Ça! C'est chez nous (0068FN0001)
Résumé
Description
carton "Ciné studio LEXI présente
CA C'EST CHEZ NOUS Bei uns zu Haus
Scènes de la vie familiale
Mise en scène, prises de vues, montages par LEXI sur caméra PATHE
LA RANGEN, un petit patelin où le soleil est maître"
/ une grand villa, un torrent
/ une famille de … cochons
/ une truie et sa dizaine de petits
/ un paysan sort une charrette à foin
/ une fillette d'une douzaine d'années et sa poupée Moki
3'10 jeune homme fumant, montrant son chiot
/ futur cultivateur s'il s'initie aux rudes travaux des champs
/ jeune homme labourant
/ Bonjour Dédé - Bonjour Fernande
3'51 deux fillettes jouent devant la mason, retrouvent la mère et un petit garçon
/ grand-mère à ombrelle arrive à la maison
4'55 fillettes et vélo
/ fillette et petit chat
/ moutons dans pré
/ on rentre le troupeau
/ tonte des moutons
/ femmes et enfants, bébés
7'35 On fait du sport à tout âge
8'57 dame à vélo, fillette à vélo
/ Voilà papa !
/ retour du père, la fillette l'embrasse
/ Alex salue
10' Je vous présente Marie-Thérèse dans son numéro de danse
/ Alex disant ces mots
/ tourne-disque
/ fillette dansant
/ jeunes hommes attablés buvant un verre
11'56 "Fin"
Contexte et analyse
Les « scènes de la vie familiale – 1937 » sont les premières tournées par Alex Schwobthaler avec sa caméra Pathé Baby, outil fort maniable venu compléter son attirail de photographe acquis dès ses 12 ans. La famille entretient en effet un lien fort avec l’artisanat de l’image : sa mère a ouvert un magasin pendant la Grande Guerre, repris par un oncle qui offre à Alex son premier appareil – un Vestpocket de Kodak très réduit qui permet de réaliser facilement de bons clichés. En 1937, le cinéaste amateur travaille depuis presque 10 ans déjà : envoyé à 14 ans comme apprenti dessinateur dans l’industrie textile, chez Scheurer-Lauth, puis étudiant aux Beaux-Arts de Mulhouse à 16 ans, il a été embauché à 18 ans comme retoucheur par le magasin de photographes Braun à Mulhouse-Dornach.
C’est donc un expert de l’image, par ailleurs cinéphile et déjà un peu projectionniste amateur qui décide de se lancer dans la réalisation en quasi professionnel : si le film s’attache à des sujets très familiers de l’entourage immédiat du jeune homme de 23 ans qui se donne un nom de scène, Lexi, il comporte un titre en français (et en allemand), un sous-titre, des intertitres et un ingénieux carton FIN. Ce coup d’essai long pour un premier film est suivi d’un deuxième montage compilant les images tournées dans le même contexte très local en 1938 et 1939 (Szenen aus Familienleben) et, en 1939, de Thann sous la neige (1939) et son premier film de voyage dans les Alpes (Bilder aus Frankreich reportage). Alex vit ses dernières heures de tranquillité avant sa triple mobilisation de 1939 (armée française), 1943 (Wehrmacht) et 1944 (FFL) et ses séjours contraints à Lyon, sur le front russe, en Normandie et en camp de prisonniers au Royaume-Uni. Il fonde entre-temps sa propre famille en 1942-1943 à Zillisheim, 23 kilomètres au sud-est (Film de famille – Zillisheim, Actualités zillisheimoises).
Mon village, par Lexi
Alex Schwobthaler possède un regard sûr et une main ferme qui lui permettent de produire des images nettes et bien cadrées, qu’il associe dans un montage démontrant sa maîtrise des codes cinématographiques. Il procède ainsi par resserrement progressif de focale d’une vue d’ensemble de son « patelin » à la maison familiale et aux familiers des parents, d’Alex et de sa sœur. Après les tribulations de la Première Guerre mondiale qui a vu la famille séparée, elle se retrouve à nouveau à Thann où elle obtient la nationalité française en 1920. Le père Schwobthaler est plus précisément installé au Rangen, 168 habitants au recensement de 1936, situé à cheval entre Thann et Vieux-Thann, remarquable par son coteau abrupt vêtu de vignes. La rivière Thur qui coule en contrebas, aménagée et déviée pour le lavoir municipal, crée en effet des conditions idéales pour l’apparition de la pourriture noble des raisins qui fera classer le Rangen parmi les grands crus d’Alsace en 1983, après des décennies de recul progressif.
Un peu à part sur la rue principale du hameau, après les longs bâtiments de l’exploitation agricole voisine, se détache la maison des Schwobthaler qui frappe par son aspect récent et sa construction moderne. Celle-ci jouit en outre d’un véritable portail en métal et d’un jardin ornemental, et non potager, qui classe sans doute la famille à part. Cela n’empêche nullement de bonnes relations avec les paysans du cru, qui sont filmés dans leurs activités quotidiennes relevant de la polyculture – quelques oies et cochons pour améliorer l’ordinaire, un grand tas de fumier à épandre. À l’opposé d’un Hansi mythifiant le village d’une Alsace conquise par les Allemands, Alex se refuse à tout folklore. Il filme longuement les moutons paissant dans une prairie enclose, tout près, le retour à la bergerie de l’intérieur de celle-ci, choix original, et la tonte manuelle de la laine par les éleveurs. Il s’ingénie aussi à présenter les deux faces de son voisin Moki : le jeune homme aimant les belles fringues qui se donne un style en fumant, et l’héritier d’une exploitation qui fait ses classes en poussant la charrue tractée par un cheval dans les lourds sillons du champ parental.
Trois générations pour une maison
Sous ses airs de documentaire local, Ça ! C’est chez nous se construit sur des mises en scènes où chaque membre de la famille et du voisinage joue son propre rôle de bon gré, voire même de très bonne humeur. Le père de Moki pose ainsi avec l’un porcelet qu’il élève pour sa viande, comme s’il tenait un enfant. Souriant à la blague, il ne sait pas encore que pour faire rire son public, Alex place au début du montage la famille Cochon, et non la sienne. Cette manière assez réussie d’associer les sujets filmés au film en train de se faire s’articule notamment par ce geste de présentation à la caméra : Marie-Thérèse le fait avec sa poupée, puis avec le chat de la maison et avec un bébé qui doit être l’enfant de l’un de ses frères aînés ; Moki se prête au jeu avec l’un des chiots de la maison.
Les seules personnes gardant leur sérieux à l’écran sont le père et la mère d’Alex. Le premier, annoncé par un intertitre digne du théâtre, accepte de figurer dans le film et même de jouer une scène commandée (rencontre dans le chemin avec sa fille), mais il plante aussi le regard droit dans l’œil de la caméra, comme un parent grondant son fils pour des enfantillages. La mère, quant à elle, trône dans son jardin où elle s’occupe des fleurs, mais elle consent pour les besoins de la fiction familiale à monter sur la bicyclette et faire quelques tours de roue, sans se départir de sa dignité. C’est elle aussi qui paie une femme lui ayant rendu service ou accueille les visiteurs à la maison.
Du jeu et des jeux
Alex, de fait, se place volontairement du côté des jeunes. Il joue le Monsieur Loyal annonçant le numéro de danse de Marie-Thérèse en faisant la révérence et en prononçant distinctement la phrase inscrite sur le carton. Il dévoile ainsi son rôle de commanditaire et de commentateur malicieux des saynètes qui donnent le beau rôle aux enfants. Les petites filles et un garçon plus jeune jouent à la balle, un enfant plus petit rit de se voir voler dans les airs, il sautille, fait la galipette. On grignote entre deux jeux, le plus petit apprend à marcher conduit par la plus grande. Le seul moment de conflit venant contredire ces scènes pacifiques se joue autour du vélo d’adulte que les filles essaient tour à tour, empêchant une sœur cadette d’y accéder avec la brutalité des aînés.
Cet entrelacement entre situations banales et jeu pour les besoins du film trouve son apogée dans la scène finale. Au son d’un gramophone, dans le fond du jardin, Marie-Thérèse accomplit quelques pas de danse gracieux qui laissent deviner le rythme de la musique. Le relais est alors pris par trois adolescents, dont Moki, qui parodient une scène de cabaret typique d’une comédie musicale : faute du canotier de Maurice Chevalier, on a emprunté le chapeau de paille d’une des femmes de la famille. On fume et on fait semblant de boire pour imiter les adultes des films projetés dans la salle des frères Holveck, La Cigale, un « théâtre de films parlants » situé à 200 mètres à peine. Ça ! C’est chez nous livre donc à tous les « acteurs » le double plaisir d’avoir joué à s’amuser et de s’amuser de ce petit théâtre mis en images par le grand frère et grand voisin Alex SchwobthalerLieux ou monuments
Article rédigé par
ALEXANDRE SUMPF, 05 décembre 2018