Camping familial à Grendelbruch (Hohbuhl) (0003FH0008)


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Résumé


Cette séquence tournée dans les Vosges à la fin des années 1960 documente les vacances sous la tente des familles Albert et Lemonnier. Malgré une mauvaise conservation – plusieurs parties sont illisibles -, la séquence dénote une très grande attention accordée par le caméraman à la composition de l’image afin de créer un souvenir d’un moment de bonheur familial.
Développer

Métadonnées

N° support :  0003FH0008
Date :  1967
Coloration :  Couleur
Son :  Muet
Durée :  00:07:56
Cinéastes :  Albert, Jean
Format original :  8 mm
Genre :  Film amateur
Thématiques :  Corps et santé, Environnement, Activités de plein-air
Institution d'origine :  MIRA

Contexte et analyse


Mr Lloyd George et sa famille en camping. Agence photgraphique Rol. Source : Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, EST EI-13 (302)

Pratique née à la fin du XIXe siècle dans les mouvements excursionnistes, auprès des citadins bourgeois qui cherchaient l’activité physique au grand air, le camping devient à partir des années 1950 un loisir familial et populaire. Depuis la mise en place des congés payés en 1936, il représente en effet un moyen relativement bon marché pour les Français de profiter de leurs deux, puis trois semaines de vacances. Sous l’effet de la massification des loisirs, cette pratique de plein air se sédentarise et est rapidement soumise à règlementation, dès les années 1960-1970. Une réelle industrie touristique du camping se développe alors, reposant en particulier sur un matériel technique adapté[2]. Ce film de vacances, qui retrace les vacances sous la tente à la Hohbuhl, non loin de Grendelbruch dans les Vosges en 1967, se situe donc temporellement juste avant le développement du camping de masse. En Alsace, le camping s’est implanté de façon précoce au début du XXe siècle sous l’influence allemande des associations excursionnistes et naturistes très puissantes dans la région. Grâce à la démocratisation de la voiture dans les années 1950, les citadins peuvent facilement partir à l’assaut de la montagne et profiter des jours fériés ou congés en famille. Dans cette séquence, on observe une forme de camping sauvage. Il est cependant assez étonnant pour le spectateur actuel de voir que le lieu choisi pour planter la tente se situe juste à côté d’une route de montagne. Bien que l’on voie ici passer une ou deux voitures, la fréquentation des axes routiers, d’autant plus les routes de montagne, était alors bien moins importante qu’aujourd’hui.

Le camping ou le bal des objets

Un loisir matériel

Association Camping et Culture, Valmondois. © Marcel Cerf / BHVP / Roger-Viollet, NN-010-0223

Cette séquence témoigne de l’essor de la culture matérielle du camping dans les années 1960, soutenue par une production industrielle croissante. Depuis le début de la pratique, le matériel joue un rôle primordial pour les campeurs, devant allier légèreté et praticité[3]. Cela concerne tout d’abord la tente. Les familles Albert et Lemonnier en possèdent deux modèles qui représentent bien l’évolution de la pratique. La plus petite (de couleur beige) dite « canadienne », faite de pans de tissus tendus sur deux mâts, correspond au modèle des origines fait pour les sportifs itinérants. La plus grande (de couleur bleue), tente familiale à armature et fenêtres dans laquelle on tient debout, reflète la transformation de la pratique en un loisir familial. C’est une véritable maison en toile puisqu’elle possède un auvent qui fait office de salle à manger et une chambre séparée. Par ailleurs, les années 1960 marquent le passage de l’ère l’aluminium[4] au règne du plastique dans le matériel de camping. Les objets en métal léger sont encore bien représentés dans la séquence : table, chaises pliantes – voire chaises pour enfants -, lit de camp ; mais on observe déjà les premiers objets en plastique comme le matelas gonflable. Ce qui nécessite le plus de matériel est certainement la préparation et la consommation des repas. Les familles Albert et Lemonnier ne semblent pas disposer d’ustensiles spécifiques car elles ont ramené couverts, verres et assiettes en céramique de leur propre cuisine. Cependant, le prototype de l’objet du campeur est bien présent : le réchaud à essence (on voit le jerricane à l’arrière-plan). L’avant-dernière scène est en ce sens typique du camping qu’elle documente un savoir-faire particulier, la préparation du café le matin, qui est presque représentée comme un art. La caméra suit en effet tout le processus, de l’allumage du réchaud à la cérémonie de la première gorgée avalée par Jean Albert, qui se joue de la caméra en faisant d’abord des mimiques de dégoût avant de faire un signe d’approbation de la tête.

Affiche « Dans la nature on entend, le camping c’est Trigano, location sans caution », Imprimerie de la Cinématographie française, 1968, Source : Ville de Paris / Bibl. Forney / Roger-Viollet. Cote : AF 150779 GF

Une culture « camping »

Les deux familles apparaissent donc comme étant très bien équipées pour la pratique. Il semble en effet que les Albert soient des habitués du camping. Un signe de cette longue expérience pourrait être les fanions accrochés à la tente canadienne représentant des drapeaux nationaux. Jean Albert les met effectivement en avant à plusieurs reprises à travers des gros plans, comme pour affirmer un statut d’expert de la pratique. Ils correspondent certainement à des pays où la famille a déjà campé. On reconnaît par exemple les drapeaux de la Suède, de la Suisse, de la Norvège (la ville de Trondheim, dont le nom est cousu sur l’un des fanions, se trouve en Norvège) ou encore de l’Autriche, pays où la famille Albert a passé ses vacances la même année. Tous ces éléments, associés aux multiples objets du quotidien composent donc une culture « camping ». Ils contribuent à ritualiser le loisir en instaurant des moments de convivialité autour de leur utilisation : le repas autour de la table, la détente dans la tente ou sur le lit de camp voire la lassitude sur le matelas gonflable.

Une esthétique de la toile de tente

Cette matérialité de la pratique se retrouve jusque dans le cadrage des images. Il est en effet fort intéressant de remarquer que la toile de tente est très souvent présente au premier plan, venant obstruer une partie du champ. Il ne s’agit pas d’un défaut de cadrage car Jean Albert est un cinéaste amateur averti qui réfléchit ses angles de vue avec soin. Ces plans dénotent bien au contraire d’une volonté d’insérer à tout moment l’objet tente dans l’image. L’opérateur indique ainsi au spectateur soit qu’il se trouve dans la tente (00:03:24), soit qu’il se trouve derrière celle-ci (00:00:46), comme s’il s’agissait d’une prise de vue à la dérobée. Quoi qu’il en soit, l’opérateur contextualise de cette façon les images et leur donne de l’épaisseur. Jean Albert expérimente dans ce film ce qu’on pourrait appeler l’esthétique de la toile de tente. Ce regard cinématographique particulier révèle l’importance des objets dans la pratique du camping.

Le film comme souvenir des vacances en familles

Cette séquence est l’exemple typique d’un film de vacances. La caméra permet en effet à l’opérateur, en l’occurrence le père de famille, de créer un souvenir en retraçant le déroulé des journées et en mettant en scène les moments de bonheur. Le film documente les vacances en camping de la famille Albert et de la famille Lemonnier en 1967. Les Lemonnier sont des amis de longue date du couple Albert car ils étaient déjà présents lors du mariage de Jean et Denise en 1958, comme documenté dans le film « Dans le sillage d’une mariée » 0003FH0004. Le film a été tourné en majeure partie par Jean Albert, même s’il a certainement prêté sa caméra à son ami ou à sa femme, puisqu’il apparaît lui-même à l’image dans l’une des dernières scènes en train de préparer le café.

Une journée type au camping

Documentant les différents moments de la journée de vacances – levée, jeux, repas, détente - le film fait en quelque sorte office de journal de bord pour la famille. Il se déroule en effet sur plusieurs jours comme le prouvent par exemple les différentes expositions lumineuses (00:00:43 et 00:03:25). Dès le début, le contexte est planté : une voiture circule sur une route de montagne, bagages et matériel de camping sur le toit. Ce plan en mouvement, qui est filmé à partir de la voiture de derrière comme en témoigne l’apparition furtive du volant en bas de l’image, est un classique du départ en vacances. Il s’agit presque d’un topos cinématographique du film de vacances. Jean Albert filme ensuite à de nombreuses reprises les repas qui rythment les journées : déjeuner et petit-déjeuner. Enfin, l’opérateur suit les activités de loisir des enfants, principalement les jeux tels que le ballon ou la pétanque.

Le bonheur familial : les enfants

En se focalisant ainsi sur les enfants, le film de vacances veut donner à voir le bonheur familial afin de souder les membres. Jean Albert concentre ainsi son attention sur les moments de complicité entres parents et enfants. Il filme par exemple à deux reprises les enfants qui s’amusent à s’en prendre à M. Lemonnier - qui se prête allègrement au jeu - en le faisant rouler sur la pente (00:01:07) ou en l’attaquant (00:01:56). Il ne s’agit pas seulement de scènes de divertissement mais aussi de moments d’apprentissage. En bon père de famille, Jean Albert accorde une importance particulière à la transmission des savoirs aux enfants. Il fixe par exemple sur la pellicule son plus jeune fils en train de regarder à travers des jumelles (00:01:10) ou bien l’apprentissage du football par M. Lemonnier (00:03:17) qui, d’un geste de la main, enjoint le garçon de venir le rejoindre, certainement pour lui montrer la technique. Le résultat de cet apprentissage est tout aussi important puisqu’il est mis en valeur par des gros plans. C’est le cas lorsque l’aîné de ses fils plante une dague dans l’herbe ou lorsque les trois garçons lancent les boules de pétanque à la fin de la séquence, révélant la fierté du père. Mais toutes ces scènes ne sont pas filmées à la dérobée. Elles résultent souvent d’une mise en scène orchestrée par l’opérateur qui demande aux enfants de jouer aux acteurs. On le voit très bien à la seconde 00:01:33, lorsqu’il filme de l’intérieur de la tente la culbute de son fils à l’extérieur. C’est comme un spectacle, la toile de tente faisant office de rideaux. Autre élément visuel typique de ce bonheur familial, c’est le chien, fidèle compagnon des enfants. Il est particulièrement mis en valeur par les gros plans. On a donc affaire au regard d’un père qui construit à l’image le bonheur familial.

Par cette focalisation sur les enfants, ce film est typique des productions familiales de vacances. Il révèle par ailleurs un regard cinématographique d’une très belle qualité qui met en avant la matérialité du camping.

Bibliographie


CORBIN Alain « Les vacances et la nature revisitée (1830-1939) », dans : CORBIN Alain (dir.), L'avènement des loisirs : 1850-1960, Paris, Flammarion, 2009

LEYMONERIE Claire, RENAUX Thierry, « Les objets du campeur. De l'explorateur au nomade des loisirs », Cahiers d'histoire de l'aluminium, 2012/1 (N° 48), p. 4a-37a. Disponible sur : https://www.cairn.info/revue-cahiers-d-histoire-de-l-aluminium-2012-1-page-4a.htm [consulté le 05/03/2019]

RICHEZ Jean-Claude, « Les Vosges comme espace de loisir au XIXe siècle », dans : RAUCH André (dir.), Sports et loisirs en Alsace au 20ème siècle, Revue EPS ; Strasbourg : Centre de recherches européennes en éducation corporelle, 1994, p.91-102

SIROST Olivier, « Les débuts du camping en France : du vieux campeur au village de toile », Ethnologie française, 2001/4 (Vol. 31), p. 607-620. Disponible sur : https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2001-4-page-607.htm [consulté le 05/03/2019]
© OpenStreetMap contributors


Article rédigé par

Amélie Kratz, 23 avril 2019


  1. Aller En tant que partie d'une production amateur, cette séquence n'a pas reçu de titre de son réalisateur. Le titre affiché sur cette fiche a été librement forgé par son auteur dans le but de refléter au mieux son contenu.
  2. Aller LEYMONERIE Claire, RENAUX Thierry, « Les objets du campeur. De l'explorateur au nomade des loisirs », Cahiers d'histoire de l'aluminium, 2012/1 (N° 48), p. 4a-37a. Disponible sur : https://www.cairn.info/revue-cahiers-d-histoire-de-l-aluminium-2012-1-page-4a.htm [consulté le 05/03/2019]
  3. Aller Ibid, p.11
  4. Aller Ibid