Coeurs vaillants de Saint Etienne en sortie à Heiligenberg(43AV1)
Résumé
Contexte et analyse
Les Coeurs Vaillants et le patronage : l'Eglise catholique au service de la jeunesse
Le mouvement des Coeurs Vaillants, issus des patronages et de nature profondément catholique, s'intègre en réalité dans une dimension plus large d'un nouveau rapport à l'enfance. Associé au catholicisme social, le patronage vise à redynamiser les rapports éducatifs entre l'Eglise et les populations - et plus particulièrement auprès de la jeunesse - dans le but d'offrir un cadre à la fois structurant mais aussi ludique aux enfants catholiques. Par cette prise en charge éducative, l'Eglise s'octroie une place nouvelle auprès de ses fidèles : les parents confient leurs enfants à des encadrants qui s'attachent à leur transmettre des valeurs chrétiennes, des valeurs en lesquelles les adultes croient et qu'ils désirent voir transmises à leurs progénitures.
Dans la France de l'intérieur, après avoir perdu le terrain de l'éducation scolaire depuis la fin du XIXe siècle avec la succession des lois soulevant les questions de la laïcité de l'enseignement (lois Falloux, Goblet et Ferry notamment), s'ajoute en 1905 la séparation des Eglises et de l'Etat, mettant un terme à la collaboration entre le clergé et les écoles. Ce bouleversement organique ne concerne pas l'Alsace et la Moselle, allemandes à ce moment-là, et protégées à leur retour par le Concordat. Pour faire face à cette perte d'influence en France, l'Eglise s'arroge alors le domaine de l'éducation extra-scolaire dans le but de s'approcher des jeunes, et cette ambition ne va pas sans profiter à l'Alsace et son organisation scolaire qui dépend encore largement des institutions religieuses. En choisissant le biais de la presse enfantine, l'Eglise peut directement s'adresser à la jeunesse catholique prenant pour cible ses centres d'intérêts. Le journal Coeurs Vaillants voit alors le jour en 1927 sous un format hebdomadaire dans lequel on peut retrouver à la sortie de la messe les aventures de "Tintin et Milou". L'idée derrière ce petit illustré est de créer une sorte d'esprit unificateur où des valeurs communes sont partagées. C'est donc en toute logique que l'esprit "Coeur Vaillant" se transforme au-delà des images en un véritablement mouvement de jeunesse à partir de 1936.
Les Coeurs Vaillants, cette fois en tant que mouvement, se concentrent plus à former un esprit de groupe impliqué dans la vie locale qu'à s'exercer à des activités physiques et pratiques. Les excursions des Coeurs Vaillants se limitent en général à des sorties comme ici à Heiligenberg, laissant les camps de vacances aux scouts.
Une sortie à la montagne
Ce film retrace la sortie des Coeurs Vaillants du Collège de Saint-Etienne à Heiligenberg le 13 mai 1956 dans un petit village situé dans les hauteurs du massif vosgien, afin de profiter d'activités extérieure à la ville le temps des quelques jours de congés offert par le week-end de l'Ascension. La joyeuse troupe s'y rend en train, en témoigne ce très long plan sur le quai de gare en attendant l'arrivée d'un train qui n'est pas sans rappeler L'Arrivée d'un train en gare de La Ciotat des frères Lumières (1896). Dans cette première séquence narrative, on peut apercevoir en arrière-plan légèrement surexposé la bourgade et le clocher de l'église Saint-Vincent, la bâtisse apparaissant en contre-haut.
Le convoi arrivant en gare ne semble pas être celui par lequel est arrivé le cinéaste, l'Abbé Paul Ringeissen. Familier avec ces excursions, le professeur a pour habitude de se charger de l’approvisionnement - qu’il achemine avec son éternelle 2CV - et de réceptionner le groupe d'enfants et d'encadrants à la gare. La longueur du plan laisse aussi penser que le réalisateur a une idée très précise de ce qu'il souhaite pour construire son plan narratif, bien établi dans son esprit. Le film et ses plans successifs ne sont pas mis en scène, comme en témoigne l'attitude spontanée des enfants, habitués à la caméra de l'enseignant : grands sourires, ils semblent ravis de voir la caméra pointée sur eux. Mais cela ne signifie pas pour autant que le choix des différents plans est laissé au hasard ! En effet, le cinéaste souhaite retracer le déroulement de la journée, de manière chronologique, tout en utilisant les secondes de sa bobine avec parcimonie. Ces plans choisis mais non mis en scène apportent une certaine naïveté au film, tout comme ses petites erreurs techniques : la main tremble beaucoup, certains plans sont surexposés et d'autres trop longs. Mais le carton introductif dénote tout de même d'une attention particulière accordée au montage. Paul Ringeissen n'est pas un grand cinéaste et n'aspire pas à le devenir, il aime filmer pour ses souvenirs tout comme il apprécie le cinéma et ces quelques jours de sorties ne dérogent pas à ses habitudes.
C'est l’abbé lui-même qui a introduit la section des Cœurs Vaillants au sein du Collège Saint-Etienne, la même année en 1956, profitant du Concordat pour construire ce groupe au sein même de l’établissement dans lequel il enseigne. Ce film n’avait certainement pas de vocation plus ambitieuse que de faire revivre cette journée à un public très restreint, comme des parents d’enfants ou les élèves eux-mêmes lors des séances cinéma qu’il organisait toutes les semaines dans la crypte du collège pour les internes. Les plans ne sont pas très recherchés mais nous livrent tout de même un certain nombre de détails, notamment sur l’organisation du mouvement. Le groupe des Cœurs Vaillants, exclusivement masculin - tout comme le collège - présente une différence d’âge notable entre tous les enfants. Les plus jeunes sont plus enthousiastes que les grands qui, plus calmes, restent entre eux. Les plans sur les enfants se succèdent : les garçons jouent, se défoulent. Sur tous les plans, les jeunes Coeurs Vaillants s'amusent avec des bâtons, chahutent mais semblent plus vouloir attirer l’attention de la caméra que faire preuve de mauvaise conduite. Les encadrants, ne sont autre que les surveillants du collège, sont filmés de très près où l’on peut voir leurs expressions se durcirent, demandant aux jeunes de faire preuve de discipline malgré ce contexte d’excursion. Les enfants sont alors focalisés sur les adultes qui rappellent quelques règles de conduite avant de partir pour la randonnée qui suit. Pour illustrer cette promenade, le cinéaste effectue quelques panoramas, notamment sur la vallée de Bruche et sur ce qui ressemble à un rocher, très nombreux dans la région. Mais la nature ne semble pas être le sujet principal de ce film qui se concentre essentiellement sur les enfants et le peu d'éléments topographiques ne nous permet pas d'identifier avec certitudes les différents lieux de tournage.
Et comme "après l'effort, le réconfort", les plus jeunes des garçons, habillés de culotte-bretelle, arrivent en courant pour le goûter. Aussi appelé lederhose, cet accoutrement tout droit venu d’Allemagne constitue depuis le début des années 1950 l’habit typique des adhérents aux mouvements de jeunesse et dont on doit sa popularisation dans le reste de la France à l'Alsace.Bibliographie
CHOVLY (Gérard), dir., Mouvements de jeunesses. Chrétiens et juifs : sociabilité juvénile dans un cadre européen, 1799-1968, Le Cerf, Paris, 1988.
FAUVEL-ROUIF (Denise), dir., La jeunesse et ses mouvements : influence sur l’évolution des sociétés aux XIXe et XXe siècle, Commission internationale d’histoire des mouvements sociaux et des structures sociales, Éditions du CNRS, Paris, 1992.
FEROLDI (Vincent), La Force des enfants. Des Cœurs vaillants à l’A.C.E., Éditions ouvrières, Paris, 1987.
Entretien avec Monsieur Louis Schlaefli, collègue et ami de longue date de l'Abbé Paul Ringeissen, le 15 janvier 2020 à Strasbourg.
Article rédigé par
Clara Picarles, 22 décembre 2019