sapin pour ensuite être donnés à leurs destinataires. Les garçons profitant généralement de petites voitures ou de trains qui tendent à devenir électriques, notamment au début du XXe siècle. Et les petites filles, recevant principalement une poupée (terme s’appliquant aussi aux bébés), le jouet par excellence. En effet, les années 1880 sont marquées par la naissance du « bébé articulé » qui devient le fer de lance de l’industrie du jouet français. Mais c’est au début du XXe siècle que l’on voit la mise en place de bébés aux visages caractérisés avec une galerie de portraits d’enfants aux expressions très variées et réalistes. Pendant l’entre-deux-guerres, la dénatalité force les fabricants de poupées à trouver une nouvelle cible commerciale. Ainsi sont créées les poupées décoratives, caricaturales qui imitent les « femmes libérée ».[11] C’est ce qui est montré dans cette séquence, avec une petite fille jouant avec deux poupées dont l’une possède un visage très détaillé avec une tenue s’inspirant des femmes adultes. On pourrait presque croire à une femme en miniature qui a l’air de plaire à la jeune fille de notre film. Au contraire, nous remarquons qu’un jeune garçon s’amuse de l’autre côté de la table avec un lapin sauteur relié à un fil, surement un jouet acheté par les parents sur le marché de Noël de Strasbourg.


Une fête de famille liée aux coutumes alimentaires

Cette séquence filmée de manière assez linéaire nous fait voir une scène à la fois privée et intime où les petits et les grands sont réunis pour manger, boire et discuter. Les hommes de la maison fumant la pipe et buvant du vin et les plus jeunes jouant avec leurs nouveaux jouets. Ils attendent tous patiemment les fameuses friandises alsaciennes, les pains d’épices et les Bredele (connus sous le nom de Bredela dans le Haut-Rhin) qui font partie intégrante de la période de Noël depuis plusieurs siècles. En effet, trois ou quatre semaines avant Noël, les foyers alsaciens ont la coutume de préparer leurs propres gâteaux avec des noms et des formes très variées. Par exemple, il y a les pains d’épices appelés Lebkuchen dont les formes peuvent s’inspirer de thèmes religieux, tels qu’Adam et Eve sous l’arbre du Paradis ou bien des formes plus profanes comme la représentation d’une fileuse avec son rouet. De plus, il y a aussi d’autres douceurs comme les Springerle à base d’anis qui donne lieu à diverses figures et décorations ; les Speculatius, gâteaux représentant des personnages de la vie de tous les jours ou bien les Berawecka (pain aux poires).[12] Ainsi, dans la deuxième partie de ce film, nous voyons la grand-mère de la famille qui fait passer des pains d’épices ou des Bredele à l’ensemble de la tablée. Nous remarquons ici que les femmes possèdent le rôle de maîtresse du foyer comme c'était le cas dans de nombreux foyers alsaciens de cette décennie. Au contraire, les hommes ont plutôt une attitude de chefs ou de futures chefs de familles. Il est fort probable que cette scène se déroule après-minuit, la veille de Noël étant un jour de jeûne strict. Sur la table nous voyons une bouteille de vin mais elle pouvait être remplacée par du schnaps qui devait fortifier l’âme et réchauffer le corps et le cœur des hommes.[13]


L’absence des figures de Noël

Ce film ne montre aucune figure emblématique de Noël comme le Père Noël ou bien le saint Nicolas. C’est vers la fin du XIXe siècle qu’apparaît le Weihnachtsmann, père Noël des pays de langue allemande, une version ou un doublet profane de saint Nicolas apparaissant généralement avec le Hans Trapp qui punissait les méchants enfants. Sa fonction se détache progressivement de toute référence sacrée et à partir de la Première Guerre mondiale, il est remplacé par le Père Noël français dont l’origine proviendrait probablement de l’immigration alsacienne des années 1870.[14] L’absence de ce personnage signifie peut-être que cette tradition n’est pas totalement intégrée dans les foyers ou bien il est peut-être passé plus tôt dans la soirée pour offrir les cadeaux aux plus jeunes enfants. Autre figure que nous ne voyons pas dans cette séquence, le Chrinskindle (enfant Jésus) personnifié à partir du XIXe siècle par une jeune fille recouverte d’un voile qui recouvre l’ensemble de son visage et parée d’une couronne dorée ou de quatre bougies. Présent depuis le XVIIe siècle dans les milieux protestants, il avait pour rôle de déposer les cadeaux avant le levé des enfants. Il s’agirait d’une fée germanique dont la signification a été christianisée ou bien de sainte Lucie qui est encore un personnage très fêté en Suède.[15] Dans notre film, les enfants ont déjà reçu leur jouet, il est donc probable que le Christkindle ne soit pas intégré aux coutumes familiale. Mais malgré l’absence de ces personnages profanes ou religieux, tous les membres de la famille sont bien présents pour passer des moments de joies et de convivialités.

Personnages identifiés


Ernest Weber

Lieux ou monuments


Strasbourg

Bibliographie


Lalouette, Jacqueline, Jours de fête, Tallandier, Paris, 2010.

Leser, Gérard, Noël – Wihnachte en Alsace, Edition du Rhin, Mulhouse, 1989.

Cabantous, Alain, Walter, François, Noël : une si longue histoire…, Payot & Rivages, Paris, 2016.

Theimer, François, Les Jouets (collection « Que-sais-je ? »), Presses Universitaires de France, Vendôme, 1996.


Article rédigé par

Massimo Gallippi, 31 décembre 2019


  1. Cette fiche est considérée comme achevée par son auteur, mais elle n'a pas encore été validée par une autorité scientifique.
  2. Leser, Gérard, Noël – Wihnachte en Alsace, Edition du Rhin, Mulhouse, 1989, p. 66-69.
  3. Lalouette, Jacqueline, Jours de fête, Tallandier, Paris, 2010, p. 101-115.
  4. Leser, Gérard, Noël – Wihnachte en Alsace, Edition du Rhin, Mulhouse, 1989, p. 77.
  5. Leser, Gérard, Noël – Wihnachte en Alsace, Edition du Rhin, Mulhouse, 1989, p. 87.
  6. Lalouette, Jacqueline, Jours de fête, Tallandier, Paris, 2010, p. 101-115.
  7. Leser, Gérard, Noël – Wihnachte en Alsace, Edition du Rhin, Mulhouse, 1989, p. 84.
  8. Leser, Gérard, Noël – Wihnachte en Alsace, Edition du Rhin, Mulhouse, 1989, p. 66-82.
  9. Leser, Gérard, Noël – Wihnachte en Alsace, Edition du Rhin, Mulhouse, 1989, p. 90-91.
  10. Cabantous, Alain, Walter, François, Noël : une si longue histoire…, Payot & Rivages, Paris, 2016, p. 297.
  11. Theimer, François, Les Jouets (collection « Que-sais-je ? »), Presses Universitaires de France, Vendôme, 1996, p. 81-92.
  12. Leser, Gérard, Noël – Wihnachte en Alsace, Edition du Rhin, Mulhouse, 1989, p. 98-101.
  13. Leser, Gérard, Noël – Wihnachte en Alsace, Edition du Rhin, Mulhouse, 1989, p. 101.
  14. Leser, Gérard, Noël – Wihnachte en Alsace, Edition du Rhin, Mulhouse, 1989, p. 207-210.
  15. Leser, Gérard, Noël – Wihnachte en Alsace, Edition du Rhin, Mulhouse, 1989, p. 38-54.