Lavandières à Châtenois (0026FN0004)

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Résumé


Scène de lavage de linge par des lavandières au lavoir de Châtenois dans les années 1930.

Description


Châtenois. Un cheval de trait s'abreuve à une fontaine de Châtenois puis avance au pas dans la rue. Les femmes au lavoir avec simples planches de bois ; un jeune garçon tire une charrette de sacs de grains, un homme le suit portant une faux ; en arrière-plan le château de l'Ortebourg. Un homme passe sur un charrois vide tiré par un boeuf. Deux femmes sur un pas de porte et un homme.

Métadonnées

N° support :  0026FN0004
Date :  1928
Coloration :  Noir et blanc
Son :  Muet
Timecode :  00:01:12
Durée :  00:00:00
Cinéastes :  Spindler, Paul
Format original :  9,5 mm
Genre :  Film amateur
Thématiques :  Santé, Hygiène et alimentation saine, Traditions, Vie rurale
Institution d'origine :  MIRA

Contexte et analyse


Châtenois, commune industrialisée de la plaine d'Alsace

Châtenois est située dans la plaine d'Alsace. Contrairement aux communes voisines très rurales comme Scherwiller, elle s’est rapidement établie en tant que petite agglomération industrielle. A partir de la première moitié du 19e siècle, on y relève la présence de nombreux métiers à tisser : le textile est une des grandes spécialités de Châtenois jusque dans les années 1970. On constate parallèlement dans la ville, à l’époque de la séquence tournée par Paul Spindler, la présence de fabriques de cigares et d’une brasserie. Ainsi, les Castinétains sont essentiellement issus de la classe ouvrière et la population plus nombreuse qu'à Hoffen : dans les années 1930 on y compte environ 2500 habitants[1]. Bien sûr, Châtenois conserve aussi une activité agricole, comme on le voit à différents instants du film, avec le passage d’une charrette tirée par un enfant et contenant probablement du foin, ou la courte scène avec des vendangeuses autour de hottes disposées sur un chariot.

La lessive au lavoir : un rituel immuable et exclusivement féminin

Les lessives se faisaient à la main et au lavoir et étaient l'apanage des femmes, qu'on appelait alors les lavandières. La lavandière n'a pas d'âge : on voit sur la séquence des jeunes filles, des femmes et même une femme beaucoup plus âgée, ainsi qu'une enfant. Dans les villages alsaciens, seules les pièces de linge blanc étaient lavées lors de ces grandes lessives bi-annuelles : chemises, chaussettes, tabliers… Les éléments les plus fins, comme les bonnets, n’étaient jamais nettoyés. Les femmes issues de classes plus aisées confient leur linge peu délicat à ces lavandières que l'on nomme aussi laveuses ou buandières quand elles en font leur métier. Quant aux toilettes les plus délicates, c'est la blanchisseuse qui en a la charge. La lavandière fait aujourd'hui partie de l'imagerie populaire lorsqu'on évoque la vie rurale d'antan. Le lavoir de Châtenois a d'ailleurs été immortalisé en 1945 par Robert Doisneau. La laveuse est entourée de vieilles croyances comme celle des Lavandières de nuit, annonciatrice d’une mort prochaine, comme à Oberbronn[2], ou expiatrice d'un pêché, comme celui de laver le linge le dimanche ou le Vendredi Saint.

Lix Frédéric Théodore, Une lessive à Metzeral, 1889. Source : Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg


Jusqu'au début du 20e siècle, dans le milieu rural en particulier, la lessive n’avait lieu que deux à trois fois par an et était appelé « la buée ». Elle durait en principe trois jours correspondant à trois étapes aux noms évoquant la dureté de la tâche. D’abord, lors du « Purgatoire », les lavandières laissent tremper le linge dans des grandes cuves en terre ou dans des baquets de bois souvent à domicile, dans un espace dédié ou dans la cuisine, pour le décrasser. La cuve est ensuite recouverte d’un drap plein de cendres de bois fin dont les propriétés (carbonate de potasse) sont nettoyantes. Alors, c’est « l’Enfer » et ses vapeurs qui débutent : la lavandière verse sur les cendre de l’eau bouillante pour les diffuser. Dans les années 1920 cependant, apparaît le savon en paillette, ce qui fait évoluer cette étape. Le lendemain, le linge ainsi mouillé et imbibé est chargé dans des hottes sur des brouettes et amené au lavoir afin d’y être battu pour en extraire le maximum de lessive, rincé, puis essoré auprès d’une source d’eau. Ici, on remarque bien au bord du lavoir les brouettes et les bassines des lavandières. Le linge retrouve sa pureté : c’est le « Paradis », après quoi il est suspendu ou étalé sur l’herbe pour sécher ou blanchir.
Avec la mise en place de politiques hygiénistes, les villages d'Alsace aménagent de nombreux lavoirs communaux gratuits durant la seconde partie du 19e siècle et jusqu’au milieu du 20e siècle. En 1928, même s'il existe dans les villages des lavoirs privés pour les habitations ayant directement accès à l’eau d’une rivière, le rinçage dans des lavoirs publics reste une nécessité, puisque l’eau courante et potable n’est pas généralisée. Le démontre cette femme que l'on voit à Hoffen pomper de l'eau sur un puits à balancier, ou Schwenkelbrunne, nombreux dans la région de l’Outre Forêt, et la porter ensuite dans un seau. Il a fallu attendre 1935 à Strasbourg pour que les ménages disposent de canalisations reliées à leurs intérieurs [3]. Le lavoir pouvait être à ciel ouvert, comme ici, ou au fil d'un cours d'eau (voir Baignade et lessive dans la Fecht, 1930 env), aménagé ou non. Dans cet extrait, on voit que le lavoir a été agencé : de part et d'autre du ruisseau ont été installées de larges dalles. Les lavoirs pouvaient aussi simplement consister en un bassin bénéficiant de l'écoulement d'une fontaine ou d'une source, ou être couverts par une toiture[4]. A Strasbourg, pendant longtemps, les lavoirs prenaient la forme de Wächspritsche, ou bateaux-lavoirs.

Hartmann. Alte Waschpritschen, Strasbourg, 1911. Source : Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg


Le travail de la lavandière est difficile. Les femmes sont sur les genoux, courbées vers l’eau et frottent vigoureusement le linge sur les planches à laver. Certaines sont agenouillées dans des boîtes à laver, ces caisses de bois qui servent à les protéger de l’eau, et qui, agrémentées de paille et de tissus, rendent leur position moins inconfortable. Mais elles devaient encore battre durement le linge puis ramener les lourds baquets dans des charrettes.

C'est dans les années 1930 que le lavage du linge devient hebdomadaire, comme cela doit être le cas ici à Châtenois. Les techniques changent avec la laveuse, la possibilité d'acheter et d'entreposer plus de linge dans des buanderies et l'apparition graduelle de l'eau courante. Les fermes possédaient parfois leur propre buanderie. Puis, à partir des années 1950, le lave-linge se démocratise. Néanmoins, en 1961, 26% des ménages alsaciens possèdent un lave-linge (BLOCH-RAYMOND, Anny, op. cit. p.14). Encore dans les années 1970, il fait figure d’exception dans la campagne alsacienne. Le ruisseau communal passant à Châtenois, le Fleckenbach, a de mémoire d’homme, toujours été utilisé pour laver le linge et pour éteindre les incendies. Alimenté par le Muhlbach, canal de dérivation de la Liévrette, il fut aménagé avec des pierres de taille en grès en 1846, lieu idéal pour servir de lavoir. Les femmes y venaient encore dans les années 1950 pour faire leur linge, jusqu’à la condamnation du ruisseau au moment de la canalisation de la ville dans les années 1970 [5]. Un film produit par l’Electricité de Strasbourg en 1975, montre l’arrivée et la révolution de l’électricité dans le village d’Oberseebach, avec entre autres, le lave-linge.

Lieux ou monuments


Châtenois

Bibliographie


BLOCH-RAYMOND Anny. « Bateaux-lavoirs, buanderies et blanchisseries. Des relations entre espaces publics, espaces privés » in Revue des Sciences sociales, n°13, n°13bis, 1984

Documents annexes


Des femmes faisant leur lessive à Châtenois en 1961. Groupe Patrimoine et Histoire de Châtenois


Article rédigé par

Marion Brun, 21 mars 2019


  1. http://cassini.ehess.fr/cassini/fr/html/fiche.php?select_resultat=8793
  2. GIRAUDON Daniel, Lavandières de jour, lavandières de nuits. Bretagne et pays celtiques. Mémoire, CRBC, 1996, p.20
  3. BLOCH-RAYMOND Anny. « Bateaux-lavoirs, buanderies et blanchisseries. Des relations entre espaces publics, espaces privés » in Revue des Sciences sociales, n°13, n°13bis, 1984, p.10
  4. A ce propos voir : http://espritdepays.com/patrimoines-en-perigord/patrimoine-bati-du-perigord/les-lavoirs-du-perigord/typologie-des-lavoirs
  5. d’après Jean-Philippe Dussourd, Président du Groupe patrimoine de Châtenois, entretien réalisé le 3 août 2018