Tournée triomphale du Général Leclerc en Alsace (0005FH0028 8)
Événements filmés ou en lien
Résumé
Contexte et analyse
Deux ans jour pour jour après sa libération, l’Alsace n’est pas encore tout à fait remise des épreuves de l’annexion allemande du 27 novembre 1940. Sous la férule nazie, la répression politique constante avec l’internement au camp du Struthof, l’expulsion brutale des Juifs spoliés, l’incorporation de force des jeunes hommes dans la Wehrmacht et la collaboration laissent des traces profondes. La région sort également meurtrie des bombardements alliés, la population se sent stigmatisée du fait de la mise en cause des « malgré-nous » dans la destruction d’Oradour-sur-Glane. Cependant, la fin de la guerre a apporté un soulagement pour beaucoup, et nombreux sont ceux qui rivalisent dans la démonstration de leur amour de la France – d’autant que la République ne commet pas l’erreur de 1919 et de la mise sous tutelle par un commissariat.
Pour le second anniversaire de ces quelques jours qui ont ébranlé l’Alsace revient des colonies où il continue de servir la nation le général Philippe Leclerc de Hauteclocque (1902-1947), commandant de la 2ème division blindée ou 2ème DB. Débarquée le 1er août 1944 à Utah Beach, héroïne de la libération de Paris trois semaines plus tard, l’unité des Forces françaises libres parvient en Alsace après avoir été stoppée par la ligne de défense allemande dans les Vosges. Son contournement par une manœuvre rapide ouvre la voie de Strasbourg que Leclerc avait juré de libérer dans le serment de Koufra du 2 mars 1941 : « Jurez de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs, flotteront sur la cathédrale de Strasbourg ». C’est chose faite le 23 novembre, deux jours après celle de Mulhouse par le général Béthouart remonté de Provence où il avait débarqué le 15 août. La guerre n’est pas finie, puisque la contre-offensive Nordwind menace sérieusement la ville en janvier 1945, et que les combats pour la réduction de la poche de Colmar se rangent parmi les plus âpres de la reconquête du territoire national.
Leclerc et la France en majesté
Philippe de Hauteclocque (1902-1947) est un militaire de carrière qui a choisi la cavalerie ; une chute de cheval le handicape à vie et le rend aisément reconnaissable. Fait prisonnier, relâché et blessé à la tête pendant la campagne de France, le capitaine refuse la défaite et rejoint Londres dès le 24 juillet 1940. Ayant pris le nom de guerre de Leclerc, il y fait la conquête de De Gaulle, qui le promeut et l’envoie en Afrique équatoriale française. C’est là qu’il s’empare d’une oasis, Koufra, et fait avec ses 300 hommes le fameux serment. Jusqu’en 1944, il unifie la future armée de libération, et réorganise sa 2ème division blindée sur le modèle américain. C’est sur son insistance et celle de De Gaulle que les Américains autorisent sa division placée sous tutelle du général Patton à foncer sur Paris en août 1944 pour forcer les Allemands à renoncer à la capitale insurgée. Une fois l’Allemagne soumise, Leclerc part pour l’Asie, reçoit la reddition japonaise avec les Alliés, et entame la reconquête de l’Indochine qui s’achève en mai 1946. Son ascension s’arrête brusquement : promu général de division, il devient inspecteur des forces terrestres en Afrique du Nord en juillet 1946, où il périt dans un accident d’avion un an et demi plus tard.
Auréolé de sa victoire en Indochine mais humilié par sa rétrogradation, Leclerc ne boude pas le plaisir d’un bain brûlant de ferveur populaire. S’il partage avec Rol-Tanguy la gloire d’avoir libéré Paris, nul ne conteste ce que proclament calicots et panneaux les 22 et 23 novembre 1946 en Alsace. Dans les images tournées par Robert-Charles Weiss, qui jouit d’une notable liberté de filmer, le général aux quatre étoiles et à la grand-croix de la Légion d’honneur apparaît sur la plupart des plans. Quand ce n’est pas le cas, le cinéaste amateur s’attarde sur son nom glorifié, sur les saluts et les drapeaux agités, sur les regards admiratifs portés à « leur Libérateur ». Seul le drapeau tricolore lui fait concurrence, tandis que quelques discrètes croix de Lorraine, emblèmes de de Gaulle, rappellent qu’un autre général est venu en février 1945 représenter la France et recevoir l’onction de la foule alsacienne (de Gaulle et Leclerc à Strasbourg). Lui aussi a quitté les affaires et entamé sa traversée du désert.
Carnaval politique et fête mondaine
Weiss a filmé de longues séquences de ces deux jours de fête, quasiment dans la position des opérateurs de la Semaine des Actualités françaises, où la tournée est présentée en une minute. Certains plans tournés dans les rues de Strasbourg sont la copie conforme des images diffusées à partir du 28 novembre. Les intertitres réalisés de façon professionnelle pour rappeler ceux des actualités filmées muettes, de factuels se font lyriques une fois atteinte la capitale régionale. Si le public des cinémas de France et de Navarre peut entendre le son du triomphe strasbourgeois, que les Alsaciens ont enregistré dans leur mémoire intime, ils ne suivent pas les étapes de la tournée qui fait halte à chaque lieu de mémoire de ces deux journées.
Saverne, sa « trouée » fameuse dans l’histoire militaire et sa garnison, son « affaire » est la première ville alsacienne libérée le 22 novembre. Wasselonne s’impose car deux soldats du régiment blindé de fusiliers marins (troupes antichar) y ont péri, notamment le jeune sous-lieutenant Torterüe de Sazilly. Et, dans la banlieue de Strasbourg, à Oberhausbergen, où le général attend le moment idoine pour foncer une deuxième fois sur la capitale régionale, le maire, Roger Diebolt, et son épouse ont le plaisir de côtoyer le héros, à qui ils n’ont pas grand-chose à dire d’ailleurs. Lui doit à chaque fois écouter les mots de bienvenue prononcés par des jeunes filles en costume traditionnel, recevoir gerbes et honneurs, se tenir au garde-à-vous lors des prises d’armes. Il est pure figure et ne prononce aucun discours : ce n’est pas un homme politique. Sous l’œil attentif du préfet Bernard Cornut-Gentille, les maires rivalisent eux avec leurs allocutions mêlant sans aucun doute hauts faits militaires et petites affaires politiques. La visite de Leclerc pour le deuxième anniversaire de la libération offre l’occasion de relire l’histoire – celle de la 2ème DB fêtée par les chars du carnaval organisé à Saverne, mais aussi et surtout celle de l’Alsace. Le territoire est tour à tour réduit à ses symboles folkloriques (la coiffe, le kouglof), étrangement exalté en tant que terre agricole, et présenté comme la somme de communes qui participent au défilé derrière leur pancarte. Les quelques citoyens qui, dansant de façon frénétique, miment sans doute le bonheur éprouvé à la Libération, résument à leur manière ce mélange de fête populaire, de mobilisation politique et de consécration mémorielle.Personnages identifiés
Lieux ou monuments
Bibliographie
Jacques Granier, Et Leclerc prit Strasbourg, Strasbourg, Nuée Bleue, 1994.
Article rédigé par
ALEXANDRE SUMPF, 04 mars 2019
- Aller ↑ En tant que partie d'une production amateur, cette séquence n'a pas reçu de titre de son réalisateur. Le titre affiché sur cette fiche a été librement forgé par son auteur dans le but de refléter au mieux son contenu.