Leclerc à Strasbourg (0005FH0006)
Résumé
Contexte et analyse
Deux ans jour pour jour après sa libération, l’Alsace n’est pas encore tout à fait remise des épreuves de l’annexion allemande du 27 novembre 1940. Sous la férule nazie, la répression politique constante avec l’internement au camp du Struthof, l’expulsion brutale des Juifs spoliés, l’incorporation de force des jeunes hommes dans la Wehrmacht et la collaboration laissent des traces profondes. La région sort également meurtrie des bombardements alliés, la population se sent stigmatisée du fait de la mise en cause des « malgré-nous » dans la destruction d’Oradour-sur-Glane. Cependant, la fin de la guerre a apporté un soulagement pour beaucoup, et nombreux sont ceux qui rivalisent dans la démonstration de leur amour de la France – d’autant que la République ne commet pas l’erreur de 1919 et de la mise sous tutelle par un commissariat.
Pour le second anniversaire de ces quelques jours qui ont ébranlé l’Alsace revient des colonies où il continue de servir la nation le général Philippe Leclerc de Hauteclocque, commandant de la 2ème division blindée ou 2ème DB. Débarquée le 1er août 1944 à Utah Beach, héroïne de la libération de Paris trois semaines plus tard, l’unité des Forces françaises libres parvient en Alsace après avoir été stoppée par la ligne de défense allemande dans les Vosges. Son contournement par une manœuvre rapide ouvre la voie de Strasbourg que Leclerc avait juré de libérer dans le serment de Koufra du 2 mars 1941 : « Jurez de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs, flotteront sur la cathédrale de Strasbourg ». C’est chose faite le 23 novembre, deux jours après celle de Mulhouse par le général Béthouart remonté de Provence où il avait débarqué le 15 août. La guerre n’est pas finie, puisque la contre-offensive Nordwind menace sérieusement la ville en janvier 1945, et que les combats pour la réduction de la poche de Colmar se rangent parmi les plus âpres de la reconquête du territoire national.
Leclerc et la France en majesté
Philippe de Hauteclocque (1902-1947) est un militaire de carrière qui a choisi la cavalerie ; une chute de cheval le handicape à vie et le rend aisément reconnaissable. Fait prisonnier, relâché et blessé à la tête pendant la campagne de France, le capitaine refuse la défaite et rejoint Londres dès le 24 juillet 1940. Ayant pris le nom de guerre de Leclerc, il y fait la conquête de De Gaulle, qui le promeut et l’envoie en Afrique équatoriale française. C’est là qu’il s’empare d’une oasis, Koufra, et fait avec ses 300 hommes le fameux serment. Jusqu’en 1944, il unifie la future armée de libération, et réorganise sa 2ème division blindée sur le modèle américain. C’est sur son insistance et celle de De Gaulle que les Américains autorisent sa division placée sous tutelle du général Patton à foncer sur Paris en août 1944 pour forcer les Allemands à renoncer à la capitale insurgée. Une fois l’Allemagne soumise, Leclerc part pour l’Asie, reçoit la reddition japonaise avec les Alliés, et entame la reconquête de l’Indochine qui s’achève en mai 1946. Son ascension s’arrête brusquement : promu général de division, il devient inspecteur des forces terrestres en Afrique du Nord en juillet 1946, où il périt dans un accident d’avion un an et demi plus tard.
Auréolé de sa victoire en Indochine mais humilié par sa rétrogradation, Leclerc ne boude pas le plaisir d’un bain brûlant de ferveur populaire. S’il partage avec Rol-Tanguy la gloire d’avoir libéré Paris, nul ne conteste ce que proclament calicots et panneaux les 22 et 23 novembre 1946 en Alsace. Dans les images tournées par Robert-Charles Weiss, qui jouit d’une notable liberté de filmer, le général aux quatre étoiles et à la grand-croix de la Légion d’honneur apparaît sur la plupart des plans. Quand ce n’est pas le cas, le cinéaste amateur s’attarde sur son nom glorifié, sur les saluts et les drapeaux agités, sur les regards admiratifs portés à « leur Libérateur ». Seul le drapeau tricolore lui fait concurrence, tandis que quelques discrètes croix de Lorraine, emblèmes de de Gaulle, rappellent qu’un autre général est venu en février 1945 représenter la France et recevoir l’onction de la foule alsacienne (film). Lui aussi a quitté les affaires et entamé sa traversée du désert.
La foule et les notables
Si le public était déjà au rendez-vous la veille à Saverne Tournée_triomphale_du_Général_Leclerc_en_Alsace_(0005FH0028_8), aucune commune mesure avec le délire d'une foule de plusieurs dizaines de milliers de personnes que les agents de police ont du mal à contenir lors de la marche du général dans les rues de Strasbourg. Pour cet événement exceptionnel, Weiss, cinéaste amateur prolifique n'économise pas la pellicule: 10 minutes en Alsace et 15 minutes à Strasbourg. Mieux, il réussit ici aussi à se glisser aux toutes premières loges et, comme le montre une analyse attentive du montage, récupère auprès d'un autre amateur les images tournées sur le balcon de l'Hôtel de ville. L'accueil officiel s'incarne d'abord dans le discours du maire Charles Frey, rétabli dans ses foncions, qui lui annonce qu'il est nommé citoyen d'honneur de la ville; et dans les cadeaux offerts par les différentes corporations, dont les représentants sont Jacquel (textile), Lutz (pelletiers), Becker offrant de la gravure...) dont une Vierge, une gravure représentant la cathédrale, tableau de la cathédrale.
Plus encore que dans les villes et bourgs traversés la veille, le passage de Leclerc comporte un versant public et un versant privé que Weiss a la chance de pouvoir capter avec sa caméra. Weiss, représentant de la corporation des cordiers, est invité au déjeuner d'honneur où l'on sert dans un décor luxueux la traditionnelle choucroute.
Il inclut dans le montage une scène nocturne de feu d'artifice, et s'attarde longuement sur le défilé militaire place Kleber, avec d'impressionnants spahis à cheval mais aussi des civils, sans doute Résistants, et la décoration de héros de guerre. Le cortège comprend aussi une partie évoquant la région, avec des Alsaciennes à la coiffe folklorique, des responsables politiques et des enfants en costume traditionnel. Leclerc salue devant le monument à Jean-Baptiste Kleber, érigé en 1840, à la fois un prédécesseur auréolé de la gloire des conquêtes révolutionnaires et une victime de la nazification de l'Alsace: la statue avait été démontée en septembre 1940 et la place rebaptisée du nom d'un leader autonomiste alsacien fusillé pour espionnage au profit de l'Allemagne en février 1940, Karl Roos. Leclerc va aussi rendre hommage au char "Cherbourg" de la 2eDB à la tête duquel a été tué le 23 novembre 1944 Albert ZIMMER, natif de la Wantzenau. Après la marche dans les rues et la parade en voiture décapotable, Leclerc livre depuis le balcon de l'hôtel de ville un discours mémorable aux Strasbourgeois: "Aujourd'hui, où tant de ruines doivent être relevées, cela fait du bien de revenir en Alsace, de faire ce pèlerinage." Leclerc parle de la libération de la région comme des "plus beaux jours" de la vie des combattants de son unité et de l'Alsace comme "première résistante de France". À tous, il enjoint de poursuivre le combat pour "l'idéal français".Personnages identifiés
Lieux ou monuments
Bibliographie
Jacques Granier, Et Leclerc prit Strasbourg, Strasbourg, Nuée Bleue, 1994.
Article rédigé par
ALEXANDRE SUMPF, 17 janvier 2019