Défilé militaire à Griesheim (0093FH0003) : Différence entre versions
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|Resume_fr=Fête de la libération à Griesheim-près-Molsheim en 1945. Des soldats défilent dans la rue principale du village suivis par les habitants en costumes traditionnels. | |Resume_fr=Fête de la libération à Griesheim-près-Molsheim en 1945. Des soldats défilent dans la rue principale du village suivis par les habitants en costumes traditionnels. | ||
− | |Contexte_et_analyse_fr=En mai 1940, l’armée française s’écroule face à l’offensive allemande contre laquelle elle n’est pas bien préparée. A la tête du gouvernement français, le maréchal Pétain signe l’armistice le 22 juin sur les lieux mêmes de celui de 1918, volonté d’Hitler pour humilier la France. S’en suit une partition du territoire qui plonge le pays dans une division forcée : la zone occupée au nord et sur la côte ouest régie par les Allemands, la zone libre au sud sous la direction du régime de Vichy et l’Alsace-Moselle annexées de fait par le | + | |Contexte_et_analyse_fr=En mai 1940, l’armée française s’écroule face à l’offensive allemande contre laquelle elle n’est pas bien préparée. A la tête du gouvernement français, le maréchal Pétain signe l’armistice le 22 juin sur les lieux mêmes de celui de 1918, volonté d’Hitler pour humilier la France. S’en suit une partition du territoire qui plonge le pays dans une division forcée : la zone occupée au nord et sur la côte ouest régie par les Allemands, la zone libre au sud sous la direction du régime de Vichy et l’Alsace-Moselle annexées de fait par le régime nazi. |
− | + | Persuadées que les Alsaciens sont de races allemandes, les autorités nazies s’acharnent à intégrer de la région dans le Reich et à ancrer l’idéologie nationale-socialiste dans les esprits alsaciens. Cette politique passe par la mise en place du parti et de ses composantes, par la germanisation des traces laissées par les Français et par une répression forte. Apogée et symbole de la souffrance alsacienne, l’incorporation de force des hommes dans la Wehrmacht et la SS se met peu à peu en place: les Malgré-nous sont nombreux à ne pas revenir du front de l'est. | |
− | + | [[Fichier:tanksparsbach.jpg|300px|thumb|right|Les combats durent en Alsace, ici des chasseurs de char le 26 janvier 1945 près de Sparsbach. United States Army Harry S. Truman Library & Museum.]]Pour exercer son influence, le parti tente de s’infiltrer dans toutes les strates de la population via ses nombreuses organisations qui rassemblent toutes les professions, les sexes et les classes d'âge. Si certains Alsaciens embrassent de bon cœur la cause nazie, par conviction ou opportunisme, la plupart n’ont cependant pas le choix et ne participent que contraints et forcés aux activités nazies. Ainsi quand les Alliés libèrent la région, la population accueillent généralement bien ces libérateurs venus d’outre-Vosges et d’outre-Atlantique. | |
− | + | En effet le 6 juin 1944, les Alliés débarquent en Normandie et envahissent l’Europe occupée depuis plus de quatre années par l’Allemagne nazie. A l’automne, la majeure partie de la France est libérée et les troupes alliées sont aux portes du Reich. L’Alsace est l’une des dernières portions du territoire qui restent aux mains de l’occupant qui s’apprête à la défendre âprement. Fin novembre 1944, les troupes françaises entament la reconquête de la région perdue, la 1ère armée française libère Mulhouse le 21 novembre et Leclerc libère Strasbourg le 23. Après ces succès rapides, les combats s’enlisent durant l’un des hivers les plus terribles du siècle, la Wehrmacht parvenant à se maintenir jusqu’au 9 février dans la poche de Colmar et même jusqu’en mars sur la Moder. La guerre se termine le 8 mai 1945, laissant la région dévastée par quatre ans d’occupation et des mois de combats terribles. | |
'''Un défilé à graver dans les mémoires''' | '''Un défilé à graver dans les mémoires''' | ||
− | La libération est généralement accueillie avec joie par les Alsaciens. Elle donne lieu à des fêtes organisées par les localités afin de célébrer leurs libérateurs | + | La libération est généralement accueillie avec joie par les Alsaciens. Elle donne lieu à des fêtes organisées par les localités afin de célébrer leurs libérateurs qui se déroulent généralement à la fin du conflit, lorsque la sécurité est assurée et que les troupes sont libérées de leurs obligations combattantes. Paul Muller filme celle qui déroule à Griesheim-près-Molsheim en 1945, certainement durant l’été ou au début de l’automne. Médecin à Molsheim et premier détenteur d’une caméra du village, le cinéaste immortalise l’événement qui rassemble pour quelques heures civils et militaires. Ancrés dans leurs traditions, les villageois organisent une célébration s’apparentant à leurs fêtes habituelles, comme les ''Messti'' ou les carnavals dont on retrouve dans le film certains éléments, à la différence près que ce ne sont plus les conscrits Alsaciens en costumes colorés mais des soldats en uniformes kaki qui mènent la marche. |
− | + | Dès les années 1920, Paul Muller commence à tourner des films de famille ou de la vie de son village. Pendant la guerre, il couvre d’ailleurs de nombreux rassemblements nazis durant lesquels des troupes paramilitaires défilent en rang dans les rues de Molsheim : ce n’est donc pas un novice en la matière. Pourtant le film est ici entrecoupé de loupés : il oublie parfois de couper la caméra, certains plans tremblent énormément. Ces failles techniques montrent peut-être l’impréparation de l’opérateur, ou peut-être est-il si enthousiaste qu’il ne souhaite rien manquer de l’événement, se laissant aller à des erreurs qui ne sont pas de son habitude. | |
− | + | [[Fichier:messtispindler.jpeg|300px|thumb|left|Spindler, Charles (1865-1938). Illustrateur. La fête = Der Messti. 1909. Source: Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg.]]Ainsi des plans fixes, parfois tremblant, capturent la procession durant laquelle différents groupes se succèdent dans un village orné d’une multitude de drapeaux tricolores. Tout d’abord les libérateurs, des soldats le fusil à l’épaule coiffés de casques américains défilent au pas. Ils sont suivis par des civils à cheval ainsi que des chariots décorés et chargés de fillettes en costumes traditionnels puis par les pompiers du village reconnaissable à leurs casques étincelants. Une fanfare réunissant civils et militaires animent la fête. Viennent ensuite les filles du village, elles aussi en costumes traditionnels, les plus âgées en tête, les plus jeunes à l’arrière juste avant le reste des habitants, notables en tête, qui accompagnent les officiers français venus assistés aux festivités. Les femmes ont d'ailleurs une place importante dans le défilé puisqu'elles constituent le gros du contingent civil: elles occupent les chariots, les plus âgées accompagnent les soldats et les plus jeunes égayent le cortège donnant, par leurs costumes, un spectacle folklorique aux soldats venus d'ailleurs. | |
− | + | Paul Muller filme plusieurs fois ce même défilé depuis plusieurs lieux dans le village, plus à l’aise avec les plans fixes, il ne parvient parfois pas à stabiliser sa caméra en mouvement, donnant lieu à des transitions agitées : on devine ses courses effrénées pour rattraper le cortège et le capter sous un autre angle. Arrivé sur la place de l’église – reconnaissable en arrière-plan– il prend une série de portraits de jeunes gens : des Alsaciennes en costumes traditionnels posent accompagnées de soldats (dont un jeune homme en uniforme de zouave), des cavaliers, un pompier ainsi que des enfants. La bobine se termine par la procession des charrettes décorées typiques des carnavals alsaciens mais aussi par un défilé de l'équipe de football du village. Les jeunes garçons ont bien vite laissé tomber les autours des ''HitlerJugend'', mouvement de jeunesse nazi qui a rythmé leur vie pendant quatre ans. Néanmoins, ils ne perdent pas l'habitude de défilé au pas, que les nazis se sont évertué à leur inculquer. | |
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+ | Paul Muller donne à voir l’expression collective de la joie de la libération dans un village qui semble avoir échappé aux combats de la libération et qui n’a donc pas subit la violence des bombardements. C'est un moment important, historique, pour les habitants ce qui explique que le cinéaste amateur y consacre plusieurs minutes de pellicule. Le cinéaste filme ainsi la face la plus visible de la fin de la guerre, les difficultés du retour à la France et de l’épuration ne se perçoivent pas derrière les visages souriants, les costumes colorés et la multitude de drapeaux qui flottent sur les maisons. D'autant que la victoire est teintée d'amertume et de doute pour de nombreux alsaciens : Paul Muller, comme beaucoup d'autres parents, est toujours sans nouvelle de son fils Malgré-Nous tué sur le front de l'Est. | ||
|Bibliographie=BOPP Marie-Joseph, ''Histoire de l’Alsace sous l’occupation allemande 1940-1945'', Colmar, Editions Place Stanislas, 2011.<br> | |Bibliographie=BOPP Marie-Joseph, ''Histoire de l’Alsace sous l’occupation allemande 1940-1945'', Colmar, Editions Place Stanislas, 2011.<br> | ||
KLEIN Georges, LESER Gérard et SARG Freddy, ''L’Alsace et ses fêtes'', Strasbourg, Difal Erce, 1995. | KLEIN Georges, LESER Gérard et SARG Freddy, ''L’Alsace et ses fêtes'', Strasbourg, Difal Erce, 1995. | ||
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Version actuelle datée du 6 mars 2020 à 17:41
Résumé
Contexte et analyse
En mai 1940, l’armée française s’écroule face à l’offensive allemande contre laquelle elle n’est pas bien préparée. A la tête du gouvernement français, le maréchal Pétain signe l’armistice le 22 juin sur les lieux mêmes de celui de 1918, volonté d’Hitler pour humilier la France. S’en suit une partition du territoire qui plonge le pays dans une division forcée : la zone occupée au nord et sur la côte ouest régie par les Allemands, la zone libre au sud sous la direction du régime de Vichy et l’Alsace-Moselle annexées de fait par le régime nazi.
Persuadées que les Alsaciens sont de races allemandes, les autorités nazies s’acharnent à intégrer de la région dans le Reich et à ancrer l’idéologie nationale-socialiste dans les esprits alsaciens. Cette politique passe par la mise en place du parti et de ses composantes, par la germanisation des traces laissées par les Français et par une répression forte. Apogée et symbole de la souffrance alsacienne, l’incorporation de force des hommes dans la Wehrmacht et la SS se met peu à peu en place: les Malgré-nous sont nombreux à ne pas revenir du front de l'est.
Pour exercer son influence, le parti tente de s’infiltrer dans toutes les strates de la population via ses nombreuses organisations qui rassemblent toutes les professions, les sexes et les classes d'âge. Si certains Alsaciens embrassent de bon cœur la cause nazie, par conviction ou opportunisme, la plupart n’ont cependant pas le choix et ne participent que contraints et forcés aux activités nazies. Ainsi quand les Alliés libèrent la région, la population accueillent généralement bien ces libérateurs venus d’outre-Vosges et d’outre-Atlantique.En effet le 6 juin 1944, les Alliés débarquent en Normandie et envahissent l’Europe occupée depuis plus de quatre années par l’Allemagne nazie. A l’automne, la majeure partie de la France est libérée et les troupes alliées sont aux portes du Reich. L’Alsace est l’une des dernières portions du territoire qui restent aux mains de l’occupant qui s’apprête à la défendre âprement. Fin novembre 1944, les troupes françaises entament la reconquête de la région perdue, la 1ère armée française libère Mulhouse le 21 novembre et Leclerc libère Strasbourg le 23. Après ces succès rapides, les combats s’enlisent durant l’un des hivers les plus terribles du siècle, la Wehrmacht parvenant à se maintenir jusqu’au 9 février dans la poche de Colmar et même jusqu’en mars sur la Moder. La guerre se termine le 8 mai 1945, laissant la région dévastée par quatre ans d’occupation et des mois de combats terribles.
Un défilé à graver dans les mémoires
La libération est généralement accueillie avec joie par les Alsaciens. Elle donne lieu à des fêtes organisées par les localités afin de célébrer leurs libérateurs qui se déroulent généralement à la fin du conflit, lorsque la sécurité est assurée et que les troupes sont libérées de leurs obligations combattantes. Paul Muller filme celle qui déroule à Griesheim-près-Molsheim en 1945, certainement durant l’été ou au début de l’automne. Médecin à Molsheim et premier détenteur d’une caméra du village, le cinéaste immortalise l’événement qui rassemble pour quelques heures civils et militaires. Ancrés dans leurs traditions, les villageois organisent une célébration s’apparentant à leurs fêtes habituelles, comme les Messti ou les carnavals dont on retrouve dans le film certains éléments, à la différence près que ce ne sont plus les conscrits Alsaciens en costumes colorés mais des soldats en uniformes kaki qui mènent la marche.
Dès les années 1920, Paul Muller commence à tourner des films de famille ou de la vie de son village. Pendant la guerre, il couvre d’ailleurs de nombreux rassemblements nazis durant lesquels des troupes paramilitaires défilent en rang dans les rues de Molsheim : ce n’est donc pas un novice en la matière. Pourtant le film est ici entrecoupé de loupés : il oublie parfois de couper la caméra, certains plans tremblent énormément. Ces failles techniques montrent peut-être l’impréparation de l’opérateur, ou peut-être est-il si enthousiaste qu’il ne souhaite rien manquer de l’événement, se laissant aller à des erreurs qui ne sont pas de son habitude.
Ainsi des plans fixes, parfois tremblant, capturent la procession durant laquelle différents groupes se succèdent dans un village orné d’une multitude de drapeaux tricolores. Tout d’abord les libérateurs, des soldats le fusil à l’épaule coiffés de casques américains défilent au pas. Ils sont suivis par des civils à cheval ainsi que des chariots décorés et chargés de fillettes en costumes traditionnels puis par les pompiers du village reconnaissable à leurs casques étincelants. Une fanfare réunissant civils et militaires animent la fête. Viennent ensuite les filles du village, elles aussi en costumes traditionnels, les plus âgées en tête, les plus jeunes à l’arrière juste avant le reste des habitants, notables en tête, qui accompagnent les officiers français venus assistés aux festivités. Les femmes ont d'ailleurs une place importante dans le défilé puisqu'elles constituent le gros du contingent civil: elles occupent les chariots, les plus âgées accompagnent les soldats et les plus jeunes égayent le cortège donnant, par leurs costumes, un spectacle folklorique aux soldats venus d'ailleurs.Paul Muller filme plusieurs fois ce même défilé depuis plusieurs lieux dans le village, plus à l’aise avec les plans fixes, il ne parvient parfois pas à stabiliser sa caméra en mouvement, donnant lieu à des transitions agitées : on devine ses courses effrénées pour rattraper le cortège et le capter sous un autre angle. Arrivé sur la place de l’église – reconnaissable en arrière-plan– il prend une série de portraits de jeunes gens : des Alsaciennes en costumes traditionnels posent accompagnées de soldats (dont un jeune homme en uniforme de zouave), des cavaliers, un pompier ainsi que des enfants. La bobine se termine par la procession des charrettes décorées typiques des carnavals alsaciens mais aussi par un défilé de l'équipe de football du village. Les jeunes garçons ont bien vite laissé tomber les autours des HitlerJugend, mouvement de jeunesse nazi qui a rythmé leur vie pendant quatre ans. Néanmoins, ils ne perdent pas l'habitude de défilé au pas, que les nazis se sont évertué à leur inculquer.
Paul Muller donne à voir l’expression collective de la joie de la libération dans un village qui semble avoir échappé aux combats de la libération et qui n’a donc pas subit la violence des bombardements. C'est un moment important, historique, pour les habitants ce qui explique que le cinéaste amateur y consacre plusieurs minutes de pellicule. Le cinéaste filme ainsi la face la plus visible de la fin de la guerre, les difficultés du retour à la France et de l’épuration ne se perçoivent pas derrière les visages souriants, les costumes colorés et la multitude de drapeaux qui flottent sur les maisons. D'autant que la victoire est teintée d'amertume et de doute pour de nombreux alsaciens : Paul Muller, comme beaucoup d'autres parents, est toujours sans nouvelle de son fils Malgré-Nous tué sur le front de l'Est.Bibliographie
BOPP Marie-Joseph, Histoire de l’Alsace sous l’occupation allemande 1940-1945, Colmar, Editions Place Stanislas, 2011.
Article rédigé par
Bapstiste Picard, 03 janvier 2020