Serment des NSKK au Korpsführer Hühnlein à Strasbourg (0024FS0002)


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Résumé


Cette séquence d’un réalisateur inconnu montre des hommes de différents âges, portant l’uniforme allemand de la Wehrmacht et défilant dans les rues de Strasbourg en 1941 et passés en revue par Adolf Hühnlein, général major du NSKK. Certains soldats se rendent ensuite à Goxwiller par autocar.

Description


Carton : « Vereidigung der Führersdiensttuer in Strassburg durch Korpsführer Hühnlein” (Le Chef de corps Hühnlein fait prêter serment aux Führerdiensttuer)

Carton : « Bahnhofplatz Strassburg Antreten » ( = Alignement place de la gare de Strasbourg)

Soldats en uniformes nazis et calots sur la place de la gare, alignés devant un supérieur

Groupe de soldats, la quarantaine et plus, marchant au pas de façon irrégulière

Porteurs de drapeaux

Groupe de soldats à l'arrêt et au pas

00:01:35

Les soldats toujours au pas rue du 22 novembre, passant devant l'hôtel Excelsior (actuel hôtel Hannong)

00:01:49

Carton : « Marsch zum Karl-Roosplatz»

Défilé des soldats dont certains portant des drapeaux à croix gammée, rue du 22 novembre ; en arrière-plan St Pierre-le-Vieux au fond ; peu de passants

Les soldats au garde à vous devant le cinéma « Zentral » place Kléber

La fanfare militaire joue

Soldats en rang place Kléber ; en arrière-plan l'hôtel de la Maison rouge (actuelle Fnac), pavoisée de drapeaux nazis

Pano sur soldats en rang

00:02:51

Arrivée d'Adolf Hühnlein et d'autres officiers ; salut nazi

Adolf Hühnlein salut des officiers sur une estrade devant le Zentral

Passage en revue des troupes

00:03:39

Carton : "Propagandamarch durch Strassburg" (=Marche de la propagande à travers Strasbourg)

Soldats allemands défilant en rang par 6 rue des Grandes Arcades pavoisée ; quelques spectateurs

00:04:14

Enseigne « Manteuffel Kaserne »

Soldats de tous âges entrant au pas dans la caserne (actuelle caserne Stirn, boulevard Clémenceau)

00:04:50

Carton « Verpflegung in der Manteuffel-Kaserne » (= Rations à la caserne Manteuffel)

Cantines roulantes desquelles sortent de la vapeur

Les soldats, à la file indienne, se font servir leur repas dans des bols en carton ; pano sur les soldats très nombreux

On distribue des bols aux soldats puis une sorte de gruau

Des soldats s'amusent et rient (regards caméra)

Gros plan sur le gruau distribué depuis un bidon à l'aide d'une louche

Un soldat à lunette plus âgé sourit ;(regard caméra)

00:06:20

Carton "Rückfahrt über Goxweiler nach den Standorten" ( = retour vers les positions en passant par Goxwiller)

Pano sur soldats au garde-à-vous sur la place de la gare à Strasbourg ; un officier arrive et salut un autre officier et les soldats

Les soldats se précipitent vers des cars et y montent

00:06:58

Groupe de soldats, deux officiers et un civil posent devant une bâtisse, certainement le restaurant Belle Vue qui faisait face à la gare

Les soldats entrent dans le restaurant

Métadonnées

N° support :  0024FS0002
Date :  1941
Coloration :  Noir et blanc
Son :  Muet
Durée :  00:07:11
Format original :  16 mm
Genre :  Documentaire
Thématiques :  Frontières, Guerre, Seconde Guerre mondiale : Occupation et annexion
Institution d'origine :  MIRA

Contexte et analyse


En octobre 1940, un décret du IIIe Reich annonce l’annexion de l’Alsace de facto par le Reich, après des mois de Drôle de Guerre et la signature de l’armistice de Rhetonde. L’Alsace est ainsi intégrée au Gau Oberrhein avec le Pays de Bade et administrée par le chef de l’administration civile, le Gauleiter Robert Wagner. Ce dernier, qui a quasiment les pleins pouvoirs en Alsace, ne tarde pas à mettre en place une administration allemande, à effacer et à faire détruire tout lien politique et culturel avec la France : les lieux d’enseignement sont placés sous contrôle allemand, la langue française et le dialecte sont interdits, les symboles français retirés, les noms germanisés. Ainsi, comme on le constate dans la séquence, la Place Kléber est renommée place Karl-Roos, le général français victorieux laissant la place à l’autonomiste alsacien, largement utilisé dans la propagande nazie. Le gauleiter Wagner mène ainsi à bien sa mission de de faire des habitants de ce territoire des Allemands appartenant pleinement au Reich. Cette annexion administrative est accompagnée d’une nazification des habitants de l’Alsace et de la Moselle par un embrigadement de masse de la population via des organisations nazies. Ainsi, dès 1940, le parti nazi, le NSDAP, déploie ses ramifications dans toute l’Alsace, poussant les habitants à adhérer à ses nombreux groupements paramilitaires, à l’instar du Nationalsozialistische Kraftfahrkorps (NSKK), dont le principal objectif est la formation mécanique des futurs soldats, le transport des hommes et celui des munitions. C’est cette organisation que filme ici le cinéaste.

Recrutement et adhésion à la NSKK en Alsace

En effet, le doute n’est pas permis. Les hommes défilant sur le film puis rassemblés à la caserne font bien parti des NSKK : ils en portent l’uniforme. On reconnaît le calot noir à ses deux boutons et à l’insigne triangulaire sur le côté composé d’un aigle posé sur une croix gammée et arborant les lettres N.S.K.K., insigne normalement fondue d’orange pour les unités en provenance du Gau Alsace. Les vestes étaient de couleur kaki, et les chemises et cravates portées par les soldats sur le film, couleur terre. Les pantalons et bottes étaient, quant à eux, noirs. Un peu plus loin sur le film, lors du rassemblement place Kléber, on reconnait les officiers de la NSKK à leurs vestes décorées mais aussi à leurs culottes bouffantes.

Le premier carton confirme cette hypothèse : l’évènement filmé est la prestation de serment à Strasbourg devant le Chef de corps Hühnlein[2] que l’on voit arriver place Kléber (à 02 :48), le Gauleiter Wagner à sa suite, pour saluer les troupes. Adolf Hühnlein est un haut dignitaire du IIIe Reich et proche d’Adolf Hitler depuis 1923, puisqu’il participa au putsch de Munich. Le Führer lui prouvera sa reconnaissance en faisant de lui, après sa mort, l’un des onze récipiendaires de l’Ordre allemand, qui est la plus haute distinction délivrée sous l’Allemagne nazie. En 1933 Adolf Hühnlein est nommé à la tête du Nationalsozialistische Kraftfahrkorps, qu’il dirige jusqu’à sa mort en juin 1942. Ce haut personnage, qui pourtant fait l’objet du titre de notre film, n’y apparaît finalement que succinctement. Il semble faire un passage rapide pour saluer les officiers et les troupes, ce à tel point qu’il n’est pas mentionné dans un court article au ton édifiant paru le 5 mai 1941 du quotidien de propagande Strassburger Neueste Nachrichten[3] évoquant cette manifestation.

A l'inverse, la présence d'Adolf Hühnlein et cette prestation de serment font l’objet d’un article de deux pages dans le Deutsche Kraftfahrt – Motorwelt[4] dans son édition de juin 1941, titré « Treuegelöbnis der Elsasser. Der Korpsführer vereidgt in Strasbourg 3000 NSKK-Männer », soit Serment d’allégeance des Alsaciens. Le chef de corps reçoit le serment de 3000 hommes du NSKK à Strasbourg. Bien que ces deux articles aient été écrit à des fins de prosélytisme, il est très probable que les hommes apparaissant à l’écran soient bien des Alsaciens. Il était fortement recommandé pour les Alsaciens et Mosellans de s’inscrire à l’un de ces groupes paramilitaires, obligatoires pour les fonctionnaires. On peut penser que de nombre d'entre eux se dirigèrent vers des organisations paramilitaires comme le NSKK, pour éviter d’être envoyés directement sur le front dans la future incorporation forcée qu’ils sentent peut-être venir, d’autant plus que les forces motorisées du IIIe Reich sont peu politisées par rapport aux autres organisations nazies : à terme le NSKK en Alsace est composé de 11000 hommes.

Ce qui frappe en premier lieu sur le film est l’écart d’âge entre les soldats : certain semblent très jeunes tandis que d’autres ont l’air de frôler la cinquantaine. En effet, l’organisation est ouverte à tous les âges : elle recrute des hommes entre 18 et 50 ans. Le groupe de soldats filmé à l’arrêt sur la place de la gare paraît aussi hésitant et rigolard, la marche n’est pas franche, la position non fixe, signes que certainement ils n’ont pas encore complété leur formation militaire. Il se dégage de cette séquence place de la gare une impression de flottement, comme si ces hommes n’avaient pas conscience de l’enjeu ou de la suite possible des évènements, ou qu’ils n'étaient pas là par pure conviction. Cette constatation tranche avec les articles de propagande du quotidien de l’époque susmentionné, qui évoque la « précision admirable » de la manifestation [5].

De la Manteuffel Kaserne, symbole de la puissance militaire allemande, à Goxwiller lieu de passage des troupes

Un passage marquant du film est la séquence se déroulant dans la caserne Manteuffel, lieu clé de la vie et de la formation militaire à Strasbourg. Impressionnant groupe de bâtiments de briques rouges, l’actuelle caserne Stirn fut achevée en 1887. S’étendant sur 4 hectares, elle fut la plus grande d’Europe et pouvait accueillir de nombreux militaires. Elle porte le nom d’un général de l’armée prussienne reconnu pour ses faits de guerre et qui fut nommé gouverneur du Reichsland d’Alsace-Lorraine. Comme de nombreux lieux alsaciens, la caserne change de patronyme au gré de l’Histoire : elle est renommée caserne Foch après la victoire de 1918, avant de retrouver son nom d’origine en 1940. A la Libération, elle prend définitivement le nom de caserne Stirn, et accueille un temps les prisonniers de guerre allemands. Les Alsaciens sous l’Annexion, aussi bien ceux intégrant des divisions paramilitaires de la NSDAP que les incorporés de force à partir d’août 1942, y sont rassemblés avant d’être envoyés dans leurs lieux de cantonnement à partir de la gare de Strasbourg, après l’appel et des formalités administratives[6]. C’est certainement ce qu’il se passe dans les instants non filmés par le réalisateur. Ici, nous assistons à la distribution des rations, comme l’indique le carton, sous forme de gruau tiré de cantines mobiles et distribuées dans des bols en carton. Là encore, règne une certaine détente parmi ces hommes de divers âges : ils se pressent, fument, rient… Cette scène tranche avec les autres films tournés sous l’Occupation dans les fonds MIRA. Le réalisateur a choisi une approche plus intime en s'arrêtant sur les visages, sur les interactions entre les hommes... N’oublions pas qu'ils ne sont pas tous là par réel choix : montrer une ambiance détendue est certainement calculé pour faire croire que ces Alsaciens sont heureux de servir le Reich.

Après la séquence tournée à la caserne Manteuffel, un carton nous apparaît encore, pouvant être traduit ainsi « Retour aux positions par Goxwiller ». En effet, plusieurs de ces NSKK, une trentaine, montent dans des bus. Nous les retrouvons ensuite posant devant un bâtiment dont l’enseigne a été peinte. Il s’agit du restaurant Belle Vue, situé en face de la gare de Goxwiller. On devine que les membres du NSKK devant le bâtiment vont s’y sustenter. Ils viennent certainement de descendre de leur train et attendent leur prochain moyen de transport « vers les positions ». Ce restaurant disposait une salle de bal, construite en 1902, qui accueillait toutes les festivités du village. Il fut rasé à la fin des années 1990. Une salle, située au sous-sol du restaurant, fut plus tard dans le conflit, un lieu de cachette des FFI, même si leur point de ralliement était le château du Landsberg, à une dizaine de kilomètres de là [7]. Une habitante du village se souvient que son père, qui était chauffeur de bus, fut réquisitionné et ramené de Goxwiller et vers Strasbourg par camion des soldats allemands non armés, confirmant que le village n’est qu’un point de passage des troupes : peut-être a-t-il transporté des hommes du NSKK ? C’est en 1944 que Goxwiller fut, comme de nombreux villages français, le théâtre de combats entre les forces alliées et les troupes allemandes. Le 23 novembre 1944, une centaine d’obus est ainsi tombé sur le village, endommageant trente-six bâtiments et tuant deux civils. Quatre jours plus tard, le village est libéré par la 2e DB de Leclerc.

La propagande sous le Troisième Reich : des défilés aux films d’actualités

L’avènement du régime nazi s’accompagne d’une imagerie et d’une symbolique fortes, afin de marquer les esprits et l’opinion publique. Les cérémonies de ce type sont un des outils de cette propagande, et sont par ailleurs très présentes dans les films tournés à cette période et issus des fonds MIRA, que les réalisateurs soient des amateurs éclairés ou non (Discours à Molsheim,Défilé nazi place Kléber et boulevard Wilson Strasbourg ), ou des professionnels comme ici. Les mises en scène pompeuses, l’ordre et la rigidité militaire, le nombre de soldats marchant en cadence dans des rues pavoisées sont autant d’éléments de décorum très présents dans ce film, orchestrés pour faire de ces différents évènements des moments à la gloire du Parti. Ces manifestations, qui se multiplient en Alsace, sont relayées dans des articles de presse mais se retrouvent aussi sur pellicule. On note par exemple la présence d’un photographe lors de la revue des troupe (voir à 03 :17).

Joseph Goebbels, ministre de la Propagande, a bien vite compris la puissance de l’image animée comme vecteur idéologique, et en a fait un des outils de communication principal du régime. La production cinématographique du IIIe Reich est très riche et de grande qualité sur le plan technique. Citons bien sûr la réalisatrice Leni Riefenstahl, une des figures de proue du cinéma de propagande sous le IIIe Reich, qui par ses films participa à la glorification du régime. Ces films étaient largement diffusés : dans les fonds MIRA nous comptons de nombreuses copies de documentaires, les Kulturfilms, produits par la RWU (note) distribuées notamment dans des écoles alsaciennes pour être vus par les élèves. Bien sûr, MIRA possède aussi plusieurs éditions des fameux Weltspiegel, produits par Degeto. Ces films d’actualités, édités à de grands nombres d’exemplaires sur des formats plus courts sont évidemment à la gloire du parti et relatent les batailles gagnées ou encore les visites du Führer, à grand renfort d’explications par carte et avec des prises de vue fortes. Ici, la stabilité de caméra, les cadrages étudiés et de qualité, la présence de cartons, ainsi que le placement du réalisateur nous laissent à penser que nous sommes en présence d’un cinéaste professionnel, habilité par l’administration nazie en vue de faire un film de propagande d’actualités. Le matériel utilisé confirme cette intuition. En effet, le format 16mm, dans lequel a été tourné ce film est un format professionnel, format plus pratique que le 35mm, car les caméras 16mm sont plus légères et manipulables donc plus transportables : ce format est prisé depuis les débuts du film documentaire de voyage.

Quel impact eurent ces défilés et ces films sur la population alsacienne ? Difficile de le quantifier. Ce qui est certain c’est qu’ici, on ne voit que peu de spectateurs strasbourgeois, quelques curieux place de la gare d'abord, puis des passants peu démonstratifs, contrairement à les applaudissements « en véritables vagues » et « au milliers de voix [faisant éclater] le « Sieg Heil » » relaté par un journaliste, après le discours du Gauleiter à la Halle du Marché, lors de cette même manifestation [8].

Bibliographie


BENE Krisztian, Les combats de l’unité française du NSKK en Hongrie. Étude de l’Académie hongroise des sciences. Consultable en ligne : http://real.mtak.hu/40527/1/Les%20combats%20de%20l%27unit%C3%A9%20francaise%20du%20NSKK%20en%20Hongrie.pdf

JOST Bertrand, Un instituteur alsacien dans la tourmente (1939-1945). Tome 5. Calleva, 2016. 432 p.

CRDP, La présence allemande. Consultable en ligne : http://www.crdp-strasbourg.fr/data/histoire/alsace-39-45b/textes/presence_allemande.pdf

Goxwiller: entre plaine et montagne, il est un lieu de libertés. Editions Coprur, Strasbourg 1989


Article rédigé par

Marion Brun, 05 février 2019


  1. En tant que partie d'une production amateur, cette séquence n'a pas reçu de titre de son réalisateur. Le titre affiché sur cette fiche a été librement forgé par son auteur dans le but de refléter au mieux son contenu.
  2. Le terme "Führerdiensttuer", semble être une construction (il n'est pas courant dans la langue allemande, voire inexistant) pour désigner les personnes effectuant ("tun", de faire, donne "tuer") le Service du Führer (le Führerdienst), soit à peu près tous les habitants du Reich, qui devaient être dédié à la cause du chef suprême. Ainsi pour les femmes, une façon de faire le Führerdiesnt étaient de donner des enfants sains au Reich.
  3. Quotidien mis en place dès juillet 1940 en remplacement des Dernières Nouvelles d’Alsace), article nous permettant d’ailleurs de dater précisemment la séquence.
  4. Cette revue mensuelle allemande créée en 1925 et l’une des plus diffusée d’Europe encore aujourd’hui et est principalement centrée sur l’automobile et le voyage. Sous le IIIe Reich, plusieurs articles ont été publiés à propos du Chef de corps des NSKK
  5. article SNN 5 mai 1941, réfé ? CRDP p. 52
  6. Dans l’ouvrage « Un instituteur alsacien dans la tourmente : Vicissitudes militaires, volume 5, Bertrand Jost, nous rapporte le témoignage d’un incorporé de force, Marius Meyer, instituteur qui en avril 1943, a été rassemblé avec d’autres soldats subissant le même sort dans cette caserne. Après l’appel et autres formalités, les soldats, venus parfois avec des membres de leur famille, sont dirigés vers la gare de Strasbourg, où, après les adieux, ils prennent place dans des convois les envoyant sur leurs nouvelles positions. L’instituteur évoquera cette scène dans un poème « Nach Küstrin », sa destination, dans lequel il mentionne la caserne « A la caserne Manteuffel Avait lieu le grand rassemblement… De là on partait au loin Au moins on n’était pas seul. »
  7. Entretien avec Bernard Meyer, habitant de Goxwiller et passionné de l'histoire de son village, des 14 et 18 janvier 2019
  8. article SNN 5 mai 1941, réfé ? CRDP p. 52