Tirailleurs marocains (0047FN0001)


Avertissement[1]

Résumé


Tournées en 1945 par Alfred-José Axelrad, sous-lieutenant de l’armée française, ces images montrent les tirailleurs marocains et leur état-major dans des moments de relâchement à l’arrière du front.

Métadonnées

N° support :  0047FN0001
Date :  Entre 1944 et 1945
Coloration :  Noir et blanc
Son :  Muet
Durée :  00:03:07
Cinéastes :  Axelrad, Jo
Format original :  9,5 mm
Genre :  Film amateur
Thématiques :  Seconde Guerre mondiale : Libération
Institution d'origine :  MIRA

Contexte et analyse


Membres de la 4e Division Marocaine de Montagne dans les Vosges le 19 janvier 1945, ECPAD[2].
Après la défaite de 1940, la France se trouve divisée : d’un côté les partisans du régime de Vichy qui entame la collaboration avec le Reich, de l’autre les partisans de la Résistance qui tente de continuer le combat. La 1er Armée Française (d’abord nommée 2e Armée et Armée B) incarne difficilement l’union des forces françaises en rassemblant des troupes issues des Forces Françaises Libres gaullistes et des unités de l’Armée d’Afrique restée fidèle à Vichy jusqu’au débarquement allié en Afrique. Si la cohésion entre ces groupes reste limitée, la 1er Armée s’illustre tout de même lors du débarquement en Provence le 15 août 1944 puis lors de la Libération de la France qui les mène jusque dans les Vosges à la fin de l’année 1944.

L’hiver est rude pour l’armée française qui combat pied à pied les Allemands d’abord dans les Vosges puis dans la plaine alsacienne. La Wehrmacht oppose une résistance farouche pour se maintenir dans cette province annexée au Reich depuis 1940. Les combats durent de novembre 1944 à mars 1945, les Allemands s’accrochant au nord de l’Alsace et autour de Colmar. Les combats, dans la neige, sont extrêmement violents, tant pour les soldats que pour les Alsaciens qui voient leurs villages réduits en cendres. Des milliers de soldats sont tués ou blessés, des villages sont rasés, les champs et les vignes sont minés. L’Alsace, meurtrie par quatre ans d’annexion, est achevée par quatre mois de combats intensifs.

Un professeur d’anglais dans la 1re Armée française

Alfred-José Axelrad est professeur d’anglais à Paris lorsque la guerre éclate. D’origine juive, il doit fuir Paris en 1942 avec sa femme et leurs deux filles : Alfred-José Axelrad rejoint l’Algérie alors que sa famille reste en France. Après le débarquement des Alliés en Afrique du Nord, il rejoint l’armée française où sa maitrise de l’anglais lui permet d’obtenir des postes d’agent de liaison avec les forces américaines. Il participe ensuite à la campagne d’Italie puis à la campagne de France au sein de l’état-major de diverses unités de l’armée française.

La 1er Armée française nait de la nécessité de fusionner les Forces Françaises Libres et l’Armée d’Afrique après le ralliement des autorités coloniales françaises aux Alliés à la suite du débarquement alliés. L’amalgame peine à se faire, les deux composantes rechignant à être assimilées à l’ennemi d’antan, d’autant que leurs chefs respectifs – les généraux de Gaulle et Giraud – s’écharpent pour le pouvoir. Les premières troupes françaises sont envoyées en Italie au sein du Corps Expéditionnaires Français, puis la 1er Armée devient opérationnelle et participe au débarquement en Provence le 15 août 1944. Formés en Afrique à partir des troupes coloniales françaises, ses soldats sont en majorité originaires des colonies : colons et colonisés s’y côtoient. Ces derniers, appelés « indigènes » par les cadres de l’armée, représentent, en août 1944, 60% des effectifs de la 1er Armée.

Alfred-José Axelrad sert surtout au sein des 6e et 4e Régiments de Tirailleurs Marocains qui apparaissent au début du film. Ces soldats sont recrutés sur la base du volontariat dans le Protectorat français du Maroc. Mais comme dans toutes les unités coloniales, si les simples tirailleurs sont des Marocains, l’encadrement ne l’est pas : les officiers et la grande majorité des sous-officiers sont Français. Cette distinction apparait dans le film, le cinéaste filmant tour à tour une petite escouade de tirailleurs et des officiers français. Après le ralliement de l’Afrique du Nord française aux Alliés, les tirailleurs sont de tous les combats : campagne d’Italie, libération de la Corse, débarquement en Provence et campagne de France. Cette dernière les mène jusqu’aux portes de l’Alsace au début de l’hiver 1944-1945 durant lequel la 1er Armée Française rencontre une grande résistance de la part des forces allemandes qui s’accrochent à la région annexée. Alfred-José Axelrad a la charge de l’interrogatoire des prisonniers ramenés du front par les troupes françaises . À mesure que la défaite devient inéluctable, de plus en plus d’Allemands se rendent aux troupes alliées pour sauver leurs vies. Mais dans le même temps, le fanatisme est de plus en plus profond dans certains groupes, notamment la SS, rendant la guerre de plus en plus rude pour les soldats qui combattent depuis des mois et pour les civils que les nazis tentent de lancer dans la bataille.

Mais l’hiver 1944-1945, alors que la bataille fait rage sur les Vosges, est également un moment de tension entre les soldats venus des colonies et la métropole. Les troupes se sentent délaissées par la population de la France libérée : les difficultés matérielles, le manque de permissions pour l’Afrique et surtout les combats incessants pèsent sur le moral. Pourtant l’armée française a entamé le très controversé « blanchiment » de ses troupes, retirant des premières lignes les soldats noirs pour les remplacer par des soldats recrutés en France et issus des rangs de la résistance. Néanmoins, les tirailleurs marocains, réputés pour leurs capacités de combats en montagne restent en ligne jusqu’à la fin des opérations européennes, même si les pertes peuvent être comblées par l’adjonction de recrues provenant des territoires métropolitains libérés.

Moments de détentes autour de la caméra

Tournées en Alsace, ces images datent certainement d’après la libération totale de la région à la fin de l’hiver 1944-1945 : la neige a fondu, les soldats ne portent pas leurs casques et, même si certaines maisons sont endommagées, les rues semblent avoir déjà été en partie nettoyées des décombres. Loin de la ligne de front, en sécurité, Alfred-José Axelrad en profite pour sortir sa caméra 9,5mm qui le suit depuis avant-guerre.

Tous se prêtent au jeu du cinéaste. L’escouade de tirailleurs marocains se tient fièrement au garde à vous devant le poste de commandement. Il s’agit surement d’une mise en scène pour la caméra, Alfred-José Axelrad les filme de très près ce qui serait impossible avec la solennité d’une cérémonie officielle. Le cinéaste s’attarde sur l’aspect exotique de l’unité, fait des gros plans : les coiffes traditionnelles et l’étoile à cinq branches de l’insigne de l’unité. De leur côté, les officiers sont bien moins martiaux que leurs subordonnées : ils sortent de leur poste de commandement en fumant, tenant nonchalamment leurs holsters à la main, saluant d’un sourire le sous-lieutenant qui tient la caméra. Tous profitent du calme relatif qui est revenu après le difficile hiver à combattre pour la libération de l’Alsace.

La longue séquence de « défilé » qui suit montre bien le besoin de détente qui habite les soldats. La caméra devient alors le centre d’un jeu qui rassemble quelques officiers français, un tirailleur à la veste blanche et deux femmes. Chacun défile devant la caméra, en couple ou en groupe, un homme revêt le manteau de fourrure de l’une des femmes : tous jouent et s’amusent devant l’objectif. Pourtant la rue semble encore porter les traces des combats, les bords de chemins sont remplis de gravas et les carreaux du bâtiment au fond de la rue sont brisés. Le village dans lequel stationnent les tirailleurs porte encore les stigmates de la libération : les toitures sont éventrées, les murs criblés d’impacts. Mais la guerre touche à sa fin, ces hommes, stationnés à l’arrière du front, le ressentent. Après avoir participé à toutes les campagnes de la Libération, Alfred-José Axelrad reste en Alsace alors que les troupes françaises rentrent en Allemagne. Profitant de se relâchement de la tension, le cinéaste se permet de sortir sa caméra pour immortaliser ces moments de joie alors que la fin de la guerre se dessine. Et lui aussi veut apparaitre à l’image et se joindre à ce jeu ! La dernière séquence le montre sortant de la maison, donnant l’accolade à un ami et souriant à l’objectif de la caméra qu’il a confié à un autre camarade.

Bibliographie


BUFFETAUT Yves, La 1re armée française : Vosges, Alsace, 1944-1945, Louviers, Ysec, 2019.

CLAYTON Anthony, Histoire de l’armée française en Afrique : 1830-1962, Paris, Albin Michel, 1994.

MIOT Claire, « L’armée de l’empire ou l’armée de la nation ? Front et arrières pendant la seconde campagne de France (1944-1945) », dans Guerres mondiales et conflits contemporains, 2015/3, no259, p. 39 à 56.

Echanges avec Pierre Axelrad, fils d'Alfred-José Axelrad, décembre 2020.

Documents annexes


ECPAD, SCA9, La prise de Colmar par la 1re armée, Service Cinématographique de l’armée, 1945. Consulté en ligne le 3 décembre 2020, URL : http://archives.ecpad.fr/sca-9-la-prise-de-colmar-par-la-1re-armee/

Libération de Colmar sur Rhinédits:

https://rhinedits.u-strasbg.fr/w/index.php/Lib%C3%A9ration_et_Fin_de_l%27occupation_%C3%A0_Colmar_(0024FS0002)


Article rédigé par

Baptiste Picard, 29 décembre 2020


  1. Cette fiche est en cours de rédaction. À ce titre elle peut être inachevée et contenir des erreurs.
  2. Dans Georges Bernage, François de Lannoy & Ronald McNair, Bataille d'Alsace 1944-1945, Bayeux, Editions Heimdal, 1992.