Recrutement des Allemands au Cercle Saint-Joseph (0024FS0002)
Résumé
Contexte et analyse
Après l'évacuation de la population à l'automne 1939 et une conquête éclair en mai 1940 - Colmar se rend sans combats - l'Alsace a été annexée au IIIe Reich le 27 novembre 1940. Sous la férule nazie, les Alsaciens vivent la répression politique constante avec l’internement au camp du Struthof ou de Schirmeck, l’expulsion brutale des Juifs spoliés, l’incorporation de force des jeunes hommes dans la Wehrmacht et la collaboration La cohabitation entre les habitants de Colmar et les Allemands n’a jamais été évidente.
Le film date de la période entre 1942 et 1943. 1942 est une date importante pour l’histoire de l’Alsace, car le 25 Août le Gauleiter Robert Wagner publie sur l’ordre de Hitler « Verordnung über die Wehrpflicht im Elsass vom 25 August 1942 ». Le service militaire devient obligatoire en Alsace à partir de cette date, ce qui envenime les relations entre Alsaciens et Allemands. A Colmar, plusieurs recrutements sont lancés entre septembre 1942 et la fin de l’année 1943, d'abord les plus jeunes n'ayant pas porté l'uniforme français, puis les mobilisés de 1939, et à la fin de la guerre les classes 1908-1913. En tout, sur environ 200 000 Alsaciens mobilisables, les autorités nazies en ont recruté 130 000; tous se voient automatiquement octroyer la nationalité allemande, un véritable cadeau dans l'optique nazie.
Une cérémonie lourde de symboles
Dans le cas présent, l’événement se déroule pacifiquement. Le film commence avec un discours prononcé à l’intérieur du bâtiment sur Cercle Saint-Joseph, décoré avec des oriflammes à croix gammées ainsi que d’un aigle sur une croix gammée, surmonté d’un portrait d’Adolf Hitler. Ces motifs étaient récurrents dans la vie quotidienne de l’époque. Les aigles accompagnés des croix étaient présents sur tous les documents officiels, les portraits de Hitler étaient omniprésents, même sur les timbres. Avec ces motifs, se déploie toute une symbolique, destinée à influencer les populations. Le même drapeau à croix gammée se retrouvera plus tard, dans la cour, lorsqu’un officier passe devant les nouvelles recrues en rang. Il est accompagné d’un autre soldat qui tient un drapeau. Chaque nouvelle recrue devait serrer la main gauche de l’officier et toucher le drapeau pour prêter serment. À Strasbourg, devant les recrues réunies le 25 septebre 1942, le Kreisleiter Bickler prononce des mots qui ont peut-être résonné aussi à Colmar: "Si vos cheveux sont coupés courts, si vos pantalons sont moins longs, si vous sortez vos mais de vos poches, nous serons encore plus fiers de vous. Vous ne savez pas combien nous vous aimons. Que vous serez des jeunes "bien" quand vous aurez participé à 6 semaines d'exercices à la prussienne! Ce que la Jeunesse hitlérienne et le Service du Travail n'ont pas réussi à faire, l'armée le fera: vous aurez maintenant l'occasion de connaître l'Allemagne là où elle est la plus propre, la plus noble, la plus digne d'être aimée: au front!"[1]
Comme dans tous les événements officiels de l'époque, l’ordre règne. L'ordre est une notion cruciale dans le national-socialisme. Hitler voulant créer une élite obéissante et disciplinée, il fallait éduquer la population en ce sens. Les nouvelles recrues sont parfaitement alignées, les discours et les saluts hitlériens s’enchainent. Ces nouvelles recrues ont ensuite défilé dans la ville.
L’événement est animé par un orchestre. La musique est omniprésente dans la vie quotidienne sous le Troisième Reich. Hitler lui-même soulignait le fait que, pour comprendre l’Allemagne nationale-socialiste, il fallait connaître le compositeur Richard Wagner. Ses opéras qui évoquent l’antique Germania et ses légendes ont inspiré la Weltanschauung de Hitler. La musique est aussi un instrument de séduction pour les populations, mais donne aussi le rythme dans les défilés, et encourage les militaires. Ici, elle ne suit pas le cortège, elle joue, immobile, dans la cour du Cercle Saint-Joseph, ainsi que sur le trottoir, à côté de la cour.
Des habitants apparaissent dans le cadre, mais restent à l’extérieur de la cour. Aucun civil n’apparaît à l’intérieur. Cela laisse supposer que la personne qui filmait cet événement avait une autorisation ou n’était probablement pas un simple civil.Bibliographie
BOPP Joseph-Marie, Ma ville à l’heure nazie : Colmar, 1940-1945, Strasbourg, La Nuée bleue, 2004.
ELIAS Tania, « La cérémonie inaugurale de la Reichsuniversität de Strasbourg (1941), l’expression du nazisme triomphant en Alsace annexée », dans Revue d’Allemagne, n° 43, 2001, p. 341-363.
GALLIANO-VALDISERRA Richard, Les totalitarismes en question au XX° siècle : Russie (URSS), Italie, Allemagne, Paris, Hachette, 2016.
GUYOT Adelin, RESTELLINI Patrick, L’Art Nazi, Bruxelles, Editions Complexe, 1983.
HIRLE Ronald, WOELFFEL Sandrine, Uniformes et coiffes du Troisième Reich : collection Éric Rayot, Strasbourg, Editions Ronald Hirlé, 2006.
HITLER Adolf, Mein Kampf, Paris, Nouvelles Editions Latines, 2005 (1925).
Lothar Kettenacker, La politique de nazification en Alsace, Istra, Strasbourg, 2 tomes, 1978.
LUYTENS Daniel-Charles, Jeunesses Hitlériennes, Bruxelles, Jourdan, 2014.
PETITDEMANGE Gabrielle, Mémoire de pierre, mémoire de papier : la mise en scène du passé en Alsace, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2002.
Article rédigé par
Célia Fuhro, 24 janvier 2019
- Aller ↑ L'Alsace sous l'oppression nazie, 1940-1944, CRDP Strasbourg, 1977, p. 135.