Randonnée à la découverte des ruines du Griffon dans les Vosges (0021FN0002)

Résumé


Scène de randonnée familiale à la découverte des ruines du Greifenstein (Vosges du Nord) en 1935

Description


Toute une famille à la queue leu leu sur un chemin passant devant une maison, les hommes équipés avec de gros sac à dos. Passage devant un autre groupe de randonneurs. Un homme et un petit garçon posent assis sur les ruines du Greifenstein devant la caméra en se serrant la main. L’opérateur suit les ruines en montant et filme un autre homme et un jeune garçon posant et saluant. Retour sur le premier duo : le petit garçon se met le doigt de le nez avant de se faire reprendre par l’homme, sourires. Plan sur un homme souriant en chemise et bretelles. Pano droite gauche sur les montagnes alentours (un jeune homme de profil). Ruines du Griffon de haut en bas avec petit garçon assis. Tour (donjon ?) en ruine. Moment de détente au pied des ruines : toute la famille est allongée (restes de pique-nique) et pose. Le groupe marche sur un sentier arboré et salue l’opérateur.

Métadonnées

N° support :  0021FN0002
Date :  1935
Coloration :  Noir et blanc
Son :  Muet
Durée :  00:03:30
Cinéastes :  Breesé, Emile
Format original :  9,5 mm
Genre :  Film amateur
Thématiques :  Corps et santé, Environnement, Activités de plein-air
Institution d'origine :  MIRA

Contexte et analyse


Les Vosges, nouvel espace de loisir des citadins

Les Vosges deviennent à la fin du XIXe siècle grâce à l’extension du réseau ferroviaire secondaire un espace de loisirs pour les élites urbaines. Ces dernières partent à l’assaut de la montagne afin d’échapper aux nuisances de la ville et de prendre le « grand air », comme le prescrivent les discours hygiénistes de l’époque. La rupture avec la représentation classique de la nature proposée par les poètes romantiques du début du siècle a contribué à créer l’attrait de la montagne, non plus considérée comme milieu hostile mais comme espace pittoresque à découvrir. C’est à ce moment que la marche, pratiquée de tout temps par l’homme pour se déplacer, dans un but utilitaire donc, devient une activité de loisir populaire pour les citadins. Les associations jouent un rôle primordial dans la promotion du tourisme pédestre en Alsace, en particulier le Club Vosgien. Fondée en 1872 par un juge d’origine allemande, l’association se donne dès le départ pour mission de rendre la montagne accessible en créant, balisant et entretenant des sentiers de randonnée. L’un de ses défis est de négocier le passage par des propriétés privées ; défi ici a priori relevé comme en témoigne, dans la première scène, le portail ouvert près de la maison. Elle entreprend en outre de dégager des points de vue et de construire refuges et chalets pour accueillir les nouveaux visiteurs. L’excursion en montagne devient rapidement une pratique de loisir très appréciée des Alsaciens. Pour preuve, le Club Vosgien qui compte 8 000 membres en 1909, double quasiment ses effectifs en l’espace de trente ans, atteignant 15 000 membres en 1939 [1]. Bien qu’elle concerne surtout la petite bourgeoisie venue de Strasbourg avant la Seconde Guerre mondiale, cette activité dominicale se démocratise lentement avec l’arrivée de la voiture. Les Breesé sont l’exemple typique de ces familles de la classe moyenne qui disposent d’une automobile et en profitent pour parcourir les Vosges les dimanches et jours fériés ensoleillés. Signe de la fréquentation croissante du massif avant la guerre, un autre groupe de randonneurs qui fait une halte au bord du chemin est visible au début de la séquence.

L’« excursion » en montagne, sortie familiale du dimanche

Grâce à sa caméra Pathé Baby, disponible à la vente depuis une dizaine d’années seulement en 1935, Emile Breesé filme ici sa famille lors d’une randonnée près des ruines du Griffon, situées non loin de Saverne. La sortie dominicale dans les Vosges est, au début du XXe siècle, une institution pour de nombreuses familles alsaciennes. Dans cette séquence, on observe une cellule familiale élargie puisque l’on dénombre six adultes et trois enfants. Il n’y a pas seulement les membres d’une seule famille au sens où on l’entend aujourd’hui avec couple et enfants, mais certainement aussi les grands-parents, oncles et tantes. Il est en effet encore fréquent à cette époque que plusieurs générations vivent sous le même toit et partagent donc les loisirs. Mais il se peut aussi qu’il s’agisse tout simplement d’amis de la famille. L’« excursion » dominicale – on ne parle pas encore de randonnée dans les années 1930 - est une pratique de loisir fortement ritualisée. Elle nécessite en effet un équipement particulier : sac à dos, vêtements légers, chaussures adaptées, bâton. La famille Breesé semble disposer de tous ces éléments. Les hommes portent déjà des chaussures de marche avec pantalons courts et chaussettes hautes ; mais l’un d’entre eux a curieusement des bottes en cuir. On peut aussi s’étonner de voir que les femmes portent des petites chaussures de ville. Par ailleurs, la mode féminine est à cette époque encore largement dominée par la jupe et les tenues sportives ne sont portées que dans le monde aisé. Moment incontournable de toute excursion, le pique-nique permet de restaurer les corps avant de poursuivre l’effort. Emile Breesé filme ici la fin du déjeuner en contre-plongée, au moment où les plus âgés s’adonnent à la sieste et les jeunes s’impatient de repartir. Les victuailles ont déjà été mangés mais on observe encore les indispensables d’un pique-nique : bouteille en verre, sorte de thermos, nappe. Il s’agit d’un moment de détente, comme en témoignent les corps las sur la couverture et les pieds libérés de la contrainte des chaussures. Ce repos signifie également amusement et mise en scène face à la caméra. Tandis qu’un homme joue avec une chaussure de femme, l’un des enfants s’amuse à dégainer un bâton à la manière d’un fusil.

Un cinéaste averti qui met en scène sa famille

Tout au long de la séquence, on observe en effet une famille très réactive à la caméra et qui interagit beaucoup avec l’opérateur. La joyeuse petite troupe fait preuve d’un grand enthousiasme, certainement réel mais qui est bien mis en scène par Emile Breesé. Dès le début, un homme portant un garçon sur ses épaules sautille, s’amuse à pourchasser les autres et prend une femme sous le bras dans un regard complice avec l’opérateur. Les gestes de la main et les larges sourires adressés à ce dernier sont nombreux, de même que les poses face caméra. La présence de cette dernière influence en effet énormément les comportements, particulièrement ceux des hommes qui jouent à faire l’acteur, peut-être sur demande de l’opérateur lui-même. Emile Breesé était familier des grands comiques de l’époque tels que Charlot ou Laurel et Hardy et les a fait connaître à ses enfants. On note ainsi l’influence du cinéma de l’époque dans le panorama gauche-droite sur les sommets. Les deux adolescents s’amusent à jouer aux mousquetaires, comme dans les films de cape et d’épée. Les mimiques, les signes de la main répétés et les poings victorieux tendus vers le ciel confèrent par ailleurs un caractère assez comique à la scène où la famille marche en file indienne sur un sentier arboré. En cinéaste et photographe avertis, Emile Breesé choisit donc les scènes à filmer avec soin et réfléchit ses angles de vue. Mais les acteurs, a fortiori les plus jeunes, ne font pas toujours ce que l’opérateur attend d’eux. Il arrive ainsi que la caméra filme ce qui ne devait pas être capté, comme ce petit garçon qui met son doigt dans le nez avant d’être repris par un homme.

Un regard codifié sur la montagne et ses ruines

Donjon du Petit-Greifenstein. Source : wikipédia.org
Emile Breesé nous donne à voir dans cette séquence une nature bien précise : celle que l’homme a aménagée depuis la fin du XIXe siècle. Son regard sur les montagnes vosgiennes est en effet codifié puisqu’il filme exactement ce que les sentiers balisés par le Club Vosgien amènent à contempler. Le caméraman porte d’abord son attention sur les sommets avoisinants à partir d’un point de vue dégagé. Grâce au mouvement lent de caméra de gauche à droite, il donne de l’ampleur, voire une certaine solennité, au paysage, que seule la tête d’un jeune de la famille vient perturber. Apparaissent ensuite les ruines du château du Griffon, aussi appelé château du Greifenstein, dont on admire le donjon dans un magnifique plan panoramique. Le mouvement de caméra de bas en haut et la prise de vue en contre-plongée contribuent en effet à accentuer l’impression de hauteur du donjon carré surplombant le rocher. Ce dernier se trouve être en fait le seul vestige du Petit-Greifenstein, château construit au XIIIe siècle en contrebas du Grand-Greifenstein érigé un siècle plus tôt. Leur classement au titre des Monuments historiques en 1898 a certainement contribué à faire connaître le site et à ce que le Club Vosgien balise des sentiers y menant. On a donc ici affaire à un caméraman averti qui sait construire l’image en choisissant les prises de vue et en les cadrant avec soin. La nature qu’il nous donne à voir à travers ces ruines chargées d’histoire et ces sites naturels exceptionnels relève du topos romantique. C’est en partant à la découverte de ces sites spectaculaires que les jeunes hommes de la bourgeoisie européenne ont inventé le tourisme aux XVIIIe et XIXe siècles. Emile Breesé, à la manière des poètes romantiques, compose ainsi un regard pittoresque sur la nature qui vise à monumentaliser les Vosges et ses ruines médiévales.

Lieux ou monuments


Château de Greifenstein; Bas-Rhin; Alsace

Bibliographie


CORBIN Alain « Les vacances et la nature revisitée (1830-1939) », dans : CORBIN Alain (dir.), L'avènement des loisirs : 1850-1960, Paris, Flammarion, 2009

RICHEZ Jean-Claude, « Les Vosges comme espace de loisir au XIXe siècle », dans : RAUCH André (dir.), Sports et loisirs en Alsace au 20ème siècle, Revue EPS ; Strasbourg : Centre de recherches européennes en éducation corporelle, 1994, p.91-102

RICHEZ Jean-Claude, STRAUSS Léon, « Promenades et excursions dominicales des ouvriers alsaciens avant la Seconde Guerre mondiale », dans : RAUCH André (dir.), Sports et loisirs en Alsace au 20ème siècle, Revue EPS ; Strasbourg : Centre de recherches européennes en éducation corporelle, 1994, p.79-89

RICHEZ Jean-Claude, STRAUSS Léon, « Tradition et renouvellement des pratiques de loisirs en milieu ouvrier dans l’Alsace des années 1930 », Revue d’Alsace, n°113, 1987, Strasbourg, p.217-237

HUCK Joseph Louis (dir.), Les Vosges et le Club Vosgien : autour d’un centenaire, 1872-1972, Strasbourg, Club Vosgien, 1972 Cent ans du Club vosgien, du Grand au Petit Ballon : histoire, étymologie, géologie, économie, botanique, Club Vosgien, Guebwiller, 1972

« Le château de Greifenstein », Châteaux forts Alsace, Disponible en ligne : https://www.chateauxfortsalsace.com/fr/chateau/chateau-de-greifenstein/ [consulté le 10/02/2019]


Article rédigé par

Amélie Kratz, 20 février 2019


  1. RAUCH André (dir.), Sports et loisirs en Alsace au 20ème siècle, Revue EPS ; Strasbourg : Centre de recherches européennes en éducation corporelle, 1994, p.83