Bas:Crime et châtiment (0116FN0005)
Avertissement[1]
Événements filmés ou en lien
Résumé
Contexte et analyse
== Contexte général : du débarquement de Normandie à la Libération de la Seine-et-Marne (Source : BEEVOR Anthony, Paris libéré, 1944 – 1949)
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Après un débarquement fructueux en Italie le 10 juillet 1943, les Alliés se trouvent confrontés à une résistance de plus en plus féroce des Italiens, renforcés par les Allemands dans la région de Monte Cassino. Il faut donc trouver un moyen d’ouvrir un autre front. À l’Est, les Soviétiques se préparent eux-aussi à une grande offensive, l’Opération Bagration. Après de nombreuses délibérations, le choix se porte sur la Normandie, côte la plus éloignée de la Grande-Bretagne. Une vaste opération de désinformation est mise en place avec succès pour faire croire à un débarquement dans le Pas-de-Calais. Le 6 juin 1944, les Alliés débarquent avec succès en Normandie. S’en suit alors une avancée rapide, malgré des poches de résistance tenaces ici et là, comme par exemple à Falaise.
La route vers Paris était désormais ouverte. Pour les militaires de la France Libre, il s’agissait d’un enjeu idéologique primordial : il fallait absolument qu’une force militaire française soit la première à arriver dans la ville. Pour le général De Gaulle, une formation militaire en particulier devait absolument libérer la ville : la 2e division blindée (« DB ») du Général Leclerc.Les événements s’accélèrent dans la capitale : craignant un soulèvement, les autorités allemandes décident le 15 août de désarmer la police de Paris, ce qui entraîne une grève générale de celle-ci. Craignant d’être assimilés aux nazis, de nombreux policiers avaient en effet rejoint le Parti communiste, la carte du parti devant les protéger une fois la ville aux mains des Alliés. Le débarquement sur la côte méditerranéenne le même jour encouragea d’autant plus les Parisiens à la dissidence. Deux jours plus tard, les Parisiens voyaient de grandes colonnes de véhicules allemands évacuant la ville, accompagnés de « pillages de dernière minute ». Le 18 août, des tirs sporadiques commencèrent à se faire entendre dans certains quartiers de la capitale, accompagnés du retour du drapeau français sur le toit de plusieurs édifices publics, notamment sur le toit de la préfecture de police de l’île de la Cité. Le préfet de Police de Vichy fut arrêté et remplacé par un gaulliste, Charles Luizet. L’insurrection fut lancée par la police, les gaullistes furent forcés de suivre le mouvement malgré les réticences de De Gaulle. Les combats furent par endroit très violents : la préfecture de police de l’île de la Cité fut assiégée et pilonnée par des chars qui, heureusement, ne firent que peu de dégâts. Le 20 août, le Conseil National de la Résistance (« CNR ») parvint à prendre de l’Hôtel de Ville - en y excluant les communistes - afin de donner une légitimité républicaine à leur mouvement. Ils devaient essuyer durant les quatre jours suivant des tirs nourrit de mitrailleuses allemandes.
De leur côté, De Gaulle et Leclerc craignaient la mise en place d’une nouvelle Commune, d’autant plus que les Américains ne semblaient pas pressés de marcher sur Paris. Ces derniers craignaient que libérer la ville – et donc par conséquent nourrir ses habitants – ne signifie manquer de ravitaillement pour les armées poursuivant les Allemands dans le nord du pays. En outre, Leclerc craignait que la ville ne soit détruite si les Alliés n’agissaient pas rapidement. Dans la capitale, les barricades se dressaient progressivement, le but étant d’empêcher les Allemands de se déplacer. Le 22 août, une station de radio fut mise en place par les insurgés « Radiodiffusion de la Nation Française » afin de faire entendre la voix de la Résistance. Outre les proclamations et l’hymne national qui étaient diffusés fréquemment, les auditeurs pouvaient y entendre des conseils pratiques, des indications quant aux rues les plus dangereuses etc. Ce même soir du 22 août, le commandement américain changea d’avis, un messager ayant réussi à convaincre Eisenhower de la catastrophe que représenterait un Paris en ruine. Leclerc reçu enfin l’ordre qu’il attendait : marcher sur Paris.
La libération de la Seine-et-Marne
Le département de Seine-et-Marne voit les premiers combats commencer autour du 20 août et durent jusqu’au 29. Le secteur voit des troupes allemandes en retraite, dont certains éléments tentent d’interdire le passage aux Américains qui tentent de les rattraper. Cette retraite est marquée de nombreux massacres « […] qui font de la Seine-et-Marne un département durement éprouvé par les combats de la Libération. » L’objectif des Allemands dans la région est la destruction systématique des ponts afin de ralentir l’avancée des Alliés, ce qu’évidement les groupes de résistants locaux cherchent à éviter. L’offensive américaine est double : elle se porte à la fois vers le sud de département, espérant atteindre les ponts de Souppes et de Nemours et le nord par Fontainebleau. Bien que les combats pour Souppes se révèlent sanglants, notamment du fait de l’utilisation de méthodes de terreur par les Allemands (otages, exécution de masse), ces derniers ne parviennent toutefois pas à détruire le pont. Ce n’est pas le cas des autres objectifs, les ponts de Gretz ayant par exemple été détruits. Le pont de Fontainebleau devient alors d’une importance capitale pour traverser le Loing.
La région forestière de Fontainebleau est alors tenue par les résistants, qui utilisent l’avantage conféré par le terrain pour harceler les troupes allemandes en retraite. Les Américains entrent dans la ville le 23 et foncent vers le pont de Valvin qui finira tout de même par être détruit par un obus. Les combats entre les deux rives deviennent très violents, les combattants se retrouvant piégés entre l’artillerie des deux camps. Finalement, le 24, les Américains parviennent tant bien que mal à établir un pont de bateaux pneumatiques.Pierre Piganiol : un cinéaste résistant
Né à Chambéry en 1915 et décédé à Paris en 2007, Pierre Piganiol est un chimiste, mais également un résistant. Mobilisé durant la « drôle de guerre », il entre à l’ENS après la capitulation de la France. Il y fonde un réseau de résistance, qui se charge de faire passer des informations pour la France Libre à Londres. En 1944, son ami, Raymond Croland, cofondateur du réseau de résistance, est arrêté et déporté à Buchenwald, forçant Pierre Piganiol à entrer dans la clandestinité. C’est dans ces années 40, et principalement vers la fin du conflit que Pierre Piganiol commence à filmer. Ce film de libération est donc l’un de ses premiers films. Le moment n’est probablement pas un hasard, la Libération devant avoir été un moment fort pour nombre de résistants, et particulièrement pour les résistants de la première heure comme Pierre Piganiol.
L’incendie : le crime dans le film de Pierre Piganiol
L’incendie de ce que l’on devine être la forêt de Fontainebleau est l’un des éléments principaux du film. Il serait le crime des Allemands, les Américains et la Libération leur châtiment. D’après la Revue forestière française, l’incendie de la forêt de Fontainebleau aurait été dû à « un feu venant d’Arbonne [qui] a franchi le périmètre sur plusieurs kilomètres de front en 1944 ». L’incendie à t-il donc été causé volontairement par les Allemands ? Quelques jours avant la libération, le 17 août 1944, trente-six résistants sont sortis des prisons de Fontainebleau et amenés à une carrière de sable non loin de ce village pour y être fusillés. Il est possible que les Allemands aient déclenché l’incendie après avoir exécuté ces résistants afin de couvrir leurs traces. Le « crime » serait alors le meurtre, l’incendie, le moyen de le cacher. Comme Rodion Raskolnikov, le personnage principal du roman éponyme de Dostoïevski, les Allemands auraient tentés de camoufler leur crime par un autre.
Cependant, il est plus probable que pour Pierre Piganiol – qui n’avait peut-être pas été au courant des exécutions au moment de la réalisation de son film – l’incendie ait été le seul crime des Allemands. Plusieurs indices nous l’indiquent. Dans la dernière partie de son film « les traces du crime », Pierre Piganiol laisse explicitement entendre que le feu fut déclenché volontairement par les Allemands. Un jerrican, qui servit probablement à transporter du carburant est mis plusieurs fois en valeur par le cinéaste, et notamment via un panorama de gauche à droite, filmant la dévastation de l’incendie, et se terminant sur le jerrican reposant sur un sol carbonisé (plan 70 : 8min25 – 8min28)
L’incendie est présent dès les premières secondes du film. Le cinéaste le filme à la fois comme une catastrophe phénoménale, mais aussi comme un drame. Plusieurs scènes illustrent ces ressentis. Les flammes sont bien souvent filmées en contreplongée, accentuant l’effet écrasant qu’elles exercent sur le spectateur (Plan 11 :1min14-1min26 ; Plan 13 : 1min37 – 1min42). Un plan en particulier accentue le dramatique : on y voit un sapin, à priori épargné par les flammes, debout au milieu d’un paysage récemment ravagé par l’incendie.
La Libération dans le film de Pierre Piganiol
La Libération est au centre du film de Pierre Piganiol. On peut y voir la joie des habitants de Saint-Martin-en-Bière, qui est filmé avant même l’arrivée des Alliés. En effet, « à l’aube du 23 », un homme est filmé par le cinéaste en train d’escalader le toit de sa maison afin d’y hisser le drapeau français sur sa cheminée (Plan 24 à 29 : 2min 56 – 3min 32). Pierre Piganiol utilise sa caméra pour placer le spectateur dans ses chaussures. Les évènements, sont presque toujours filmé comme si le cinéaste était un villageois comme les autres, observant l’arrivée des Alliés comme les autres. Ainsi, même des scènes qui peuvent paraître comme symbolique, tel le gros plan sur le drapeau français flottant au vent peut être interprétées comme le regard d’un habitant – qui plus est engagé dans la résistance, fier de pouvoir enfin afficher les couleurs de son pays après quatre ans d’occupation.
Il en va de même pour les scènes de l’avion de reconnaissance. Pierre Piganiol se place tout d’abord à l’avant de la foule, et pointe sa caméra sur l’avion amorçant ses manœuvres d’atterrissage. On peut interpréter cette partie du film comme étant l’œil d’un habitant curieux, qui n’a probablement encore jamais observé d’avions – en tout cas pas de près – et qui donc fixe ce curieux engin du regard (Plan 37 à 44 : 4min17 – 5min01). Un fois l’avion atterrit, le cinéaste filme la foule des habitants se précipiter sur l’avion pour féliciter le pilote et examiner l’avion de plus prêt. (Plan 45 à 59 : 5min02 – 6min33).
Ce parti prit de filmer les évènements comme un observateur parmi les autres peut se retrouver dans les autres films de Pierre Piganiol réalisés durant cette période. Ainsi, le film immortalisant l’arrivée des troupes françaises – dont le cinéaste fait partie – en Allemagne est tourné de la même façon.Ce document est en outre l’occasion d’observer le comportement des habitants d’un petit village de région parisienne lors de la Libération. La joie et l’euphorie sont de mises sur pratiquement toutes les scènes où une foule est filmée. Les enfants en sont les principaux témoins dans ce film. De nombreuses scènes les montres sur les véhicules des Américains entrant dans le village – que ceux-ci soient à l’arrêt ou non – et tous affichent un grand sourire. Deux plans en particulier illustrent ce propos. Le premier, le plan 32 (3min44 – 3min51), montre plusieurs enfants, assis sur un blindé de reconnaissance américain.
Sur cette scène, deux petites filles y agitent des drapeau français, symboles à la fois de la confiance des habitants qui laissent leurs enfants approcher les militaires Alliés, mais aussi de l’engouement patriotique de ces derniers jours du mois d’août. Le second plan, le plan 50 (5min35 – 5min44), nous montre un enfant à bord du siège passager d’une jeep américaine traversant le village. Ce dernier serre les mains des habitants comme s’il était personnellement venu les libérer, un énorme sourire traversant son visage. Les deux militaires à bord de la jeep affichent eux-aussi un grand sourire, témoignant de l’euphorie contagieuse régnant dans le village ce jour-là.
Conclusion
Le film de Pierre Piganiol, tourné dans les premières heures de la Libération de la Seine-et-Marne, permet d’observer la réaction d’un petit village durant cet évènement. Cela d’autant plus que Pierre Piganiol film cet évènement comme s’il n’était qu’un habitant parmi d’autres, comme s’il n’avait pas de caméra. Son film témoigne de l’euphorie ressentie par les habitants de la commune, à tel point d’ailleurs qu’en voyant ces images, on ne se douterait pas que de sanglants combats ont lieux à moins de dix kilomètres de là. Il montre également le soulagement de ses compatriotes qui en plus de fêter leur libération, fêtent la fin de la guerre, dont le front s’éloigne progressivement de leur petit village.Lieux ou monuments
Bibliographie
Anthony BEEVOR, Paris libéré 1944-1949, Paris, éditions Perrin, 2014.
Claude CHERRIER, Musée de la Résistance en ligne, « La Seine-et-Marne, 20 au 29 août 1944 »(URL :http://www.museedelaresistanceenligne.org/expo.php?expo=84&theme=157&stheme=320)
G. MOUTON, « Lutte contre les incendies en forêt de Fontainebleau », Revue forestière française, 1950.
Pierre PAPON, « PIGANIOL Pierre (1915-2007) », Encyclopaedia Universalis, (URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/pierre-piganiol/)
Article rédigé par
Clément Brestel, 07 janvier 2021
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